Magazine Le Mensuel

Nº 2893 du vendredi 19 avril 2013

general

Peter Dorman.Un Américain bien levantin

Entre lui et le Liban, c’est une longue histoire. C’est comme s’il était prédestiné à y revenir un jour, lui qui est né à Beyrouth, alors que l’Etat libanais naissait à peine. Près de soixante ans plus tard, il y retourne en 2008, en tant que quinzième président de l’Université américaine de Beyrouth (AUB). Portrait de Peter Dorman.

«Je ne l’ai pas choisi. Ça devait arriver. Je me suis demandé ce que je pouvais offrir à l’AUB et aujourd’hui je suis heureux d’être là», confie le président Peter Dorman. Arrière petit-fils du fondateur de l’AUB, le révérend Daniel Bliss, dont la fameuse rue Bliss porte le nom, Peter Dorman est né en 1948 à l’hôpital américain de Beyrouth. Il a vécu jusqu’à l’âge de quatorze ans au Liban. «J’habitais entre la rue Bliss et la rue Makdessi et j’allais à l’American Community School (ACS) avec mes frères et sœurs». Il se souvient encore des étés passés à Chemlan, «non loin de Souk el-Gharb». Peter Dorman a grandi proche de la nature. Il a en mémoire l’odeur particulière de la terre et les bruits de la montagne. L’odeur de l’herbe en été, des fleurs d’orangers au printemps, des pins et le bruit des cigales. Son père s’intéressait à l’archéologie, la géologie et la peinture. «A l’époque, il y avait encore beaucoup de plages. On peignait la côte». C’est à Damour qu’ils allaient se baigner. Avec nostalgie, il se souvient des pastèques qu’ils laissaient refroidir dans l’eau. «J’ai de très beaux souvenirs de cette époque. Nous allions aussi très souvent à Jbeil visiter les sites archéologiques». Il est fortement impressionné par le site de Nahr el-Kalb, témoin de l’importance du Liban en tant que croisement des civilisations. «C’est un site merveilleux qui n’existe nulle part ailleurs au monde. Toutes les civilisations y sont passées et y ont laissé leurs traces car qui contrôle la route contrôle la côte».
«En fait, ce sont mes souvenirs d’enfance à Beyrouth qui ont rendu possible mon retour après toutes ces années». Des années que Peter Dorman passe entre Chicago, New York, où il fut, pendant dix ans, responsable du département d’art égyptien du Metropolitan Museum et Louxor en Egypte. Il obtient un diplôme en anthropologie de l’Amherst College puis un PhD de l’Université de Chicago. Il se spécialise par la suite en égyptologie. «Ce fut certainement la conséquence de mon enfance. Je cherchais à me spécialiser. Mon oncle m’avait dit qu’il y avait un besoin de gens capables d’aller en Egypte. A cette époque, je ne savais rien de ce pays. J’ai alors commencé à étudier à Chicago. Le programme était très intéressant et j’ai retrouvé une connexion avec le Levant». Il se passionne pour l’égyptologie. Pour lui, les hiéroglyphes se lisent comme n’importe quelle histoire. Les dix années qu’il passe au Metropolitan Museum lui offrent l’occasion de plonger au cœur de la collection d’art égyptien du musée. Peter Dorman est ensuite engagé par l’Université de Chicago pour mener des expéditions en Egypte, à Louxor, où il passe neuf années. «On y travaillait en hiver car en été la chaleur y est insoutenable».   

Un polyglotte
A part l’anglais, le français et l’allemand, Peter Dorman parle parfaitement l’arabe. Avec amusement, il raconte que les Libanais l’accusent d’avoir un accent égyptien, alors que les Egyptiens trouvent qu’il a un accent libanais. «Au Liban, on passe d’une langue à l’autre avec une telle facilité! Il faut toujours être prêt. Vous arrivez au restaurant, on s’adresse d’abord à vous en français, puis en anglais et en dernier lieu en arabe». Lui, qui a connu le Liban dans les années 50, constate les grands changements qui sont survenus. «C’est très différent de ce que j’ai connu. Beyrouth est beaucoup plus grande et il y a un grave problème d’infrastructure. Le bel environnement dans lequel j’ai vécu n’existe plus. Depuis la guerre civile, le défi est de contrôler l’expansion de la population en vue de préserver les ressources naturelles pour les générations futures». Aujourd’hui, l’AUB est un modèle de sensibilisation des étudiants à l’environnement. «Il faut les sensibiliser pour préserver les ressources naturelles, leur apprendre le respect pour toutes les populations qui vivent dans ce pays». Pour lui, il est facile de s’intégrer au Liban. Pourtant, il réalise qu’il existe une profonde fracture dans la société libanaise. «Quand j’étais enfant, à l’âge de 13 ans, on vivait ensemble druzes, chrétiens et musulmans. Les échanges étaient continus. Mais, maintenant, il y a une tension que je ressens».

