Après plusieurs semaines d’opposition stérile et de tergiversations électoralistes, les véritables négociations, celles qui doivent finaliser l’élaboration d’une loi électorale acceptée par tous, peuvent commencer. La balle est désormais dans le camp de Saad Hariri.
Saad Hariri est bel et bien le seul leader de l’opposition et, en ce début de semaine, l’ancien Premier ministre a sifflé la fin de la récré. Que les partis chrétiens de l’opposition ne puissent se départir de l’accord trouvé à Bkerké, soit. Mais le fait qu’ils passent outre la décision de boycott du gouvernement l’a forcé à réagir. Il était temps pour lui de passer outre les dissonances. Lundi et mardi, il s’est entretenu par téléphone avec le leader des Forces libanaises Samir Geagea et le député Boutros Harb. Il a ensuite reçu, à son domicile parisien, la visite du secrétaire général du 14 mars Farès Souhaid, du chef du PSP Walid Joumblatt et de l’ancien président et leader des Kataëb Amine Gemayel, dont la rencontre a été électrique. Mais Saad Hariri avait l’impératif de préserver l’unité de sa coalition et, pour cela, il doit présenter des alternatives qui fassent consensus dans son camp. Après s’être entendu avec ses alliés sur les marges de manœuvre à donner aux travaux des commissions parlementaires, il a présenté sa proposition de loi qui enterre celle déjà en vigueur.
Repousser les contraintes
Pour satisfaire le Courant du futur, attaché au boycott de principe des travaux gouvernementaux, il a été, à un moment donné, question que ce soient les directeurs généraux des ministères qui prennent place aux Commissions conjointes, à la place des ministres Marwan Charbel et Chakib Kortbaoui , mais l’idée a vite été abandonnée. La réunion des commissions conjointes ont donc eu lieu mercredi en l’absence des députés du Courant du futur qui ont confirmé leur boycott la veille. L’opposition l’avait prévu, la solution était tout autre. C’est le député des FL, Georges Adwan, qui a vendu la mèche. Les Commissions conjointes ont donc prorogé le mandat de la sous-Commission pour garder le Courant du futur dans la course. Une option entérinée par les élus du Hezbollah et du CPL. Pour les faucons de la majorité, il s’agit de gagner un peu de temps, mais le chef du bloc parlementaire du Parti de Dieu, le député Mohammad Raad, prévient: «Un consensus sur la loi électorale est nécessaire, a-t-il dit en substance, pour que les élections aient lieu à la date qui leur est fixée, sinon ce sera le report, appelons-le technique, des élections législatives, jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé».
Depuis qu’ont éclaté les premières oppositions à la proposition de la Rencontre orthodoxe qui aurait pu être adoptée par une majorité de parlementaires, le débat sur les responsables d’un éventuel report est revenu au premier plan. Sont soumises aux politiques trois questions simples dont les réponses traversent les lignes traditionnelles de clivage. Au Courant du futur et aux chrétiens hors-partis du 14 mars est demandé s’ils accepteraient que la loi électorale soit modifiée. Nabih Berry a précisé: «il n’y aura pas d’élections sous le régime de la loi de 1960». Et il ajoute: «ceux qui pensent que perdre du temps entraînera un retour à cette loi se trompe», dit-il en allusion au Courant du futur et à ses alliés chrétiens non encartés du 14 mars. Le leader du mouvement Amal, qui a reçu les procès-verbaux des débats de la sous-Commission, est convaincu que l’adoption d’une nouvelle loi est possible, écartant le principe d’une prorogation de l’Assemblée actuelle. Les deux extrêmes sont donc exclus. Place aux négociations décisives.
Dans ce pays, les dernières chances sont souvent celles qui aboutissent. Lorsque le député du PSP Akram Chéhayeb, après avoir été reçu par Berry, parle de «l’obscurité créative», il ne parle pas d’autre chose. Les véritables discussions vont pouvoir commencer. Et d’emblée, une chose paraît certaine. Aucune des propositions clés en main, présentées et discutées en commissions et sur la place publique, ne sera adoptée. De la même façon que la loi actuelle est écartée, la proposition de la Rencontre orthodoxe, contre laquelle se sont opposés le Futur, le PSP et le président Sleiman, semble devoir subir le même sort. Du coup, le débat sur le scrutin national majoritaire et proportionnel, qui implique notamment pour les partis majoritaires sunnites et druzes de lourdes répercussions électorales, est enterré.
