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Mouna Béchara

L’imprévision érigée en système

Le Liban est le pays des occasions manquées. On le dit et le redit. Mais chaque décennie apporte son lot de preuves de la véracité de ce constat que, depuis les années soixante, des penseurs, des diplomates et de simples citoyens font. Mais les dirigeants continuent à faire la sourde oreille et rien n’a jamais été programmé en profondeur pour remédier à cet état de choses. Malgré les tristes épreuves que nous avons traversées, malgré les querelles meurtrières de 1958 et les quinze années de guerre que nous avons traversées, nous n’avons réussi à tirer aucune leçon des conséquences de l’imprévision et de l’improvisation dans la gestion des affaires publiques. Les catastrophes provoquées par Olga de triste mémoire et qui, nous dit la météo, n’est pas près de renoncer, en sont un exemple parmi tant d’autres. La restauration des maisons de la rue Ibrahim Mounzer n’aurait pas pu être réalisée sans l’apport de la société civile et, en particulier, d’OffreJoie. Si les gestionnaires des affaires publiques ne sont pas toujours les mêmes, ils n’en ont pas moins instauré une mentalité dont ont hérité leurs successeurs, à quelques exceptions près.
Par la force des choses, nous sommes amenés à nous répéter. Peut-être le faisons-nous dans l’ultime espoir de nous faire entendre et, qui sait, de réussir à obtenir ce changement à ce jour inespéré. Un proverbe arabe dit: «Les parents mangent le raisin vert et les enfants grincent des dents». C’est ce que vit la jeune génération qui subit les erreurs des anciens hélas sans réussir à les corriger. Il fut un temps, pas très éloigné, où la classique plaisanterie des responsables, dans les coulisses de la politique, consistait à jeter la faute sur les «Italiens». Ces derniers n’étant jamais intervenus dans la vie politique du pays, l’ironie était évidente. Aujourd’hui, l’opprobre est jeté sur les médias, toutes tendances confondues. Les actes meurtriers, les attentats quotidiens, l’insécurité généralisée, les promesses non tenues, les engagements restés lettre morte et la difficulté de présenter un budget seraient le résultat des informations qui remplissent tous les jours nos journaux, occupent nos ondes et envahissent nos antennes. C’est ainsi que se justifient certains dirigeants et, à leur tête, le ministre de l’Intérieur. «Allez-vous asséner la nouvelle du décès d’un proche à ses parents ou les préparer en passant par un transfert à l’hôpital?», demande-t-il, à titre d’exemple, aux journalistes qui diffusent, à leur corps défendant, les mauvaises nouvelles sans y mettre, selon lui, la forme. La presse et les médias sont sans cesse mis au banc des accusés, bafoués et même dénoncés par des dirigeants qui ne cessent d’en faire des boucs émissaires, oubliant qu’ils ont le simple tort de transmettre leurs propres propos souvent inconsidérés. Au cœur de tout ce micmac sévit un gouvernement, dit monochrome, dans l’incapacité de prendre les décisions vitales, victime des zizanies à l’intérieur d’un même camp, qui néglige le minimum vital et la sécurité d’un peuple qui ne vit plus que dans la hantise des explosions, dans la peur des lendemains et des horizons bouchés. Même les prisons ne sont pas sécurisées. Des évasions et des meurtres apparaissent timidement dans la rubrique des «faits divers».  Entre-temps, nous ne cesserons de perdre, ou de gagner du temps, selon les uns ou les autres, dans des discussions byzantines autour d’une loi électorale qui peine à voir le jour et attend peut-être la solution problématique soufflée par des vents étrangers. Ainsi, le régime politique, dont se vantait le Liban, jadis fondé sur la démocratie qu’une hérésie constitutionnelle qualifie de consensuelle n’a plus apparemment sa raison d’être. Il est même remis en question et les principales têtes «pensantes» du pays y cherchent une réponse dans la lecture des astres syriens ou ceux d’ailleurs. Favorables à certains contrariés par les autres. Ainsi les semaines passent et les échéances constitutionnelles arrivent à toute vitesse et, une fois de plus, le Liban pourrait manquer l’occasion de se remettre sur les rails d’une véritable démocratie. Les regards se tournent en dernier recours vers le chef de l’Etat, serait-il seul en mesure de redresser la barre et de rendre aux Libanais leur confiance dans leur pays?

Mouna Béchara

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