Pierres angulaires du système politique du pays, les députés bénéficient de privilèges extrêmement alléchants qui semblent trancher avec l’inactivité chronique du Parlement. Production législative rachitique, absentéisme… Place de l’Etoile, les bons éléments sont-ils des oiseaux rares? La vérité sur les chiffres.
En France, on parle d’agenda de député. Au Liban, le député assure la comparaison, et haut la main. Pour la simple et bonne raison qu’il cumule plusieurs jobs. Pour ses administrés, il est le directeur des ressources humaines, celui vers qui on se tourne pour tel ou tel service. De manière plus prosaïque, celui qu’on invite aux mariages et aux enterrements… Les raisons de cette proximité? Petit comparatif: dans les pays occidentaux, chaque député ou l’équivalent représente aux alentours de 100000 habitants, un chiffre qui résulte du rapport entre la population globale et le nombre d’élus qui la représentent. Au Liban, le même calcul donne un total de 35000. Petit nombre, grandes responsabilités. L’équation est d’une simplicité dramatique. Pour les raisons communautaires et familiales que l’on sait, même le plus talentueux des tribuns aura beaucoup du mal à convaincre le citoyen lambda de modifier ses convictions politiques. En revanche, un petit piston, même minime, peut changer la donne. Et dans ce pays qui manque tellement de corps intermédiaires, le champ d’action du député est tout trouvé.
Un travail de titan
Voilà pour le côté représentant du peuple qui l’accapare de manière tentaculaire, au détriment sans doute du travail législatif. Les traditions et la vie politique de ces vingt dernières années ont peut-être entamé cet état de fait, mais le député est un législateur. En théorie, il produit, discute et vote les lois. Sur ce dossier, les chiffres fournis par le bureau du Parlement sont faméliques. Au cours de l’exercice 2012, le Parlement s’est réuni cinq fois en séance plénière, trois fois pour des séances de votation en février, mars et juillet. Au cours de ces trois séances, 45 lois ont été votées: 14 propositions déposées par les députés et 31 projets de loi déposés par le gouvernement. Moins d’une loi par semaine. En 2011, le total tombe à 19 lois.
Le député du Metn, Ghassan Moukheiber, a fait les comptes. En 18 ans, le Parlement a tenu 86 séances législatives, 16 séances de questions-réponses et 7 séances de politique générale. Le chiffre est famélique, notamment lorsqu’il est comparé aux statistiques des pays de l’Union européenne et des Etats-Unis qui votent en gros deux fois plus de lois.
Quelles en sont les raisons? En théorie, le système parlementaire devrait avoir l’avantage de permettre au débat démocratique de s’exprimer. En France, lors des séances de questions au gouvernement, la majorité soutient et l’opposition gronde. C’est quelquefois violent mais toutes les sensibilités s’expriment et l’institution est respectée. Au Liban, la première victime de l’instabilité politique, c’est le Parlement. La tenue d’une séance est elle-même l’objet de débats politiques. Ces dix dernières années, le 14 mars et ses opposants n’ont pas hésité à boycotter les séances du Parlement, dans l’hémicycle et dans les Commissions, pour exprimer leur mécontentement. Conséquence directe, aux dires du bureau du Parlement, près de 300 lois traînent encore dans les tiroirs du secrétariat, certaines déposées depuis plusieurs années.
Au sein du Parlement, on retrouve quatre sortes de députés. Ceux qui, comme Ghassan Moukheiber, se sont focalisés sur le travail législatif. Le Bloc parlementaire du Courant patriotique libre (CPL) auquel il appartient, qui s’est donné pour ambition de réformer le pays, est d’ailleurs l’un des blocs les plus productifs de l’Assemblée. Il y a les vieux routiers du Parlement, qui exercent leur mandat législatif dans leur domaine de prédilection comme les médecins dans le domaine de la santé, les avocats dans celui des dispositifs législatifs ou les ingénieurs sur la législation du bâti. Ensuite, les jeunes premiers, ceux qui exercent le mandat pour la première fois, des touche-à-tout dont la contribution législative n’est pas négligeable.
