Magazine Le Mensuel

Nº 2882 du vendredi 1er février 2013

ACTUALITIÉS

Morsi renoue avec les mauvaises habitudes de Moubarak

Deux ans après le renversement de Hosni Moubarak, l’Egypte reste le théâtre de violences répétées. Dans un contexte politique houleux, l’anniversaire de la chute du raïs le 25 janvier et le verdict du procès du match de Port-Saïd ont mis le feu aux poudres. Un week-end, 48 morts et un état d’urgence.

Des banderoles, des chants, des tags et des foules. A l’occasion du deuxième anniversaire du départ de Moubarak (25 janvier 2011/25 janvier 2013), les déçus de la Révolution ont vivement manifesté leur colère. «Frères musulmans, menteurs» ou «A bas le guide», si des centaines de milliers de manifestants ne font pas une opinion publique, Morsi et ses confrères sont réellement contestés par une partie de la population. Le président qui s’était accordé des pouvoirs exceptionnels par le décret du 22 novembre est accusé de verrouiller la scène politique et d’ouvrir la voie à une islamisation accrue de la société. Il a profité de l’adoption par référendum d’une Constitution contestée pour remanier son gouvernement en faisant la part belle aux Frères musulmans. Légitimée par les urnes, leur installation à des postes importants s’accélère et inquiète.
 

Samedi noir
Les manifestations populaires du 25 janvier ont pris un tour particulièrement violent à Suez et à Ismaïlia. Dans ces deux bastions de la mobilisation anti-Morsi, les heurts entre citoyens et policiers ont fait 8 morts avant que l’armée ne se déploie le lendemain matin. Ce même lendemain matin, 21 supporters du club d’al-Masry ont été jugés responsables des affrontements qui avaient coûté la vie à 74 personnes à la fin d’un match de football contre al-Ahly à Port-Saïd au mois de février 2012 et condamnés à mort. La colère de leurs proches ne s’est pas fait attendre. Les tentatives d’assaut sur la prison où ils étaient retenus et les affrontements dans la ville ont fait 36 victimes. De leur côté, rassemblés au Caire, les supporters du club de la capitale qui avaient menacé de mettre «le chaos» si les
sanctions s’avéraient trop légères ont exprimé leur satisfaction. Certains estiment que le gouvernement a préféré faire payer Port-Saïd que le Caire où les abords de la place Tahrir sont déjà particulièrement tendus. Morsi rappelle que «les décisions de justice doivent être respectées par tous. Elles ne sont pas dirigées contre une partie spécifique et ne sont pas partiales».
 
Le lendemain, de nouveaux heurts ont émaillé les funérailles des victimes de la veille. A quelques tirs ont succédé des scènes d’émeutes, des mouvements de foules sans que l’on sache réellement qui fait quoi. Des jeunes sans repères ni emploi, ni perspectives, des militants vêtus de noir et cagoulés sans vrais bagages idéologiques ont fait leur apparition place Tahrir. Aux déçus de la révolution se joignent des groupuscules plus proches des hooligans que des militants politiques. Le ministère de la Santé dénombrait 6 morts et près de 400 blessés, dont une soixantaine de policiers. Deux d’entre eux, tués la veille, ont eu droit à une cérémonie militaire au Caire. Symbole d’un profond malaise, quelques-uns de leurs collègues excédés ont, selon l’agence Mena, refusé au ministre de l’Intérieur le droit d’y participer. En raison de la persistance des violences, les ambassades des Etats-Unis et de Grande-Bretagne situées près de la place Tahrir ont suspendu leurs services publics. Lundi, les tumultes se poursuivaient, deux morts alourdissaient un bilan déjà catastrophique.

Le pharaon cherche l’apaisement
Dans ce contexte perturbé où on a même entendu l’opposition annoncer une deuxième révolution, Mohammad Morsi tente de jouer la carte de l’apaisement. Via les réseaux sociaux Facebook et Twitter, le président appelait «tous les citoyens à adhérer aux nobles valeurs de la révolution afin d’exprimer librement et pacifiquement leurs opinions, et à rejeter la violence dans les paroles et les actes». A l’échelle politique, les dirigeants du FSN (Front du salut national) ont été invités au dialogue au palais présidentiel. Hamdeen Sabbahi, Amr Moussa et Mohammad el-Baradei, qui avaient réclamé «un gouvernement de salut national» en menaçant de boycotter les législatives et de réclamer une présidentielle anticipée, ont décliné la proposition du chef de l’Etat. «Nous ne participerons pas à un dialogue vide de sens», a déclaré el-Baradei lundi devant les journalistes au Caire. Les exigences bien peu réalistes de l’opposition, comme la dissolution du gouvernement ou la rédaction d’une nouvelle Constitution, verrouillent encore davantage les négociations. Pas d’apaisement en vue donc.
Et c’est pourtant ce à quoi appelaient les chancelleries occidentales ce lundi. «Nous condamnons avec force les violences qui se déroulent dans plusieurs villes égyptiennes. Nous souhaitons que tous les Egyptiens expriment leurs positions de manière pacifique et que les dirigeants du pays disent clairement que la violence est inacceptable», a déclaré lundi soir le porte-parole de la Maison-Blanche Jay Carney. Un communiqué de l’Union européenne allait dans le même sens.
«La haute représentante de l’UE exhorte les autorités égyptiennes à restaurer le calme et l’ordre et appelle toutes les parties à la retenue, pour le meilleur intérêt du pays en cette période délicate de sa transition démocratique». Au risque de constater une évidence, on notera que ces annonces diplomatiques ressemblent pour le président Morsi bien plus à un soutien qu’à une condamnation.

