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Nº 2881 du vendredi 25 janvier 2013

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La prise d’otages d’In Amenas tourne au carnage. L’islam du désert montre ses griffes

En Algérie, l’attaque du site gazier d’In Amenas s’est achevée samedi 19 janvier dans un bain de sang. Quatre jours durant, une bande armée terroriste a retenu une grande partie des employés en otages sur leur lieu de travail. Une intervention musclée des forces algériennes a mis les ravisseurs en déroute. Mais à quel prix. Alors que des troupes françaises et africaines tentent de faire reculer l’influence islamiste dans le Nord-Mali, le désert du Sahel est plus que jamais plongé dans la tourmente.

Trente-huit morts, un Algérien et trente-sept étrangers de huit nationalités différentes. C’est le triste bilan du carnage d’In Amenas annoncé lundi soir par le Premier ministre algérien Abdel-Malek Sellal. Bilan qui pourrait encore s’alourdir, cinq ex-otages étant encore portés disparus. Parmi les ressortissants étrangers dont la mort a été confirmée par leurs pays, on compte un Français, un Américain, deux Roumains, trois Britanniques, six Philippins et sept Japonais. Plusieurs dépouilles restent à identifier. Le gigantesque site gazier de Tiguentourine est situé dans le centre-ouest algérien à proximité de la frontière libyenne, à quelque 1300 kilomètres d’Alger et à 40 kilomètres d’In Amenas, la grande ville la plus proche. On y extrait 12% de la production algérienne de gaz naturel, 790 personnes y étaient employées, dont 134 étrangers originaires de 26 pays différents. Grâce aux témoignages des survivants, les contours d’une opération visiblement minutieusement préparée s’affinent.

«Il y a eu des complicités»
Mercredi 16 janvier à l’aube, une trentaine d’hommes prennent le contrôle du site exploité depuis 2006 par le britannique BP, le norvégien Statoil et l’algérien Sonatrach. A la base de vie, à l’usine ou dans les bus pour la rejoindre, le personnel du site entend les mêmes rafales de tirs. Lyès, ingénieur à la division technique, raconte: «Il y a eu des rafales de mitraillette. J’ai tout de suite compris qu’il s’agissait d’une attaque, mais je pensais que les coups de feu étaient tirés par les gendarmes qui ont un poste juste à côté de nous». Pour lui, il est impossible d’imaginer que les hommes armés aient pénétré sur le site si facilement. Il faut dire que l’enceinte est sécurisée. Des gendarmes en gardent l’entrée et contrôlent par des barrages routiers les axes de déplacement principaux. Pour Lyès, la conclusion s’impose: «Il y a eu des complicités». Ce qui est trivial, c’est la précision d’horloger suisse avec laquelle l’opération a été préparée. Les terroristes n’ont attaqué que les bases occupées par BP et les Japonais, les seules où il y avait des étrangers. «Ils semblent connaître les numéros des chambres des expatriés et de nombreux détails sur le fonctionnement de la base», ajoute Riad, un employé algérien de la compagnie japonaise JGC.

«Nous cherchons des chrétiens»
A l’intérieur, la panique pousse les travailleurs dans des cachettes de fortune, dessous de lit ou faux plafonds. Avec de la nourriture et un peu d’eau si possible comme Alexandre Berceaux qui avait également pris soin de dissimuler ses papiers. Le jeune Français a finalement passé quarante heures sous son sommier. Appeler au secours? Impossible, les réseaux téléphoniques ont été coupés. S’enfuir? Plusieurs ont essayé, tous n’ont pas réussi. En compagnie de sept compagnons d’infortune, un Norvégien a rejoint la ville d’In Amenas après 15 heures de désert et près de 50 kilomètres de marche, déshydraté et épuisé. En tentant la même opération, trois Japonais ont été exécutés.
Les assaillants étaient lourdement armés, disposant  de lance-roquettes en plus des kalachnikovs. S’enfermer, bloquer la porte à l’aide de meubles et éteindre la lumière ne suffisent pas. Un témoin déclare: «Ils sont arrivés avec des arrache-clous devant la chambre des Japonais, un des terroristes a crié «Open the door» avec un accent américain puis il a tiré.
 Il semble que les expatriés aient été systématiquement cherchés. Iba el Haza, chauffeur algérien employé sur le site, rapporte ces paroles de miliciens: «Vous n’avez rien à faire dans cette histoire, vous êtes algériens, vous êtes musulmans, on va vous relâcher. Nous cherchons les chrétiens qui tuent nos frères au Mali et en Afghanistan pour piller nos richesses». Un témoignage anonyme corrobore ce récit: «Ils ont rassemblé les expatriés, les ont assis et leur ont tous mis des explosifs autour du cou». Pendant ce temps-là, les Algériens sont réunis à part avec la possibilité de téléphoner et de se déplacer. Beaucoup de récits font état d’une grande solidarité des otages algériens qui ont profité de leur situation avantageuse pour tenter de secourir les ressortissants étrangers moins vernis. Un ex-otage relate l’évasion d’un petit groupe organisée par les Algériens. Ils leur avaient entre autres distribué des chapeaux pour se faire passer pour des autochtones. Dès le mercredi après-midi, trente Algériens avaient été libérés. Jeudi soir, il n’y avait plus d’otages algériens.