Un job en or
Et puis il y a ceux qui ne viennent au Parlement que très rarement; les uns pour des raisons de sécurité, les autres parce qu’ils ont d’autres activités professionnelles ou ceux qui, tout simplement, ne voient aucune utilité à se rendre place de l’Etoile. Dans les couloirs du Parlement, s’étendent les bureaux auxquels ont droit tous les députés. Une petite balade dans les couloirs et l’ouïe en alerte suffisent pour identifier les élus sérieux. Très souvent, le silence y est mortifère. Comment justifier alors leur traitement, ô combien avantageux! Jeter l’anathème sur l’ensemble des élus serait simpliste et erroné. Sans doute était-il maladroit qu’au moment du débat sur la grille des salaires, certains élus aient émis l’idée d’une augmentation de leurs rémunérations. Tout récemment, le leader du PSP, Walid Joumblatt, avançait celle de leur réduction, comme l’ont fait les pays européens englués dans la crise économique.
Un député est rétribué 7500 dollars par mois, à peu près comme un ministre mais moins que le président du Parlement, le Premier ministre ou le chef de l’Etat payés 11500 dollars par mois. L’Etat libanais dépense 16 millions de dollars par an pour rémunérer tous ses représentants. Le député touche un salaire fixe et bénéficie de quelques avantages comme le fonds de solidarité parlementaire qui rétribue les élus, un fonds financé conjointement par l’Etat et les députés qui y cotisent à hauteur de 67 dollars par mois. Le ministère des Travaux publics consacre une partie de son budget à la convenance des élus pour financer par exemple les travaux d’asphaltage. Ajoutez-y les facilités de paiement sur les dépenses de santé, les déplacements en avion, une voiture et ses deux gardes du corps…Tout cela, pendant l’exercice de ces quatre ans de mandat. Voilà pour les 128 députés.
Pour les 310 anciens députés encore vivants et les familles des 103 élus décédés, c’est comme si rien n’avait changé. Les anciens députés qui ont exercé un mandat complet touchent 55% de leurs salaires; 65% pour ceux qui ont exercé deux mandats et 75% pour ceux qui ont exercé trois mandats et plus. Lorsque ces ex-élus disparaissent, la retraite dorée est attribuée à la famille du défunt.
Les élus, miroirs de la société
Sur l’échelle de la richesse personnelle, tous les députés ne sont pas logés à la même enseigne. Les héritiers des grandes familles politiques, les notables des régions propriétaires de milliers d’hectares de terrains, ces hommes d’affaires qui ont largement réussi dans le privé, pour tous les députés membres de ces catégories sociales, le salaire de député n’est qu’un complément, un pécule qui sert à payer l’essence, le bureau, le personnel sécuritaire ou le teinturier. Pour les autres, le salaire ne suffit pas. Dans son agenda, le député a plusieurs obligations publiques par jour. Des mariages, des enterrements, des messes, des soirées associatives religieuses, culturelles ou sportives, voilà pour le relationnel. Ensuite, les services à la personne. Des demandes d’emploi à la pelle, des électeurs à sortir du guêpier policier ou judiciaire, des passe-droits sans arrêt, répondre au téléphone tout le temps parce qu’un appel pas pris peut valoir un électeur en moins. Puis il faut soigner les relations avec les personnalités de la région, les maires, les préfets, les juges, les directeurs régionaux, les prêtres, les haut gradés. Et cela, c’est un minimum. Parce qu’il y a aussi les obligations du parti et le suivi des grands projets qui demandent le concours de ministères.
Malgré ce rythme infernal, lessivant, des députés trouvent le temps pour des apparitions médiatiques, pour faire de la politique nationale. Là, une question se pose. Plutôt que de travailler dans l’urgence et le cas par cas pour plaire vite et au plus grand nombre, les députés ne devraient-ils pas travailler à créer les corps intermédiaires qui manquent cruellement dans ce pays? Une agence pour l’emploi, tel qu’il en existe dans tous les pays du monde, ne serait-elle pas plus efficace qu’une multitude de pistons?
Julien Abi Ramia
Les Commissions Théodule
A la faveur du débat sur la loi électorale, les Commissions parlementaires sont revenues au goût du jour. Il y en a seize, à importance inégale. Sur le podium des Commissions convoitées, celle de l’Administration et de la Justice, présidée par Robert Ghanem, s’est réunie 141 fois durant l’exercice 2012. Vient après la Commission des Finances et du Budget, présidée par Ibrahim Kanaan, qui s’est réunie 40 fois durant le même exercice. Puis on retrouve la Commission des Travaux publics et des Transports, présidée par le député de Beyrouth Mohammad Kabbani.
Viennent ensuite les Commissions de la Défense, des Droits de l’homme ou de la Santé. Les autres Commissions sont tout simplement snobées par l’opinion publique. Les Commissions de l’Agriculture, de la Technologie et de l’Environnement font partie des plus mauvais élèves.