Magazine Le Mensuel

Nº 2889 du vendredi 22 mars 2013

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Saint-Elie Btina. Une école dans une église

En regardant les cartes postales et les photographies d’archives, il est difficile de croire que le couvent orthodoxe de Saint-Elie Btina se trouvait à Beyrouth et qu’il y existe toujours. Hier encore entouré par des dunes de sable jouxtant la forêt de pins, la mer à l’horizon, le couvent Saint-Elie fait aujourd’hui partie d’un quartier résidentiel et industriel. Couvent, plus tout à fait. Si l’église persiste, le reste du bâtiment accueille, depuis 1953, les locaux d’une école du même nom.   

A quelques mètres du Palais de l’Unesco, dans le quartier qui porte son nom, l’édifice religieux de Saint-Elie se fait discret malgré lui. Faut-il encore lever les yeux pour découvrir son imposante bâtisse. De nos jours, son histoire renferme toujours mille et un mystères. Dans Beyrouth et ses faubourgs, l’historienne May Davie rappelle que le mazâr de Saint-Elie Btina, ainsi que la mosquée al-Khodr, «étaient des sites antiques dédiés à des saints militaires, défenses symboliques érigées à la limite du territoire urbain» de Beyrouth. Antique, car la tradition veut que saint Elie, ayant vécu au IXe siècle avant J.C., soit venu se cacher dans une grotte après le massacre des prêtres de Baal. Une grotte sur laquelle aurait été édifié le couvent.
Selon la publication de l’Université de Balamand, Les monastères du patriarcat orthodoxe d’Antioche, l’historien Asad Rustom estime que ledit monastère aurait été déserté il y a plus de 500 ans. Malgré l’absence de documentation sur la vie de l’édifice, l’historien a tout de même déniché dans les archives égyptiennes, la trace d’une permission de reconstruction du monastère, accordée sous le règne de Mohammad Ali (1832-1940).
Quant à May Davie, dans son Atlas historique des orthodoxes de Beyrouth et du Mont-Liban, elle affirme qu’à la fin de l’année 1886, «dans les faubourgs [de Beyrouth], les anciennes églises [orthodoxes] sont agrandies. Ornées de voûtes, de beaux piliers, de frontons et d’entrées monumentales, elles signalent la mutation des localités campagnardes en faubourgs urbains. Le couvent Mar Elias, qui n’était qu’une petite chapelle avec une pièce adjacente, est reconstruit dans le style des bâtiments d’époque, avec toit de tuiles rouges et façade ornée à l’arabe, d’arcs brisés».

