Israël est à nos portes menaçant lourdement de «ramener le Liban cinquante ans en arrière». Le Hezbollah faisant fi de la politique de «distanciation», décidée par l’Etat libanais, accourt au secours de Bachar el-Assad, son allié stratégique, met en danger ses propres combattants et entraîne le Liban dans une crise dont il n’a que faire. Pendant ce temps, les «leaders» chrétiens, censés selon le sens de cet anglicisme, être des chefs, meneurs d’hommes et rassembleurs, se traitent de tous les noms d’oiseaux. Leurs querelles font déchanter les partisans même de l’un ou l’autre des deux camps et heurtent les sensibilités des citoyens. L’échange de leurs accusations ramène le pays, quelque trois décennies en arrière, à une période de triste mémoire que l’on croyait, naïvement, dépassée. Les citoyens assistent, désespérés et parfois désintéressés, à une tragicomédie qui a, pour toile de fond, d’impossibles élections. Traîtres, escrocs ou tricheurs, aucun qualificatif n’est épargné de part et d’autre et c’est toute une communauté qui se déchire au vu et au su des citoyens, leur laissant le goût amer d’une république bananière qui distribue ses profits au plus offrant. Les Libanais qui se heurtent à des difficultés au quotidien sont choqués par ces débats stériles dont ils n’ont que faire. Un sondage sérieux ferait éclater au grand jour le désarroi d’un peuple qui pensait en avoir fini avec les déchirements internes et croyait pouvoir, enfin, vivre tranquille et libre à l’intérieur de ses frontières. Quel avenir pour un pays qui continuera, de toute évidence, à être géré par la même caste politique? Et de ce fait connaîtra encore quelques années d’une vacance de pouvoir. Un gouvernement, dont la formation peine à voir le jour sous les diktats des uns et des autres, un hémicycle parlementaire qui restera vide. Ou pire encore retrouvera ses locataires de toujours qui, sauf une intervention du Saint-Esprit, ne pourront jamais renoncer à leurs intérêts personnels pour s’entendre dans l’intérêt national.
Entre-temps, les Libanais ont connu, dimanche dernier, un après-midi d’euphorie. On pourrait ajouter de répit. Devant leur petit écran, ils ont assisté au spectacle époustouflant qu’offraient quelque 20000 de leurs compatriotes, enfants, adolescents et adultes participant à un marathon organisé par l’association «Maan Loubnan» -ensemble pour le Liban -. Les coureurs s’étaient rassemblés autour de la résidence du chef du gouvernement démissionnaire en présence du ministre de la Jeunesse et des Sports. Ils étaient, selon les observateurs, quelque 50000 participants, coureurs et spectateurs venus de tous les quartiers de la capitale du Nord et de ses environs se retrouver dans une ambiance festive. Ils faisaient oublier pendant une journée les drames d’une ville meurtrie depuis si longtemps. Les services d’ordre mobilisés se faisaient discrets et invisibles. L’association, qu’on ne peut que féliciter, a gagné son pari l’espace d’un après-midi faisant revivre, en quelque sorte, le fameux 14 mars 2005 au centre-ville qui avait soulevé tant d’enthousiasme. Hélas éphémère. Ce fut aussi le cas, ce 19 mai 2013, pour des citoyens avides d’une vie de paix en commun. Le soir même, le calme ne résistait pas aux violences qui ont la dent dure et qui faisaient, à nouveau, la «Une» des journaux télévisés, avec le décompte des nombreuses victimes. Nous aurions eu tellement envie et besoin de présenter au monde notre véritable visage, celui de cet après-midi de Tripoli et non celui d’une haine qui ne fait pas partie de notre patrimoine et qui nous met au ban des pays civilisés, alors qu’il y faisait si bon vivre. Ses méfaits sont lourds et pèsent sur la vie quotidienne de tous et sur tous les secteurs de notre économie. Terre, jadis bénie des dieux, le Liban a placé, depuis des décennies, tous ses espoirs dans un tourisme historique. Qu’en reste-t-il? Un espoir que cultivent quelques courageux optimistes qui annoncent, malgré les tribulations de l’heure, des festivals et des concerts de l’été dont on ne peut que se féliciter.
Mouna Béchara