Les vertus d’une loi hybride
Notamment pour le Courant du futur qui, par la voix de Saad Hariri, a exposé sa proposition que selon plusieurs sources concordantes, aurait reçu l’aval préliminaire du président Sleiman, que le leader du bloc parlementaire du Courant, Fouad Siniora, a rencontré cette semaine, et de Walid Joumblatt. Une initiative qui a déplu au président de la Chambre. Celui-ci aurait souhaité être tenu au courant de la proposition. Mais quelle est-elle? Principalement, la création d’un Sénat et une loi qui respecterait et les accords de Taëf et les doléances des chrétiens. L’enterrement de la loi en vigueur est donc programmé. Et de ce fait, le Courant du futur ouvre la porte à une négociation.
Mercredi, les Commissions conjointes ont donc dessiné la marche à suivre pour les jours à venir. La sous-Commission de Robert Ghanem aura pour mission d’étudier, dans les deux prochaines semaines, les possibilités d’une loi hybride. En parallèle, Nabih Berry a fixé au 18 février prochain le début des réunions des Commissions conjointes qui étudieront, à leur tour, les propositions discutées au sein de la sous-Commission. Ceux qui craignaient un report peuvent être satisfaits. La course contre la montre s’accélère mais l’horloge continue de tourner et c’était là le principal. A ce titre, la palme de la performance revient à Nabih Berry qui a su convaincre ses alliés de mettre entre parenthèses la proposition orthodoxe qui aurait pu être votée et adoptée au Parlement, et, sans doute, aux partis chrétiens du 14 mars, qui ont contraint Saad Hariri à mettre de l’eau dans son vin et à revenir à la table des discussions.
Les premières doléances fusent déjà. Akram Chéhayeb s’est montré très clair. «Il ne faut pas qu’il y ait un camp victorieux déclaré avant le scrutin». C’est également la position du député phalangiste Sami Gemayel et du patriarche Béchara Raï qui explique que «l’adoption d’une loi électorale à la dimension du Liban constitue la base de la réconciliation. Nous n’accepterons pas une loi taillée à la mesure de certains leaders, mais nous appelons à la mise en place d’une loi à la dimension du Liban». Bkerké, comme l’ensemble des grands partis chrétiens, avait pris le pli de la proposition de la Rencontre orthodoxe parce qu’elle ne diluait pas le choix des chrétiens. Pour Michel Aoun, cette proposition garantit aux chrétiens d’élire pleinement 64 députés. «Nous sommes prêts à accepter toute formule alternative qui nous assurerait cela».
Pour les plus optimistes, cette dernière bouffée d’oxygène suscite l’espoir d’une loi adoptée dans les délais. Le nécessaire a été fait. Mais les pessimistes ajoutent que ce n’est pas suffisant. Si le Courant du futur et le PSP, dont les blocs parlementaires dépendent en grande partie de la dilution des voix chrétiennes, continuent de s’opposer au CPL, au Hezbollah, voire aux autres partis chrétiens, ce sursis n’aura pas été suffisant. Affaire à suivre.
Julien Abi Ramia
La proposition de Abdo Saad
Le président du Centre pour la recherche et l’information de Beyrouth, l’expert en sondages Abdo Saad a présenté cette semaine une proposition de loi électorale mixte qui reprend les grandes lignes de la loi Boutros. Dans les circonscriptions telles que découpées actuellement, Saad dissocie les voix des communautés minoritaires de celles des communautés majoritaires. Concrètement, il propose que 65 députés, qui représentent la communauté majoritaire d’une circonscription donnée (comme les maronites dans le caza du Metn) soient désignés par les électeurs d’une circonscription donnée par la voie majoritaire du «one person, one vote» et que les autres 63 députés, qui représentent donc les communautés minoritaires (comme les Arméniens dans le Metn) soient élus à la proportionnelle simple.