Magazine Le Mensuel

Nº 2887 du vendredi 8 mars 2013

Santé

Perturbateurs endocriniens. Une menace mondiale

Mis en cause régulièrement par les scientifiques, les perturbateurs endocriniens sont au centre d’un rapport alarmiste, publié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Une première.

Ce n’est finalement qu’un secret de polichinelle. Depuis de nombreuses années, en effet, les études scientifiques se sont succédé à ce sujet, mettant en cause l’impact de nombreuses substances chimiques synthétiques sur la santé animale et humaine. Un cap a été franchi avec la publication d’un rapport historique, baptisé State of the science of endocrine dirupting chemicals, validé conjointement par l’OMS et le Programme des Nations unies pour l’environnement.
Dans ce rapport inédit, les auteurs ne cachent pas leur inquiétude et préconisent d’accroître les recherches et les évaluations sur les nombreuses substances chimiques présentes dans des produits de notre quotidien. Le rédacteur en chef du rapport, le Pr Ake Bergman, de l’Université de Stockholm, indique ainsi: «La science a montré que les perturbations endocriniennes pouvaient être beaucoup plus étendues et beaucoup plus complexes qu’on ne le pensait». «Il est clair que certains de ces polluants chimiques peuvent affecter le système endocrinien et (…) aussi interférer dans les processus de développement des êtres humains et des espèces animales», met en garde le rapport.
Et là où le bât blesse, c’est que ces substances chimiques, présentes par centaines de milliers, ne sont pas toutes connues, faute de recherches.

Cancers et fertilité
Avant tout, il faut savoir que le système endocrinien sert à réguler la sécrétion d’hormones essentielles au métabolisme, à la croissance, au développement, au sommeil et à l’humeur. Et il s’avère très sensible aux nombreuses substances chimiques présentes dans l’environnement. Ces produits chimiques – donc de synthèse –, figurent par exemple dans la composition de nombreux pesticides, de produits cosmétiques, de produits d’hygiène personnelle, mais aussi dans des appareils électroniques, dans les emballages ou encore dans les additifs alimentaires.
Et selon les experts, le contact avec ces perturbateurs endocriniens n’est pas sans conséquence pour la santé. Ils seraient responsables de troubles de la reproduction observés chez l’homme – comme par exemple les pubertés précoces ou l’infertilité –, mais aussi dans la hausse fulgurante de cancers (notamment du cerveau) et de leucémie chez les populations jeunes, notamment les enfants. La recrudescence d’enfants souffrant d’asthme est aussi inquiétante. Les perturbateurs sont également mis en cause dans le diabète de type 2, l’explosion des accidents cardio-vasculaires cérébraux, des maladies neuro-dégénératives comme Parkinson ou Alzheimer, et de l’obésité. Sans oublier leur impact sur la faune, avec la disparition de certaines espèces animales. Le rapport établit également que dans certains pays, jusqu’à 40% des jeunes hommes ont un sperme de mauvaise qualité, altérant leur fertilité, ou encore que «le taux global de cancers liés au système endocrinien a augmenté sur les 40 et 50 dernières années». Chez la population mâle, le constat est particulièrement inquiétant. Les perturbateurs endocriniens sont en effet incriminés dans la recrudescence de cryptorchidie, c’est-à-dire l’absence d’un ou des deux testicules dans le scrotum chez les jeunes garçons.
Le rapport pointe également la possible responsabilité de ces perturbateurs dans les troubles de comportement ou de l’apprentissage, ainsi que dans l’autisme, chez les enfants exposés avant ou après la naissance, devenant particulièrement vulnérables. Il apparaît que dans certains pays, ces troubles affectent jusqu’à 5 à 10% des enfants à la naissance.
Sur le banc des accusés, figurent des substances comme les phtalates, le bisphénol A, les parabens (voir encadré), pour les plus connues, et qui commencent, dans certains pays, à être interdites. Mais il existe encore des centaines de milliers de perturbateurs endocriniens possibles, que les chercheurs n’ont pas encore pu étudier.
La contamination, elle, se ferait via l’alimentation, notamment pour les substances présentes dans les contenants et les bouteilles. Elle se fait également par le biais des effluents industriels et urbains, par le ruissellement des terres agricoles, l’incinération et le rejet des déchets. Via la chaîne alimentaire aussi, ainsi que par l’inhalation de particules présentes dans l’air que l’on respire.
De fait, pour le consommateur, il s’avère difficile de les détecter. Car les produits chimiques sont très présents dans la vie moderne. Un constat qui pousse l’OMS et le PNUE à tirer la sonnette d’alarme, car il s’agit «d’une menace mondiale qui doit être résolue», et qui pourrait être «largement sous-estimée». D’où l’urgence de nouvelles recherches approfondies et une vigilance accrue de la part du consommateur.

