Souhaitant s’appuyer sur une idéologie partagée par la majorité de la population, Vladimir Poutine multiplie gestes de bonne volonté et concessions envers l’Eglise orthodoxe, qui devient un élément incontournable de la politique intérieure et extérieure de la Russie.
Le 9 avril, la Douma votait en première lecture le projet de loi sur les offenses aux sentiments des croyants. Le texte, présenté par le parti gouvernemental Russie unie, vise à punir de peines de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans de privation de liberté toute personne qui, par ses propos ou ses actes, porterait atteinte aux sentiments des croyants. L’église, par la voix du père Vsevolod Tchaplin, chargé des relations avec la société civile au patriarcat de Moscou, a exprimé sa satisfaction. Les dignitaires religieux musulmans ont également approuvé la nouvelle loi, par contre les représentants de la communauté israélite ont émis des réserves faisant remarquer que la loi actuelle leur paraissait tout à fait suffisante. «Je ne suis pas partisan de sanctions pénales»,a commenté à la radio, La voix de la Russie le rabbin Zinovii Kogan. Quant aux défenseurs des droits de l’homme, ils estiment qu’il s’agit d’une violation flagrante des principes de la Constitution qui stipule l’égalité de tous les citoyens devant la loi. «Le texte adopté par la Douma attribue des privilèges à un groupe de citoyens, il est en conséquence inconstitutionnel dans un Etat qui s’affirme laïque», a écrit dans son blog le défenseur des droits de l’homme, Serge Kovalev.
Besoin de légitimité
Les événements de l’hiver dernier: vague de manifestations après les élections législatives de décembre 2011, considérées par une partie de la population comme truquées, désacralisation de l’image de Vladimir Poutine, affaire des Pussy Riot, ont été ressentis comme le signal de la perte de légitimité du pouvoir.
Par ailleurs, conscient des limites de «la démocratie du marché», qui avait assuré depuis douze ans la paix civile dans le pays, de la remise en cause de sa propre légitimité et de l’échec de toutes les tentatives d’implanter une nouvelle idéologie, le président russe s’est retourné vers des valeurs qui, en d’autres temps, avaient fait leurs preuves: le sentiment national et les valeurs orthodoxes, «Les deux piliers sur lesquels la nation russe s’est cimentée» (discours de Poutine devant les Chambres au début du mois de décembre).
D’un autre côté, les principes de l’orthodoxie, qui place la morale chrétienne avant les droits de l’homme et souligne le caractère sacré du pouvoir temporel, s’inscrivent dans le cadre «du modèle russe» dont le chef de l’Etat est un chaud partisan.
Dans ce contexte, Vladimir Poutine, qui ne perd pas une occasion pour rappeler «le caractère laïque, multiethnique et multiconfessionnel de la Russie», a présenté à l’examen des députés des projets de lois inspirés par la conception orthodoxe du monde: loi contre la propagande de l’homosexualité, loi sur la défense des sentiments des croyants, une loi sur les associations non gouvernementales, sur la calomnie, sur l’interdiction de l’adoption d’enfants russes par les Américains…
Cette nouvelle orientation pose problème et accentue les clivages. Au sein même de l’Eglise, des voix commencent à se faire entendre pour mettre en garde contre cette politique aux effets particulièrement pervers pour l’orthodoxie, qui se coupe de plus en plus de l’ensemble de la société. «L’orthodoxie n’est pas une idéologie, c’est un idéal, l’Eglise est ouverte à tous indépendamment de leurs opinions politiques. Il faut éviter toute confrontation entre l’Eglise et la société», estime le père Alexeï Ouminiskiy. Opinion que ne partage pas le père Dimitri Smirnov, connu pour ses positions conservatrices. «L’ambition de l’Eglise est de jouer un rôle dans la société même si celle-ci le refuse», estime-t-il. Quant au père Vladimir Viguilianski, dans un article paru le 30 avril dans une revue chrétienne, il déconseille aux croyants de participer à des manifestations politiques pendant la période pascale.
Nathalie Ouvaroff, Moscou
L’orthodoxie en chiffres
Selon les derniers chiffres du patriarcat de Moscou, l’Eglise orthodoxe compterait à l’heure actuelle 157 diocèses, répartis dans sept pays; 29269 paroisses dont 13500 en Fédération de Russie. 884 monastères et couvents, 5 académies de théologie et 87 écoles de théologie.Par ailleurs, 80% des Russes ethniques se réclament de l’orthodoxie, mais seulement entre 3 et 7% vivent et pratiquent leur foi. Pour le reste, il s’agit d’un réflexe identitaire ou de superstition.