Il vient du Sud, du village de Aïnata, où il est né, marqué par une enfance qui a fait de lui l’homme qu’il est devenu. Poète, journaliste, il est pendant une quinzaine d’années l’hôte de l’émission culturelle de la Future TV khallik bel beit et présente actuellement Beit el Kassid sur la chaîne al Mayadeen. «Le salon d’automne» de Paris lui a octroyé un trophée d’appréciation et il est élu par Newsweek et Arabian Business l’une des personnalités arabes les plus influentes. Portrait de Zahi Wehbé.
C’est dans une chambre en terre battue où des hirondelles faisaient leurs nids au printemps et où jaillissait une eau de source que Zahi Wehbé a vu le jour. Il y a vécu les cinq premières années de sa vie. Son père ayant émigré en Australie, il est élevé par sa mère. «J’ai eu une enfance difficile sans pour autant être triste. J’ai hérité de ma mère le goût de la lecture. A l’âge de dix ans, j’avais déjà lu tous les grands classiques et un grand nombre de livres religieux», se souvient Zahi Wehbé.
Il a onze ans au début de la guerre. En 1982, durant l’invasion israélienne, il est arrêté à Tyr, où il combattait auprès des forces de gauche, et incarcéré pendant un an. «Mon expérience de la prison n’est rien en comparaison avec celle des vétérans qui y ont passé plus de vingt ans. Pourtant, cela m’a fait grandir avant terme». Il apprend alors que la liberté réside dans les plus infimes détails, toutes ces petites choses que l’on fait sans s’en rendre compte et sans les apprécier à leur juste valeur. «La liberté c’est aussi de décider chaque matin si on veut boire du café ou du thé, écouter la musique de son choix, s’habiller comme on veut. J’ai aussi appris que ma liberté s’arrête là où commence celle des autres», confie le journaliste. De cette période, des images sont à jamais gravées dans sa mémoire. Il se souvient encore du jour de sa libération, de sa mère attendant au bord de la route avant de faire des kilomètres au pas de course pour rattraper le bus qui le ramenait de la prison d’Ansar à Tyr. «J’ai failli sauter du bus en la voyant». Mais sa joie fut de courte durée. Alors qu’il suppliait sa mère de l’emmener à Beyrouth, celle-ci insiste à le ramener à Aïnata. En visitant ses sœurs et ses tantes, il remarque l’absence des hommes au village. Il blâme sa mère en constatant que ces derniers avaient fui et il est saisi de la peur d’être de nouveau capturé par les Israéliens. «J’ai entendu, à ce moment, les haut-parleurs qui diffusaient l’annonce du décès de Chafic Wehbé. J’ai mis quelques secondes avant de réaliser qu’il s’agissait de mon père. Il était mort en Australie la veille de ma sortie de prison. J’ai alors compris que tous les hommes du village étaient descendus à Beyrouth pour accueillir la dépouille».
A l’âge de 19 ans, Zahi Wehbé gagne Beyrouth et fait ses débuts dans une station de radio, la Voix de la résistance nationale. Il collabore ensuite au quotidien al Nidaa (organe du parti communiste) avant d’intégrer An Nahar. Il commence alors à frayer avec le monde culturel et se lie d’amitié avec des gens plus âgés que lui. «J’étais ami avec Paul Guiragossian, Yaacoub el-Chedraoui, Raymond Gébara, Nidal Achkar et bien d’autres». Il tombe sous le charme de la capitale et affirme que si le Sud est son lieu de naissance, Beyrouth est la ville de son cœur. «Moi, le fils de la campagne, l’ami des bergers, j’ai découvert Beyrouth et ses cafés. Je suis un mordu des cafés de Hamra et depuis trente ans j’y passe ma vie». D’ailleurs, notre entretien a lieu au café Lina’s, à Hamra, où Zahi Wehbé est visiblement un habitué des lieux. Pourtant, ses débuts ne sont pas faciles. Il ne possède pas de logement et c’est au studio qu’il dort. Alors qu’il travaille au Nidaa, pendant six ans, il vit au journal même. «Le plus dur c’est lorsque mes collègues s’en allaient et que le silence s’installait», dit-il. Mais tout cela ne fait que le rendre plus fort et plus combatif.