L’éducation au Liban
«Il existe un grand nombre d’universités au Liban mais beaucoup ne sont pas accréditées. Elles ne donnent aucune éducation à leurs étudiants et n’ont pour but que le profit. Les plus grandes universités ont maintenu leurs niveaux». Le président de l’AUB dit avoir conscience de la compétitivité dans la région. «C’est pour cela que nous essayons d’améliorer sans cesse nos programmes pour assurer une meilleure éducation à nos étudiants et leur offrir un bagage solide». Par le passé, il y avait un plus grand nombre de professeurs américains et européens. «Actuellement, nous avons la chance de pouvoir recruter des enseignants détenteurs de PhD dans les universités américaines et européennes. Notre défi est de faire de l’AUB un endroit approprié aux étudiants et nous essayons d’attirer un plus grand nombre de l’étranger. L’instabilité de la situation demeure le plus grand handicap». C’est à travers les échanges qu’organise l’université que les mentalités changent. Beaucoup d’étudiants américains veulent venir au Liban, mais ce sont leurs parents qui ont peur et les en empêchent. De même qu’un grand nombre de Libanais voudraient aller aux Etats-Unis, mais les incidents dont on entend parler sur les fusillades et le port d’armes les dissuadent. «Les Américains qui viennent au Liban changent complètement d’opinion sur le pays. Les échanges sont le meilleur moyen de briser les idées préconçues et les fausses impressions». Peter Dorman raconte que lorsqu’ils avaient annoncé à leurs amis à Chicago qu’ils avaient l’intention de venir au Liban, ils ont cru qu’ils avaient perdu la tête.

Ses journées commencent à six heures du matin. Il démarre par la lecture de ses emails et des journaux avant d’être à huit heures à son bureau. De réunion en réunion, il s’octroie à l’heure du déjeuner une pause pour faire du sport. Il assiste souvent à des conférences sur le campus. «C’est aussi une occasion de rencontrer les gens, de leur parler et surtout de les écouter». Malgré un emploi de temps chargé, il essaie de garder sa porte ouverte à tous. Il discute avec les étudiants, s’enquiert des jardiniers sur le campus et se rend souvent à la cafétéria où il parle avec tout le monde. «J’essaie de répondre à tous les messages que je reçois mais malheureusement, faute de temps, je ne peux pas le faire à tous ceux qui veulent s’adresser à moi». Peter Dorman possède une très belle voix et il lui arrive, souvent, de chanter en public. C’est avec son épouse Kathy qu’il vit au Liban. Ils se sont rencontrés à Istanbul où Kathy enseignait l’anglais dans une école turque. Ils ont deux filles: l’une vit à Londres et l’autre à Washington. Dorman confie que son épouse possède le même tempérament aventurier que lui. Lorsqu’on lui pose une question concernant l’adaptation de Kathy au Liban, il répond avec humour: «Si elle a survécu à Louxor, elle peut survivre partout ailleurs».
 

Joëlle Seif 
 

Ce qu’il en pense
-Social Networking: «Je suis sur Twitter car c’est le meilleur moyen pour être en contact avec les étudiants, d’être au courant de ce qui se passe. C’est aussi une façon d’échanger les idées avec les étudiants et de suivre leurs activités. Récemment, j’ai ouvert un compte Facebook pour voir les photos de ma petite-fille!».
-Ses loisirs: «J’ai très peu de temps pour les loisirs mais j’aime beaucoup la lecture d’ouvrages historiques».
-Sa devise: «Etre à l’écoute. J’aime comprendre les problèmes des gens. Il faut écouter tout le monde».

Un moment historique
Selon Peter Dorman, le monde arabe vit un moment historique. «Les sociétés arabes étaient sous une dictature transmise de père en fils. Elles essaient de redéfinir aujourd’hui ce qu’elles veulent». Ces sociétés se révoltent contre les procédés économiques suivis, la corruption, la mainmise de la classe régnante sur les richesses naturelles de l’Etat, l’absence de responsabilité. «A l’AUB, nous nous concentrons sur la création du concept de citoyenneté chez les étudiants. On leur apprend à assumer la responsabilité citoyenne. On les encourage à parler de leurs convictions et à être responsables de leurs actes». On assiste actuellement à un éveil de la démocratie. «Mais on ne peut pas importer les modèles étrangers. Chacun doit créer son propre modèle. C’est cette partie-là qui est intéressante et c’est pour cette raison que les gens instruits doivent prendre part à ce processus. Notre mission est de les préparer à tenir ce rôle».

 

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