Les 4 et 5 mai, le Liban s’expose à la crypte de Saint-Joseph dans la première exposition photos de Philippine de Clermont-Tonnerre et Bachir el-Khoury. Un voyage visuel et sonore où nous emporte ce couple, désireux de partager une émotion et de faire passer un message.
«Aujourd’hui le Liban, loin de ces beaux clichés glorifiants, est ravagé par le béton, la pellette et les marteaux piqueurs des requins de l’ère immobilière, de l’avidité financière et de la vulgarité. Ses traditions, ses villages, ses petites ruelles, ses hommes et ses femmes à la pudeur infinie, disparaissent jour après jour, à petit feu, gentiment, sadiquement».
200 photos pour un fou, c’est le cri du cœur de deux amoureux de Beyrouth, du Liban, Philippine de Clermont-Tonnerre, enseignante au collège Louise Wegmann, et Bachir el-Khoury, professeur à l’Université Saint-Joseph, tous deux journalistes. «L’enseignement a été pour nous une vraie révélation, explique Khoury. A l’instar du journalisme, il y a ce même engagement, cette même envie de transmettre et de communiquer des idées. Celles-là mêmes qui nous ont poussés à faire cette exposition». «Cours, photographies, articles, tous les supports sont bons pour s’exprimer», poursuit Philippine.
200 photos pour un fou, c’est l’histoire d’une rencontre, du voyage d’un couple à travers le Pays du Cèdre et l’envie de le faire partager dans un premier projet en commun. Passionnés par les mêmes choses, les deux amoureux explorent le Liban de long en large et le photographient sur toutes ses coutures. «Bachir, Libanais, me faisait découvrir son pays, le redécouvrant à la fois. Moi, étrangère, j’avais soif de comprendre et de découvrir de nouveaux visages». Ensemble, ils échangent leurs réflexions sur l’identité du Liban, sa beauté, ses travers et partagent la même sensation d’une menace qui pèse sur lui. «Les belles choses disparaissent et deviennent rares, alors on s’y attache encore plus car on sait que le temps presse», note Philippine.
200 photos pour un fou, c’est l’expression d’une passion mêlée à des frustrations. «Je ressens beaucoup de dégoût à constater que les choses évoluent à l’envers, reprend Bachir. Le Liban possède un fort potentiel au niveau de ses paysages, son peuple, sa société et sa culture, mais le pays est devenu le miroir de tout ce qui est vulgaire et agressif, notamment à travers son urbanisation».
Concernant leurs photographies, ils décident il y a deux mois de les rassembler et de les exposer pour exprimer ce qu’ils ressentent, «ce dégoût de voir de belles choses encerclées par le reste». Et si leurs clichés sont amateurs, ce n’est pas l’essentiel.
«Nos photographies sont celles que n’importe qui pourrait prendre, mais elles ne sont pas sur n’importe quoi, souligne Philippine. Ce sont des traces de moments intenses et intimes. C’est une sorte de mise à nu. Nous les exposons pour nous et pour les autres, pour partager une émotion». «Notre valeur ajoutée, ce n’est pas la technique artistique mais c’est faire parvenir, sans prétention, un message, insiste Bachir. Et en passant, ajoute-t-il, démystifier l’arène de la photographie souvent réservée aux photographes professionnels, privilégiant parfois la recherche artistique au détriment du message. Pour nous, l’esprit de la photo importe plus que la technique. Nous voulions montrer ce qui nous rattache au pays, le parfum qui s’en dégage».
Et c’est à travers cinq thèmes qu’ils l’expriment: (Mon)-t Liban, Beyrouth ya sett el dounya, les 10000 kilodiversités, la vieille et la bête et Marie l’islamo-chrétienne. Des thèmes qui seront illustrés par des photographies bien sûr mais également par des textes, des vidéos et des enregistrements sonores des «20 poèmes pour un amour» de la poétesse Nadia Tuéni lus par Nizar Kabbani. «Ces poèmes résonnaient avec l’esprit de notre exposition», affirme Philippine. Le titre 200 photos pour un fou en est d’ailleurs inspiré. «Nous avons envie de dire à Nadia Tuéni que son Beyrouth est devenue encore plus folle, complètement folle, lance Bachir. Elle nous fascine, elle nous déprime». «Et nous tient éveillés», complète Philippine.
Quant à la mise en scène de son exposition, le couple nous réserve quelques surprises. Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura du bricolage et de l’imagination pour permettre à toute cette matière de s’exprimer au mieux, de façon interactive.
Delphine Darmency