Appartements d’été
Mais ce «nouveau» couvent n’aurait fonctionné que peu de temps. «En 1908, le métropolite de Beyrouth et du Mont-Liban planifia de fonder un séminaire à Saint-Elie Btina, mais le projet ne se réalisa jamais, lit-on dans l’ouvrage de Balamand. En conséquence, les cellules et les chambres nouvellement construites pour les séminaristes servirent d’appartements d’été pour les familles beyrouthines jusque dans les années 50». «A cette époque, note le père Attaya, il n’y avait rien jusqu’à la mer et l’air y était frais. Le couvent était encore entouré de verdure. Une situation idéale qui encourageait les familles beyrouthines à venir y louer une chambre». Père Attaya officie dans l’église de St-Elie à partir de 1976, «depuis, rien n’a changé», précise-t-il, assis dans son petit bureau au rez-de-chaussée de l’actuelle école. De là, il n’y a que quelques marches à faire pour accéder à l’église. Cachée de l’extérieur, elle dégage à l’intérieur une atmosphère sereine et chaleureuse, invitant les fidèles et les autres, à la méditation sur des bancs matelassés de duvet rouge. Entre ses voûtes, décorées de 1001 icônes, des encensoirs et des lustres majestueux ornent l’espace. Au fond de l’allée centrale, c’est derrière l’iconostase, que se serait réfugié saint Elie. On y distingue un étonnant «coquillage» sculpté à même la pierre par les Romains. «Car l’église a été construite dans la roche, précise l’historienne Leila Bader. On peut imaginer qu’avant d’être une église, le site a pu être une tombe romaine», suppose-t-elle. D’autre part, sur les parois de l’autel, des fresques murales de la fin du XIIe siècle – début du XIIIe – ont été découvertes il y a trois – quatre ans. C’est une équipe de spécialistes polonais qui s’est attelée à leur restauration (après avoir effectué celles de la chapelle Saints Serge et Bacchus de Kaftoun).
«La majorité du travail est aujourd’hui réalisée, continue Leila Bader. Sur l’une des fresques, on découvre une représentation du prophète Elie et de son emblématique corbeau. C’est d’ailleurs la première fois qu’on trouve l’inscription en grec ELIA qui identifie le prophète. Ce dernier est également représenté sur un charriot tiré par quatre chevaux le menant au ciel, comme le veut la tradition».
La sonnerie retentit et les cris des écoliers ne tardent pas à se faire entendre. Les étages supérieurs de l’ancien couvent accueillent, actuellement, quelque 600 élèves. L’école St-Elie Btina a été fondée en 1953 par un groupe de notables beyrouthins, réunis dans l’Association d’aide mutuelle de Moussaytbé et de Mazraa, présidée par Habib Abou Chahla.
«C’étaient des hommes d’affaires du quartier, explique Michel Bitar, le directeur de l’institution. La région accueillait déjà des usines de dalles et de marbre. Le but était d’enseigner aux élèves le rite orthodoxe et seuls 20% des écoliers n’étaient pas de confession chrétienne. Aujourd’hui, la situation s’est nettement inversée, affirme-t-il. A l’époque, la région était orthodoxe mais, avec le temps et la guerre, les gens se sont déplacés dans d’autres quartiers». Elève de seconde dans l’établissement en 1966, Michel Bitar y enseigne à partir de 1971 avant d’en prendre la direction douze ans plus tard, succédant à l’archimandrite Tryphon Nohra, qui avait inauguré l’école.

C’est au début des années soixante que l’établissement reçoit au-delà de ses premières classes intermédiaires, également les classes du jardin d’enfants et du secondaire, regroupant 500 petites têtes. «Durant cette période, elle était considérée comme l’une des écoles leaders au Liban, glanant les meilleurs résultats aux examens du baccalauréat», souligne l’ouvrage Les monastères du patriarcat orthodoxe d’Antioche.
Pendant la guerre civile libanaise, l’école Saint-Elie Btina voit les rangs de ses élèves tripler. «Nous avons accueilli les 1400 élèves du quartier. Il fallait s’organiser, se souvient le directeur. Nous avions mis en place deux périodes de cours, de 7h à 13h30 et de 13h30 à 18h. En 1982, le bâtiment a été endommagé par les soldats israéliens puis restauré en 1983. Je dois avouer que nous avons eu quelques problèmes, mais nous nous en sommes toujours bien sortis, dit-il. Nous étions en bons termes avec les habitants du quartier, leurs enfants étaient nos élèves».
Bientôt, une nouvelle page de l’histoire du «couvent» sera peut-être à écrire noir sur blanc. Considérée encore comme un lieu de pèlerinage autant par les musulmans que par les chrétiens, l’église St-Elie Btina pourrait se refaire une beauté. «Nous aimerions la rénover, mentionne père Attaya, et en profiter pour l’agrandir et l’améliorer car elle devient trop petite». Un projet en attente d’un permis du mouhafez de Beyrouth.

Delphine Darmency
 

Le corbeau et le saint
Le prophète saint Elie est très souvent représenté accompagné d’un corbeau noir. Un corbeau que l’on nomme Btina, qui serait peut-être dérivé d’un terme grec. Le mythe raconte que saint Elie, parti faire une retraite près d’un torrent, se serait nourri de ce que lui apportaient les corbeaux.

 

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