Jenny Saleh

Pour consulter l’intégralité du rapport: unep.org/pdf/9789241505031_eng.pdf

Où les trouve-t-on?
Les phtalates, destinés à rendre les matières plastiques plus souples, sont présents notamment dans la fabrication de jouets, de tétines, de parfums et de médicaments, ainsi que dans les cosmétiques et les déodorants.
Le bisphénol A, interdit dans de nombreux pays, est largement utilisé dans le polycarbonate et les résines époxy, présents dans le revêtement intérieur des boîtes de conserve, des canettes et des canalisations.
Les parabens présentent des propriétés antibactériennes et antifongiques et sont pour cette raison couramment utilisés comme agents conservateurs dans l’industrie, pour les aliments, les boissons et les cosmétiques.
Ces substances sont aujourd’hui partiellement remplacées par d’autres par les grands industriels. Il s’agit d’ailleurs souvent d’un nouvel argument de vente sur les produits qui en contenaient par le passé, sur lesquels sont désormais apposés les  slogans «sans bisphénol A», ou «sans phtalates».
D’autres substances, moins connues du grand public, comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), les polychlorobiphényles (PCB), sont répandues dans notre environnement. On en trouve dans les contenants alimentaires, les solvants, les peintures, les pesticides, les résidus médicamenteux dans l’eau, les gaz d’échappement, la liste est longue.
    
Comment se protéger des produits chimiques?
Il ne faut pas se leurrer, il est impossible de se protéger à 100% des substances chimiques présentes dans notre quotidien. Toutefois, on peut adopter quelques mesures.
– Dans la cuisine, par exemple, on réchauffe les aliments au micro-ondes dans de la vaisselle en dur, sans couvrir d’un film plastique, afin d’éviter que le bisphénol A et les phtalates contaminent la nourriture.
– On remplace ses poêles et casseroles antiadhésives contenant du Teflon par d’autres en inox ou en fonte.
– On repère les récipients et emballages marqués du chiffre 7 ou d’un petit triangle, ce qui signifie qu’ils contiennent du polycarbonate et du bisphénol A. On privilégie alors les bouteilles en verre et les bocaux, plutôt que les conserves et les canettes.
– On limite la consommation de poissons comme le thon ou la lotte, qui contiennent du méthylmercure, toxique pour le cerveau des enfants, ou encore les poissons gras comme le saumon d’élevage, qui contiennent du PCB. Privilégier les poissons blancs, comme le colin, le cabillaud, le merlan.
– On lave soigneusement ses légumes cultivés localement et on épluche les fruits, pour enlever au maximum les pesticides.
– Dans la maison, on aère dix minutes par jour, matin et soir, hiver compris.
– On évite les désodorisants d’intérieur et autres insecticides et on privilégie les vaporisateurs ou les huiles essentielles.
– On fume sur le balcon, mais pas à l’intérieur: la fumée de cigarettes est le polluant intérieur le plus important, et il augmente les effets cancérigènes des autres toxiques.
– On vérifie la composition des jouets. Six phtalates ont déjà été interdits dans les jouets…
– Pour les cosmétiques, on lit les étiquettes et on choisit les produits qui ont le moins de composants possible.
– On évite les produits parfumés synthétiquement car ils renferment des phtalates, surtout pour les femmes enceintes ou qui allaitent.
– En ville, on marche, pour respirer un peu moins de dioxyde d’azote et de particules fines que si l’on est dans une voiture.

 

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