lls sont environ 6000 personnes à avoir signé «la carte de donneur» pour autoriser le prélèvement de leurs organes après leur mort. Belle avancée pour le don d’organes au Liban dont le parcours est néanmoins semé d’obstacles. Depuis la création de la NOOTDT en 1999, le don d’organes a pris un nouvel élan.
En 2009, au Liban, il y avait 0 donneur d’organes. En 2012, ce chiffre est passé à onze donneurs d’organes et trente-quatre donneurs de cornées. Pourquoi sont-ils si rares au Liban?
«Nous avons établi un programme national avec l’aide de l’Etat espagnol, pendant trois ans, de 2010 à 2012. Avant, nous avions fait des statistiques afin de savoir où se situaient les Libanais par rapport au don d’organes. 53% des Libanais étaient pour. Les 47% restants sont contre de crainte que la religion n’y soit opposée, ils ont peur de la mutilation des corps ou, encore, ont simplement peur de la mort en général», souligne Farida Younan, coordinatrice nationale au NOOTDT (Centre national pour le don d’organes).
Cela justifie en quelque sorte le manque de donneurs au Liban. Bien qu’une éventuelle réussite des opérations soit garantie, grâce à la technique, un corps médical spécialisé, des centres hospitaliers compétents. Le seul absent, c’est l’organe à greffer.
Par conséquent, la pénurie de donneurs favorise un trafic illégal d’organes à l’intérieur et à l’extérieur du pays. La seule solution contre ce commerce illicite serait le don cadavérique, c’est-à-dire le prélèvement d’organes après la mort.
Le prélèvement d’organes peut s’effectuer de deux manières: sur des donneurs vivants, avec généralement un lien de parenté ou émotionnellement liés au malade, ou bien sur des donneurs décédés en état de mort cérébrale. Cette deuxième option, que les médecins impliqués tentent de promouvoir au Liban, répondrait au nombre croissant de receveurs en attente et réduirait le trafic de vente d’organes.
Malheureusement, au Liban, il ne s’agit pas seulement de sensibiliser la population, mais aussi le personnel médical, selon Farida Younan. «Nous avons du mal, dit-elle, à introduire ce nouveau concept au sein du personnel médical libanais. Il faut qu’ils assimilent l’idée qu’à la mort d’un individu, ce n’est pas la fin. Il est possible de transformer une partie de cette mort en une vie dans une autre personne. Les médecins ont un rôle indirect et primordial à jouer pour sauver d’autres personnes». «Au Liban, poursuit-elle, le système de santé est privé. Le médecin doit travailler dans sa propre clinique pour gagner sa vie. Il n’a pas souvent le temps de rester à l’hôpital pour passer un après-midi à maintenir la fonction des organes. Quand on est salarié, c’est totalement différent, comme c’est le cas dans tous les pays européens».
Farida Younan confie par ailleurs: «Il y a des hôpitaux qui n’ont pas accepté de joindre le système, car ils attendent une permission de leur autorité religieuse pour pouvoir le faire. Cela fait deux ans maintenant que nous attendons ces fatwas de la part des autorités musulmanes par exemple. Les médecins attendent une autorisation claire sur papier».
Quid de la religion?
S’il y a un sujet qui unit bel est bien les chrétiens et les musulmans au Liban, c’est le don d’organes. Le père Abdo Abou Kasm explique le point de vue chrétien: «Notre religion est pour le don d’organes, mais sous certaines conditions. Il faut être certain que ce don ne fasse pas mal. Pour prendre un exemple très exagéré, je peux dire que je ne peux pas enlever mon cœur de mon vivant. Si je veux faire ce don, je dois le faire après ma mort».
Une autre condition imposée par la religion chrétienne est également nécessaire pour qu’un don d’organe soit autorisé. «Le don doit être fait de manière volontaire, sans aucune pression morale, physique ou financière. Il faut que le donneur soit libre et ne réponde qu’à son consentement personnel», insiste le père Abou Kasm.
