En signe de soutien au peuple palestinien, un groupe de hackers du collectif Anonymous a lancé, pour le premier week-end du mois d’avril, une cyber-attaque contre Israël. Les dégâts de cette opération sont difficiles à évaluer. Tandis qu’Anonymous revendique trois milliards de dollars de dommages, les responsables israéliens minimisent. Il semble toutefois que cette e-frappe ait été plus conséquente que les précédentes en novembre dernier et au début de 2012.
«Effacer Israël du cyberspace». Rien que ça. Tel était l’objectif annoncé dès samedi 6 avril par les pirates informatiques d’Anonymous. Nom de code #opIsraël. Instigateur Anon Ghost.
Le lendemain, le professeur Yitzhak ben Israël, fondateur du centre national contre la cybercriminalité, évoquait des dégâts «plus ou moins inexistants», soulignant qu’Anonymous n’avait «ni la capacité ni l’objectif de détruire les infrastructures essentielles du pays». De l’art de cacher la poussière sous le tapis. Moins proche du pouvoir et donc moins initié aux exercices rhétoriques de langue de bois, Guy Mizrahi, cofondateur de Cyberia, une agence de consultants en protection de données, reconnaît «une attaque importante, une vraie tempête, pas mal de sites gouvernementaux piratés, avec des messages laissés sur certains et des données dérobées sur d’autres». Les sites du Premier ministre, du ministère de la Défense, du ministère de l’éducation, du ministère des Affaires étrangères et du Bureau national des statistiques ont été temporairement paralysés. Le site d’une ONG, Larger than life, qui soutient les enfants atteints d’un cancer, a été particulièrement touché. Sur leur page Facebook, ses responsables annoncent que les Anonymous font apparaître sur leur site «des crânes, des drapeaux et toutes sortes de symboles qui prônent la haine et la violence». Ils regrettent par ailleurs l’attaque contre «le site d’une organisation dont l’objectif est de porter assistance à tous les enfants atteints de cancer en Israël sans distinction de race, ni de religion, ni de nationalité». Le lundi, plusieurs dysfonctionnements étaient encore à signaler. Dans un message tweeter, les activistes masqués estiment avoir piraté au total 100000 sites, 40000 comptes Facebook et 30000 comptes bancaires et évaluent les préjudices à trois milliards de dollars.
Israël mieux préparé
Incontestablement, l’attaque est d’une ampleur supérieure aux précédentes, mais les experts israéliens affirment qu’ils étaient mieux préparés que par le passé. La quasi-totalité des sites réellement endommagés serait des sites privés d’importance moyenne voire petite qui ne bénéficiaient que d’un minimum de protection. Aucune donnée sensible ne semble avoir été dérobée.
A cet égard, les spécialistes rappellent qu’il est impératif de tenir une régulière mise à jour de son système antivirus. Les logiciels antivirus enregistrent et se défendent contre tous les fichiers potentiellement malveillants. Afin de reconnaître la nocivité ou non d’un fichier, le système dispose d’une base de données importante. Pour mettre à jour cette dernière, les logiciels antivirus utilisent un «pot de miel». Ces pots de miel ont l’apparence d’un ordinateur défectueux de l’extérieur et attirent les attaques. Lors de la mise à jour de l’antivirus, la base de données intègre les fichiers émanant de ces attaques et crée les moyens de se défendre face à celles-ci. C’est la raison pour laquelle il est indispensable d’effectuer régulièrement un rafraîchissement du système. Sinon il devient inefficace.
En novembre dernier, les hackers avaient révélé une liste de soutien à Israël et étaient parvenus à défacer (anglicisme désignant la modification non sollicitée de la présentation d’un site web, à la suite du piratage de ce site) les services en ligne de Microsoft et de CNN. Début 2012, ils avaient ciblé la Bourse et la compagnie aérienne el Al. Ce sont plusieurs dizaines de millions de tentatives de piratage qui ont été lancées.
Les forces de sécurité jordaniennes ont arrêté plusieurs jeunes activistes suspectés d’avoir pris part à l’attaque contre l’entité sioniste. En réponse, Anonymous a menacé sans attendre de cibler les sites jordaniens. Leur revendication est claire: la libération immédiate et sans conditions des personnes retenues prisonnières. Un groupe Facebook titré Jordanie: la troisième intifada a réaffirmé avoir atteint 100000 sites israéliens. «Aujourd’hui, nous avons envahi leurs sites Internet et leurs forteresses électroniques, mais demain ce sera chez eux que nous les attaquerons, dans leurs maisons qu’ils ont construites sur notre terre et qui nous dépouillent de nos droits», peut-on lire sur cette page.
Pour le sociologue et essayiste Cédric Biagini, les individus se revendiquant d’Anonymous partagent une vision «simpliste et infantile du monde» et «incarnent un nouveau type de militantisme détaché de tout véritable engagement».
Antoine Wénisch
Faux collectif, vrai phénomène
Anonymous est un mouvement hacktiviste popularisé par Internet en 2008. A l’origine, anonymous correspond à la mention qui définit une personne partageant un contenu Internet sans identification préalable. Avec la notoriété grandissante des forums de partage anonyme dits «imageboards», l’idée qu’Anonymous puisse être une personne réelle a grandi par plaisanterie. L’expression a commencé à être utilisée en 2006, mais ne s’officialise que lorsque le projet Chanology – un projet d’attaques cybernétiques contre l’Eglise de scientologie – est lancé en 2008 par des individus se revendiquant d’Anonymous.
Anonymous n’est lié à aucune entité spécifique. N’étant ni une organisation, ni un quelconque club, il est impossible de le rejoindre officiellement. Il n’y a pas de leadership, pas de frais, pas de classement, et aucun moyen de communication unique. Comme il n’y a pas de groupe précis, chacun peut se revendiquer de leur mouvement. Les actions qui lui sont attribuées sont entreprises par des individus non-identifiés.
En 2012, la société Early Flicker pense pouvoir tirer profit de la renommée du groupe. Elle dépose à l’Institut national de la propriété industrielle en France, le logo et le slogan du groupe. Sous pression du groupe, elle fait marche arrière quelques jours plus tard. Anonymous ne peut pas représenter une entité physique, c’est «la première super-conscience construite par Internet», écrit Chris Lander, un journaliste américain.
Les activistes agissent par le biais de piratages Internet ou de manifestations pacifiques. Le cas échéant, ils apparaissent le visage couvert d’un masque de Guy Fawkes, en référence à la bande dessinée et à son adaptation cinématographique V pour Vendetta. Leurs cibles sont diverses: les pays où la censure d’Internet est importante, ceux qui ont approuvé la fermeture de MegaUpload,
l’Eglise scientologique, Israël, ou récemment la Corée du Nord. Anonymous a également accompagné la création du mouvement Occupy Wall Street.