Au cours de l’intervention des forces de sécurité, appuyées notamment par des hélicoptères, vingt-neuf assaillants ont été tués, trois ont été capturés vivants. Les pertes humaines ont été d’autant plus lourdes que les expatriés servaient de boucliers humains. La France, dont les troupes sont engagées au Mali, a félicité la prise d’initiative algérienne (Les autres pays ne l’ont pas été autant, voir encadré). François Hollande a besoin de savoir que l’armée algérienne intensifie ses efforts pour maîtriser sa frontière et mieux valait rester en de bons termes avec celui qui vous prête son espace aérien, vital pour l’opération Serval. Il faut préciser que les jihadistes avaient placé les exigences très haut en réclamant la libération de tous les prisonniers islamistes à Bouteflika qui n’est jamais particulièrement enthousiaste à l’idée de négocier avec les groupes armés.
François Hollande a, par ailleurs, jugé préférable la dénomination d’«acte de guerre» à celle de «prise d’otages». Mais les islamistes responsables de l’attaque sont-ils exactement les mêmes que ceux contre qui se bat la France?

Les signataires du sang
Dans une vidéo diffusée début décembre dans les médias, Mokhtar Belmokhtar, l’enfant terrible d’Aqmi, annonçait sa scission avec la création du groupe «Signataires du sang». Intervenant quelques jours avant la décision de l’Onu d’autoriser un possible déploiement de troupe au Nord-Mali, cette décision résulte des profondes divisions qu’il entretenait avec Abdelmalek Droukdel, le leader historique d’Aqmi. Depuis 1998 et son intégration au sein du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), Mokhtar Belmokhtar construit et déconstruit des alliances dans le but d’élargir son influence sur les juteux trafics dans le Sahel. Fruit des nouvelles alliances, le rassemblement Mujao (groupe scissionniste d’Aqmi)/«signataires du sang» ont combattu côte à côte contre le MNLA en fin d’année dernière. Le Mujao intéresse Belmokhtar pour les liens qu’il entretient avec de larges réseaux de trafics de drogue, avec Boko Haram au Nigeria et avec les Shebab en Somalie. Etendre son influence sur le trafic de drogue devient indispensable pour lui permettre de continuer ses activités terroristes, son recrutement international et ses revendications politiques.
Cette prise d’otages lui servira probablement de vitrine. Belmokhtar montre ainsi l’étendue de la capacité de nuisance de son groupe et cherche à s’imposer comme un des principaux acteurs d’al-Qaïda dans la région. Par opposition par exemple au MNLA qu’il combattait à l’automne. Il n’en demeure pas moins curieux de provoquer l’Algérie, qui n’avait pas jusque-là fait part d’une farouche opposition aux islamistes d’Aqmi, pas en tout cas au point de les affronter directement. Pourquoi s’aliéner un nouvel ennemi dans un contexte déjà rendu délicat par l’intervention militaire française au Mali?
Il est envisageable aussi que dans la tête des combattants, le désir et le besoin de combattre l’emportent sur la volonté de mettre en œuvre des structures durables visant à diriger un territoire ou un Etat.
Dans le contexte qui nous préoccupe aujourd’hui, l’islamologue Mathieu Guidère rappelle que «toute perspective de guerre a tendance à rapprocher et à unifier les groupes islamistes, en laissant leurs divergences de côté face à l’ennemi commun (africain et occidental), perçu comme un envahisseur».

Antoine Wénisch

 


Gilles Le Guen, de la Bretagne au Sahel
Symbole d’un nouveau jihadisme version village global, le surprenant parcours du Français Gilles Le Guen témoigne de l’internationalisation de la nébuleuse terroriste au Sahel. Aujourd’hui âgé d’une cinquantaine d’années, cet ancien officier de la marine se convertit à l’islam en 1984. Il multiplie les voyages au Maghreb avant de s’installer définitivement à Tombouctou avec sa femme et ses cinq enfants. S’il se présente comme un marginal, rejetant «l’impérialisme et la société de consommation», il prétend sans ambiguïté «suivre les pas d’Oussama Ben Laden». Dans une vidéo diffusée en octobre dernier dans laquelle il menace directement la France en cas d’intervention au Nord-Mali, il expliquait avoir suivi un entraînement militaire. Plus récemment, pour l’hebdomadaire français L’Express, il affirmait aussi prêcher la charia «avec laquelle on ne peut pas transiger» et mener le jihad contre les «alliés du diable» qui vivent dans «le profit, l’adultère, l’usure, l’homosexualité, le crime et l’ignorance». Un journaliste qui l’aurait rencontré précise qu’il a donné sa fille de douze ans en mariage à un autre combattant.
Selon certaines sources militaires algériennes qui demandent vérification, la découverte de son passeport sur le site d’In Amenas prouverait son implication directe dans la prise d’otages.
Celui qui se fait désormais appeler Abou Jelil n’a pourtant ni le profil ni le parcours du parfait moujahid à tel point qu’Aqmi l’a un temps soupçonné d’espionnage pour le compte de l’Occident.

Abe et Cameron pas contents
Soutenu par les Français, l’assaut militaire rapide et brutal des forces algériennes n’a pourtant pas été du goût de tout le monde. Le gouvernement britannique qui avait proposé son assistance aux Algériens, a sobrement regretté de ne pas avoir été prévenu de l’intervention armée. Plus incisif, le Premier ministre japonais Shinzo Abe a personnellement contacté Abdel-Aziz Bouteflika pour lui faire part de sa «grande préoccupation» quant au déroulement des opérations. Il l’a clairement appelé «à cesser de telles actions»

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