Même son de cloche en islam. «Nous sommes en accord avec les conditions émises par l’Eglise», confirme le cheikh Dr Mohammad Nokari. «Nous ne pouvons pas comparer nos sociétés aux modèles occidentaux, souligne-t-il. Ici, il y a des gens extrêmement pauvres qui seront prêts à tout pour avoir de l’argent et survivre. Ils seront même prêts à vendre un rein pour quelques milliers de dollars. C’est pour cela qu’un trafic ignoble d’organes a vu le jour. Les conditions d’opération sont catastrophiques et moralement inacceptables. En Iran par exemple, ils se sont rendu compte que mieux valait offrir une somme d’argent en échange d’un organe de manière légale. Le nombre de donneurs a alors augmenté et les choses ont par la suite mieux fonctionné. Malheureusement, nous avons peur de nous retrouver dans un cercle infernal où celui qui vend soit toujours le pauvre et celui qui achète le riche. Toutefois, nous gagnerons à penser sérieusement à un système similaire», propose le cheikh Nokari.
En tout cas, la loi libanaise ne va pas dans ce sens. Le décret n°109, article I, le stipule, d’ailleurs, très clairement: «Le prélèvement d’organes ou de tissus doit se faire sous forme de donation gratuite et sans conditions».
L’Eglise estime, elle aussi, «qu’une pauvreté extrême conduirait à vendre un organe de manière illégale», explique le père Abou Kasm. «L’Eglise, note-t-il, est là pour aider moralement et matériellement les pauvres, mais elle ne peut pas remplacer l’Etat. Parfois, c’est douloureux d’observer ce genre de démarches, signe d’une grande souffrance. L’Etat et l’être humain en sont responsables», précise-t-il.
Le cheikh Nokari, quant à lui, ajoute: «Il faudrait autoriser un prélèvement systématique en cas de mort cérébrale sans besoin de permission, car la religion musulmane met en avant l’assistance à autrui et l’utilité. Il faut toujours aider quelqu’un quand cela est possible et les familles attristées par la perte de leurs proches ne sont pas en état de pouvoir faire le choix de donner les organes ou non», conclut Mohammad Nokari.
A la question «pourquoi les pratiquants ont-ils peur de cette démarche quand on sait que la religion est en faveur du don des organes?», les deux religieux n’ont pas de réponse. La peur peut-être, croient-ils savoir.
Selon Farida Younan finalement, un obstacle important est à franchir pour recadrer le système libanais, augmenter le nombre de greffe et mobiliser encore plus de donneurs. Il s’agit d’éduquer les malades qui ont besoin d’un don à s’inscrire sur les listes des demandeurs afin de profiter d’une chance quand elle existe…
Anne Lobjoie Kanaan
Comment s’inscrire donneur?
Il y a deux manières pour devenir donneur:
♦ Se rendre dans les locaux de la NOOTDT, à Hazmié. Rencontrer le personnel, remplir le formulaire d’information et repartir avec la carte de donneur.
♦ Aller sur le site Internet de la NOOTDT, http://www.nootdt.org. Remplir le formulaire online. La carte sera envoyée par voie postale à l’adresse mentionnée.
Chacun peut-il être donneur?
Tout sujet en état de mort encéphalique, malgré tous les efforts des médecins pour le sauver, doit être considéré comme un donneur potentiel. Dans ce contexte, les médecins entreprennent les recherches des antécédents médicaux et la réalisation d’examens sérologiques permettant de dépister d’éventuelles maladies transmissibles. Seuls ces examens, effectués juste avant le prélèvement, autoriseront ou non le don d’organes et de tissus. On ne définit pas de contre-indications a priori et chaque citoyen est potentiellement donneur, quel que soit son état de santé du moment. En pratique, la qualité fonctionnelle du greffon dépend en grande partie des conditions dans lesquelles survient la mort. Un organe dont la fonction est douteuse sera refusé. Il n’y a pas de limite d’âge légale. Cela dépend des organes concernés.