L’émission qui a changé sa vie
Après un bref passage à la NTV, Ahmad Kaabour lui propose de rejoindre la Future Tv qui venait tout juste d’être lancée. Il y passera vingt ans. Il débute par la rédaction des nouvelles culturelles. En 1996, il propose au directeur de la chaîne, Fouad Naïm, l’émission Khallik bel beit. «J’étais inscrit à la faculté de droit mais je n’ai pas continué mes études. L’université qui m’a diplômé c’est Khallik bel Beit. J’ai tellement appris de mes invités. Cette émission a changé ma vie. Elle m’a métamorphosé et a fait du jeune homme venant du Sud, qui s’amusait dans les rues de Beyrouth, une personne connue dans tout le monde arabe», confie Zahi Wehbé. Cette époque coïncide avec la parution de son premier recueil de poèmes Hattab el hira en 1990. Actuellement, il présente une émission culturelle Beit el Kassid sur la chaîne al Mayadeen et possède à son actif une vingtaine de recueils. Sa poésie a inspiré des musiciens qui ont mis des mélodies sur ses paroles, mais également des créateurs et des peintres. Amin Bacha, Alaa Hijazi, Maroun Hakim et d’autres ont peint des toiles inspirées de ses poèmes, alors que la créatrice égyptienne Izzat Fahmi a transformé les vers dédiés à sa mère en parure de bijoux composée de colliers, bracelets et boucles d’oreilles. Quant aux designers irakienne Hana Sadek et palestinienne Hamat Hennaoui, elles ont créé des robes brodées de ses vers. «Ce fut pour moi une expérience unique de voir mes poèmes sur les corps des mannequins», dit en souriant Zahi Wehbé.
Aujourd’hui, Zahi Wehbé est fier de ce qu’il a réalisé. Il a pourtant réussi à garder les pieds sur terre. «Le succès n’est pas facile. Beaucoup de gens partent de zéro, moi j’ai commencé à moins que zéro». Son rêve le plus cher est de composer des poèmes. «Je vis une vie de poète. La poésie ne se limite pas uniquement à l’écriture, c’est un mode de vie, une façon de voir les choses et de traiter avec les autres». Son mariage avec la présentatrice Rabiha Zayyat lui a apporté une grande sérénité. «Nous sommes une seule âme dans deux corps». Ils partagent ensemble beaucoup de choses, l’amour de la poésie et du théâtre. «Contrairement à toutes les femmes, lorsque nous voyageons, Rabiha passe très peu de temps à faire du shopping. Nous aimons tous les deux les villes culturelles, comme Florence et Vienne. Nous visitons ensemble les musées, les églises, on assiste également à des opéras et des concerts». Elle est la première, dit-il, à lire ses poèmes. Ils ont deux enfants: un garçon de 5 ans prénommé Dali, en hommage à Salvatore Dali, et une fille de 4 ans, Kanz (trésor). «Je suis contre toute forme de confessionnalisme et j’ai voulu donner à mes enfants des prénoms sans aucune connotation religieuse», souligne Zahi Wehbé. Ce qu’il a de plus cher au monde ce sont ses enfants. «J’ai construit une maison à Kadmous, au Sud, et nous y passons tous les week-ends. Nous cueillons ensemble des fruits et ils découvrent la nature. Je veux leur créer une relation avec la terre. Ils se sont introduits dans ma vie, dans ma poésie. J’essaie de leur donner tout ce dont j’ai été privé».
Joëlle Seif
Ce qu’il en pense
-Social Networking: «Je ne suis pas très doué pour ce genre de choses. Je possède une page Facebook créée par des amis. Je les tiens au courant de mes parutions et de mes activités. J’ai essayé d’être sur Twitter mais j’ai réalisé que c’était difficile de ne pas répondre à une centaine de messages par jour. Je songe à m’y remettre».
-Ses loisirs: «J’ai une humeur de poète. Tout en dépend. Il y a des jours où je suis bien, d’autres pas. Mon but est de me consacrer à la poésie et pour moi la page blanche est la plus belle création. C’est mon écran privé contrairement à la télévision qui s’introduit de force chez les gens. Ecrire est ma thérapie contre les maladies de la télévision».
-Sa devise: «La fameuse phrase de Saadallah Wannous: Nous sommes condamnés à l’espérance et ce qui se passe maintenant ne peut en aucun cas être la fin du monde».
J’attends quelqu’un qui attend quelqu’un d’autre
Je t’attends et je pense
Je pense à ceux qui, comme moi, attendent
Il y a toujours quelqu’un qui attend
Un amant en retard
Une femme n’est pas venue
Un nuage pluvieux
Un dernier train suit celui déjà parti
Un soleil qui sèche des tristesses nocturnes.
Il y a toujours quelqu’un qui attend
Cri de fœtus lavé dans les douleurs de l’enfantement
Sourire content sur le visage
Premiers balbutiements
Hésitations des mots et douceur des larmes
Le mot de maman
La démarche titubante
La cloche de la première journée scolaire
Le retour en classe.
Il est toujours quelqu’un qui attend
Un mot d’amour sincère
Un bouquet de roses ou une fiole de parfum
Une invitation à dîner éclairé aux bougies
Une carte de fête
Un ticket de voyage
La date de décollement d’un avion
L’appel qui annonce l’arrivée de l’avion
Etreinte dans la salle d’attente
Un regard qui comble un trou au cœur.
Un poème de Zahi Wehbé traduit de l’arabe par Vénus Khoury-Ghata et Issa Makhlouf.