La répression
Si l’apaisement politique n’est sans doute pas pour demain, le raïs égyptien doit obtenir l’apaisement de la rue. Sauf que «comme vous le savez tous, je suis contre les mesures exceptionnelles», nous annonce-t-il dans un discours télévisé. On aura beau dire qu’une mesure imposée pendant trente ans sous Moubarak n’est plus tout à fait exceptionnelle pour les Egyptiens, ce n’est qu’à contrecœur que l’état d’urgence levé en mai 2012 a été décrété par Morsi dimanche après-midi, dans les trois provinces de Port-Saïd, Suez et Ismaïlia, là où a eu lieu le plus gros des violences. C’est en ces termes qu’il s’exprimait à la télévision: «Pour éviter que le sang coule et pour protéger les citoyens, afin de sauver des vies humaines, j’ai décidé de décréter l’état d’urgence pour un délai de 30 jours»,  annonçant par la même occasion des mesures plus larges si les troubles perduraient. Cet état d’urgence inclut un couvre-feu entre 21 h et 6 h, ainsi qu’une présence accrue de l’armée aux côtés de la police pour garantir la sécurité des lieux publics.
Le Conseil consultatif (Chambre haute du Parlement égyptien) a ratifié lundi le projet de loi en précisant que les prérogatives données aux militaires deviennent les mêmes que celles de la police. On pense en particulier à la possibilité d’interpeller un civil. Selon ce Conseil consultatif, «cette loi permettra la protection des installations vitales de l’Etat jusqu’à la fin des élections législatives et chaque fois que le demandera le Conseil de défense nationale présidé par le chef de l’Etat Mohammad Morsi.
La situation sécuritaire de l’Egypte ne s’améliore pas, alors que le Pays des Pyramides subit de plus en plus violemment l’effondrement des investissements étrangers, la baisse du tourisme et l’accroissement des déficits budgétaires. Mohammad Morsi avait passé avec succès à la rentrée ses examens de passage en politique étrangère mais il semble se heurter au défi économique et social.
Pour y remédier, loin des palais et des centres de commandement, les Frères musulmans ont lancé une initiative d’action sociale et caritative appelée «Ensemble nous construisons l’Egypte».
Aujourd’hui vendredi, l’opposition appelait à la mobilisation générale. Et l’avenir semble sombre.

Antoine Wénisch
 


Salafyo costa
En nette recrudescence depuis le Printemps arabe, les communautarismes rongent la société égyptienne. A rebours de cette dynamique, un rassemblement a vu le jour pour les combattre. Nés à l’initiative d’un salafiste, les salafyo costa accueillent aussi chrétiens (30%), et libéraux ou socialistes (25%). Pourquoi Costa? Pour reprendre le nom de cette célèbre chaîne de cafés concurrente de Starbucks, un symbole très occidental donc. Le projet a été lancé par trois amis qui fréquentaient ce lieu, souvent à la surprise générale de leurs concitoyens qui n’avaient plus l’habitude de voir leur barbe touffue et leurs femmes intégralement voilées dans les cafés traditionnels. Le message est clair: «Nous sommes tous différents mais nous partageons plusieurs points communs. Cassons les préjugés nés de l’ignorance des communautés entre elles et construisons la nouvelle Egypte tous ensemble». Des salafistes qui luttent contre l’islamisation? Peu banal mais vrai. Pointant du doigt leur mise à l’écart de Nasser à Moubarak, ils ne veulent pas faire endurer le même sort aux chrétiens et militent pour des droits égaux pour tous. Ce groupe est caractéristique de l’idéologie à la carte des jeunes ultraconservateurs qui s’autorisent quelques libertés par rapport au discours des cheikhs. Leur humour et leur sens de l’autodérision plaident en leur faveur. Ateliers de débat ou matchs de football, les actions en faveur d’une meilleure compréhension intercommunautaire se multiplient et le mouvement compte désormais plus de 22000 membres sur sa page Facebook. Une raison d’espérer…

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