Après The hurt locker en 2009, la réalisatrice Kathryn Bigelow et son scénariste Mark Boal se penchent à nouveau sur l’actualité politique. Zero Dark Thirty s’infiltre au cœur de la CIA pour mettre à l’écran l’histoire de la traque de Ben Laden qui a duré dix ans.
En 2009, Kathryn Bigelow avait marqué l’histoire du cinéma en remportant, une première pour une femme, l’Oscar de la meilleure réalisation pour The Hurt Locker, qui a d’ailleurs également été sacré meilleur film. Vous vous rappelez, le long métrage met en scène la vie des démineurs en Irak. Trois ans plus tard, elle revient avec un nouveau film choc, Zero Dark Thirty qui retrace la traque de Ben Laden. Un film qu’elle signe avec le scénariste Mark Boal, avec qui elle a justement collaboré sur The Hurt Locker.
Quelles que soient les polémiques qu’il a déjà suscitées ou qu’il risque encore de susciter, quelle que soit sa portée politique, Zero Dark Thirty est un très bon film d’action en premier lieu, extrêmement bien ficelé pour vous tenir en haleine de bout en bout, malgré sa longueur de près de trois heures environ. Une longueur que le spectateur ressent, sans gêne, sans lassitude. Une longueur qui renvoie d’un coup aux dix années qu’il a fallu à la CIA pour parvenir à repérer et tuer Oussama Ben Laden.
Entre réalité et cinéma
Zero Dark Thirty commence avec le crash du 11 septembre 2001 l’espace d’une ou deux minutes, sur fond noir: des gens paniqués, d’autres qui les rassurent. Et nous voilà, d’un coup, face à une séance de torture musclée, des séances de torture insupportables au regard, auxquelles assiste Maya, analyste de la CIA, campée par l’impressionnante Jessica Chastain. Le prisonnier lié à al-Qaïda finit par révéler le nom d’Abou Ahmed el-Iraki, l’homme qui fait les commissions de Ben Laden au Pakistan. Et la filature commence, menant Maya, durant dix ans, de pays en pays, du Pakistan à l’Afghanistan, suivant pistes sur pistes, informations sur interrogatoires, acharnée, déterminée à trouver l’ennemi public numéro un des Etats-Unis: Oussama Ben Laden.
Lentement, mais méticuleusement, Kathryn Bigelow et Mark Boal tissent les ficelles de l’intrigue, s’infiltrent au cœur de la CIA, mettent en scène tous les obstacles, les pistes, les filous, les mauvaises pistes, la perte de collègues, que Maya affronte, de plus en plus obstinée, de plus en plus forte, seule et solitaire dans sa quête qu’elle s’est fixée comme une mission de vie. Jusqu’à la scène finale de la traque, merveilleusement retransmise à l’écran. Interrogée par l’AFP, Jessica Chastain explique que son «personnage est inspiré d’une seule femme, une véritable analyste de la CIA… Le film la montre exactement comme elle était. Elle n’avait pas de compagnon, elle n’avait pas de vie personnelle. Pour elle, le plus important, c’était son travail et trouver cet homme. Quand on lui demande à la fin, «Où voulez-vous aller?», elle n’a vraiment nulle part où aller. La question n’est pas seulement «qui est-elle?», mais aussi «qui sommes-nous? (Les Américains), comme pays et comme société? Je pense que c’était très courageux de la part de Kathryn Bigelow et Mark Boal de poser cette question. Ce n’est pas seulement: «Hourra, on a tué Ben Laden». Ce n’est pas le sujet du film. Au final, c’est «et maintenant, on fait quoi?». Le reste du casting regroupe également Jason Clarke, Joel Edgerton, Jennifer Ehle, Mark Strong, Edgar Ramírez, Kyle Chandler, Harold Perrineau jr…
Zero Dark Thirty a suscité une vive polémique aux Etats-Unis, dans le monde de la politique et du cinéma. Et ce qui a créé la polémique, ce sont les séances de torture que montre le film et qui ont abouti au repérage de Ben Laden. Certaines voix dans l’Administration américaine et dans la CIA assurent que, contrairement à ce que prétend le film, aucune des informations reçues n’a été obtenue par des méthodes d’interrogation coercitives. Et certains membres de l’Académie du cinéma ont également rallié cette position affirmant haut et fort qu’ils ne voteraient pas en faveur du film lors de la prochaine cérémonie des Oscars prévue le 24 février.
Mais le duo Bigelow-Boal se défend, assurant d’une part que le film est une fiction et que d’autre part, il ne fait pas l’apologie de la torture, un sujet qu’il était impossible de ne pas mentionner, puisqu’il fait partie de l’histoire. D’ailleurs, ils affirment que le scénario a été construit après avoir obtenu des informations d’agents de la CIA sous couvert de l’anonymat. «Le film est basé sur le témoignage de sources de première main d’événements réels»: cette phrase apparaît sur écran noir dès les premières secondes du film.
La polémique n’a pas empêché le film de battre des records d’affluence aux Etats-Unis et d’être largement salué par la critique. «Avec Zero Dark Thirty, estime Le Figaro, Kathryn Bigelow signe un long métrage d’une puissance exceptionnelle». The Guardian mentionne qu’au «lieu d’avoir un récit de trois heures où on connaît déjà la fin, Bigelow et Boal ont conçu l’un des films les plus intelligents et intellectuels de l’année».
Sera-t-il récompensé le 24 février? Ou est-ce que le scénario des Golden Globes risque de se reproduire? Rappelons que Zero Dark Thirty avait été nommé dans quatre catégories, dont celles du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur scénario. Mais n’a remporté qu’un seul trophée remis à Jessica Chastain comme meilleure actrice dans un drame.
Nayla Rached
Circuits Empire et Planète.