Ali Yaghi, ancien membre du conseil municipal de Baalbeck, a été arrêté par l’Armée libanaise pour intelligence avec l’ennemi. Il est soupçonné d’avoir travaillé pendant près de vingt ans pour Israël, qui l’aurait rétribué durant tout ce temps à hauteur de 600000 dollars. Voici son histoire.
Si, depuis quatre ans, la centaine de personnes identifiées ou arrêtées par les services de renseignements de l’armée et des FSI constituent de véritables victoires, elles révèlent toutefois un inquiétant degré d’infiltration. La semaine dernière, c’est un très gros poisson qui a été interpellé. Aux dernières élections locales, Ali Yaghi faisait partie de la liste qui était soutenue par le Hezbollah. Le conseiller municipal est un notable qui a pour qualité principale de représenter l’une des plus importantes familles de Baalbeck. Mais il y a près d’un an, les services du Hezbollah ont obtenu à son sujet des informations extrêmement compromettantes. Après sept mois d’enquête menée par le parti, Ali Yaghi, qui a avoué être à la solde d’Israël, a été déféré devant le parquet militaire. C’est le juge Ammar Zein qui est chargé de son dossier. Défendu par l’avocat Naji Yaghi, le prévenu, père de quatre enfants, risque au mieux une très lourde peine de prison, au pire la peine de mort.
Son parcours est digne des meilleurs romans d’espionnage. En dépit des sommes importantes qu’il touchait des Israéliens, il prenait soin de ne pas afficher une richesse ostentatoire. Il jouait si bien le jeu qu’il était connu pour son avarice dans tout son entourage.
Né à Baalbeck il y a 60 ans, cet homme trapu au double menton est un ingénieur spécialisé dans la topographie et les systèmes électriques. A ce titre, il a été agréé par le ministère des Travaux publics pour lequel il a mené plusieurs missions et a ouvert un bureau d’études dans sa ville natale. Mais ce n’est pas dans ce domaine qu’il s’est d’abord fait la main. Il part tenter sa chance aux Etats-Unis dans les années 70 en tant qu’antiquaire. En 1990, il y rencontre un dénommé Georges Anavian, commerçant juif originaire d’Iran. Anavian lui présente à Chypre un certain Michel qui, le premier jour, se décrit comme intermédiaire. Le lendemain, Michel révèle sa vraie identité, c’est un agent israélien. Michel propose à Yaghi de travailler pour lui. Il accepte sans broncher. Six mois plus tard, ils se retrouvent à Chypre d’où ils partiront pour Tel-Aviv. Pendant une semaine, Yaghi reçoit une formation accélérée et 15000 dollars. Yaghi entre dans l’engrenage.
Jusqu’en 1996 et tous les six mois, Yaghi rencontre Michel à Athènes. Il donnera des informations précieuses sur les quartiers généraux du Hezbollah dans la Békaa et sur les lieux de résidence des leaders du parti comme Sobhi Toufayli, Mohammad Yazbeck ou Abbas Moussaoui qui sera assassiné en février 1992. Il reviendra plusieurs fois pour perfectionner sa formation dans le décryptage de photos aériennes, le camouflage et les moyens de communications ultra-sécurisés. C’est ensuite un dénommé Carlos qui prend le relais. Cette fois, les rendez-vous ont lieu à Rome, en Italie, où il recevra les montants de 15000 et 18000 dollars pour solidifier sa couverture. A la ville, Ali Yaghi est un commerçant de tissu qui fait des affaires en Italie. Il expliquera aux enquêteurs qu’il était soumis à chaque réunion à un détecteur de mensonges.
De 1999 à 2006, Ali Yaghi traite avec les agents René et Johnny. Ils se voient principalement à Bangkok, en Thaïlande. A chaque rencontre, Yaghi reçoit des équipements dernier cri. Il transmet aux agents de liaison israéliens des cartes et des données de plus en plus précises et mises à jour. Il a cartographié une grande partie de l’infrastructure clandestine du Hezbollah dans la Békaa entre caches d’armes, bunkers et commerces. Au sortir de la guerre de 2006, les services israéliens auraient même salué son travail. De 2006 à 2009, les Israéliens Johnny et Joseph, par la suite, lui demandent, compte tenu de sa position au ministère des Travaux publics, de continuer sa surveillance et d’enregistrer notamment les mouvements de camions qui passent par la frontière syrienne. A partir de là, il se retirera progressivement.
L’été dernier, l’épouse bulgare d’Ali Yaghi contacte plusieurs médias. Elle soupçonne le Hezbollah d’avoir enlevé son mari. Ses soupçons étaient fondés. Il était en fait interrogé.
Julien Abi Ramia
2009, le début de la fin
En 2009 et 2011, il coupe ses liens avec Israël, le temps de prendre sa retraite et d’être élu au conseil municipal de Baalbeck. En juin 2011, un certain Elias Khoury se présente au téléphone comme un ami de Joseph. Ils se donnent rendez-vous à Bangkok où Yaghi reçoit 8000 dollars. C’est la dernière fois qu’Ali Yaghi aura des contacts avec un agent israélien.