Depuis plusieurs semaines, fonctionnaires et enseignants du secteur public observent une grève ouverte, exigeant le transfert au Parlement de la grille des salaires. Ils avaient opté pour une grève d’un jour, puis de deux, en octobre et en novembre derniers, mais depuis février, la tactique a changé, c’est une grève ouverte. Les enseignants n’en sont pas à leur premier combat.
Au début de l’année 1973, un bras de fer avait opposé le gouvernement aux enseignants du secteur public. Il avait alors abouti au licenciement de 309 enseignants. L’affaire devait durer plusieurs mois avant d’être résolue.
Le 16 janvier 1973, quelque 16000 enseignants du secteur public sont en grève. Leurs revendications se résument au droit d’être syndiqués, à une prime de 40% sur leurs salaires et à la réorganisation de l’enseignement. Le gouvernement décide de recourir aux grands moyens. Après des négociations de plusieurs jours qui n’ont pas réussi à faire renoncer les enseignants à leur décision de grève, le Conseil des ministres donne son aval au ministre de l’Education, Albert Moukheiber, qui décide, le 27 janvier, de licencier 309 enseignants. Il les considère démissionnaires et les raye du corps enseignant.
La mesure suscite de vives réactions. Le 30 janvier, les étudiants et les instituteurs du privé, comme du public, se mettent tous en grève. Une grande manifestation estudiantine sillonne les rues environnantes de l’Unesco. Les gendarmes sont au rendez-vous. Ils utilisent les matraques, les grenades lacrymogènes et les crosses. Les étudiants persistent et les gendarmes ne reculent pas. Ils attaquent à trois reprises, obligeant les étudiants à se disperser et à vider la place. Le bilan est de 25 blessés parmi les étudiants dont cinq souffrant de graves blessures.
Cependant le lendemain, les étudiants sont de nouveau sur place, mais selon une nouvelle tactique ayant pour but de fatiguer les gendarmes. Ils se rassemblent par groupes, un peu partout, et harcèlent les gendarmes qui contre-attaquent. Le bilan s’alourdit. Plusieurs dizaines de blessés sont signalés et cinquante étudiants arrêtés.
Le gouvernement ne plie pas devant ces manifestations. Au contraire, il prend une mesure radicale: 309 nouveaux enseignants sont nommés à la place de ceux qui avaient été licenciés quatre jours plus tôt.
Ces mesures suscitent une large polémique. Le leader druze, Kamal Joumblatt, dénonce les agissements du gouvernement, soulignant que le «massacre des enseignants marquerait le régime d’une tache indélébile». Profitant d’une séance parlementaire, il se déchaîne contre ce qu’il appelle la «passivité des députés», et contre le gouvernement. Mais le gouvernement ne recule pas et maintient ses mesures.
Le 4 février, la grève s’arrête et les enseignants du public reprennent le travail. Cependant, les 309 licenciés n’en sont pas du nombre. Leur statut de démissionnaires est maintenu.
Le 14 mars, le Conseil des ministres prend des mesures sociales visant à calmer la rue, mais il ne se penche pas sur le cas des enseignants licenciés. Le chef de l’Etat avait refusé d’en parler ou de faire des concessions à ce sujet.
Les enseignants n’ont pas d’autre choix que de déposer une plainte auprès du conseil d’Etat. Ils demandent à réintégrer leurs postes et à annuler les dispositions prises contre eux. Mais l’affaire traîne. Elle se prolonge au printemps, en été et jusqu’au début de l’automne, les enseignants licenciés militent pour leur cause, mais aucune nouvelle mesure n’annule le licenciement.
Après de multiples tentatives et des négociations ardues, le 25 octobre, le chef du gouvernement Takieddine Solh annonce, après le conclave ministériel tenu pendant une semaine à Baabda, que les 309 enseignants réintègreront leurs postes. Un décret est adopté dans ce sens. Cependant, des conditions sont posées. Les enseignants seront réintégrés dans leur cadre, mais ne toucheront pas les mois de licenciement. Ils devront aussi retirer leur plainte auprès du conseil d’Etat. L’affaire est classée.
Arlette Kassas
Le droit à la grève
Le droit à la grève est garanti par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, un texte complémentaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Les informations utilisées dans cet article sont basées sur le Mémorial du Liban: mandat de Sleiman Frangieh de Joseph Chami.