Pour l’ancien ministre de l’Intérieur, la classe politique a placé les Libanais devant des choix plus mauvais les uns que les autres. Interview.
Que pensez-vous du résultat auquel est parvenue la Commission parlementaire chargée de proposer une nouvelle loi électorale et de l’option d’une prorogation?
L’ensemble de la classe politique a mis les Libanais et Libanaises devant des options, toutes mauvaises. Le choix est désormais entre le mauvais et le moins mauvais. Il existe quatre propositions et je vais commencer par la pire: la vacance des institutions et à leur tête le Parlement qui, après le 20 juin, perd le mandat que lui ont donné les électeurs. Ceci est dangereux et c’est une première. Cela ne s’est même pas passé pendant les années de la guerre. Le vide appelle à une Commission constituante et je ne pense pas que le Liban soit prêt à reconsidérer son régime politique. C’est là le grand danger. La deuxième option est la prorogation injustifiée. A la veille du 20 juin, le Parlement, autorité législative, se réunira en session ordinaire ou exceptionnelle pour renouveler son propre mandat. Ceci est dangereux et anticonstitutionnel. Même en cas de consensus, le danger persiste. Les gens ont élu les députés pour quatre ans et ces derniers ne peuvent reconduire leur propre mandat.
Qu’en est-il des deux autres options?
La troisième est qu’une inspiration divine fasse que les députés s’entendent sur une loi électorale avant le 20 juin. Il sera alors possible que la nouvelle loi permette une prorogation technique permettant au gouvernement d’organiser le scrutin. Enfin, la quatrième option est que la loi de 1960, qui ne satisfait personne mais qui reste valide même si elle a été politiquement enterrée, soit adoptée. Il n’en reste pas moins que même dans ce cas le gouvernement démissionnaire a des obligations et le problème est que les délais imposés par cette loi ont été dépassés.
Le gouvernement peut-il assurer les crédits nécessaires et former les comités de contrôle si les élections ont lieu le 16 juin?
Ces comités ont besoin d’une décision du ministre de la Justice. L’ouverture de crédits est du ressort du gouvernement. Celui-ci, chargé de régler les affaires courantes peut en décider. Mais le fait est que cela n’a pas été fait dans les temps.
Qu’est-ce qui est encore possible?
Le gouvernement n’est plus en mesure de préparer les décrets des comités à l’étranger et ceci semble avoir échappé à tout le monde. Il y a quelque 10 012 Libanais non-résidants déjà inscrits.
Est-il possible de leur trouver une solution par la Commission législative chargée d’amender la loi?
En amendant cette loi pour que les délais soient changés ou que les comités de contrôle soient annulés, ce qui serait regrettable, comme le serait également l’annulation du vote des Libanais à l’étranger. Autrement ces élections seraient invalidées.
En votre qualité d’ancien ministre de l’Intérieur, ayant l’expérience des élections, y a-t-il une possibilité, si les bonnes intentions sont là, d’organiser le scrutin le 16 juin?
Le problème n’est pas technique mais politique par excellence. Il semble que de nombreuses forces politiques refusent la loi de 1960. Si les quatre options qui existent sont mauvaises, laquelle est la préférable? Que les élections se déroulent selon une loi mauvaise ou qu’il y ait une prorogation technique?
Au sein de la Commission parlementaire de coordination, la question se pose sur le choix entre la prorogation du mandat parlementaire de six mois ou de deux ans…
Je suis opposé à la prorogation mais je ne suis pas non plus favorable à la loi de 1960. Or, aujourd’hui, quand on se dit contre la prorogation c’est qu’on soutient la loi de 1960. On avait tout le temps d’amender cette loi. En mai 2011, deux ans avant l’échéance électorale, j’avais présenté un projet de loi complet. Rien n’a été fait depuis. Combien de fois le comité de Bkerké s’est-il réuni?
Le ministre Marwan Charbel s’est-il inspiré de certaines de vos idées?
Il en a pris une large partie et a présenté un projet au gouvernement en octobre. Qu’en a-t-on fait? Je persiste à dire que je suis opposé à la prorogation et pourtant je n’accepte pas la loi de 1960. Celle-ci est très mauvaise sur tous les plans.
Il semble que des conseils étrangers appellent à la stabilité même au prix d’une prorogation, alors que l’Europe et peut-être les Etats-Unis sont pour des élections même selon la loi de 1960. Que préférez-vous?
Que les forces politiques assument la responsabilité du choix.
Serez-vous candidat même sous la loi de 1960 à titre préventif?
La réponse n’est pas tactique mais de principe. Je ne vois pas que les élections, même si elles avaient lieu sous cette loi, seront satisfaisantes et réaliseront un changement ou une véritable alternance. Si nous maintenons cette loi que nous déplorons, ma députation ou non reste un détail. J’ai tendance à dire que dans ce climat je ne penche pas à me présenter.
Vous étiez pourtant en contact avec des forces kesrouanaises en vue des élections…
Je maintiens ces contacts avec tout le monde mais la question n’est pas tranchée.
Voyez-vous la nécessité d’un changement dans les rangs des députés du Kesrouan?
Il ne me revient pas de voir ou non, les électeurs en décideront. Et c’est toute l’importance des élections.
On dit que l’une des raisons pour lesquelles la prorogation parlementaire d’un an n’est pas envisagée, c’est qu’elle correspondrait à l’élection présidentielle. A votre avis, la prorogation concernera-t-elle la présidence de la République?
Nous élargissons le package deal. Rappelez-vous qu’il y a un an, il ne s’agissait que d’une nouvelle loi électorale. Aujourd’hui celle-ci reste. Entre-temps est intervenue la démission du gouvernement et, par conséquent, la formation d’une nouvelle équipe. Ainsi dans ce package deal, il existe trois sujets problématiques. Les solutions consensuelles libanaises n’existent pas. Le parrainage arabe et international, à l’instar par exemple du sommet de Doha, est absent. La région entière bouillonne. Tout cela ne donne aucun indice positif.
Qu’auriez-vous préféré, l’unité des chrétiens autour du projet orthodoxe ou leur division sur la loi de 1960 et la loi mixte?
Entre les deux, je préfère la logique et tout projet qui protège le mieux le rôle des chrétiens non seulement dans la région mais en cette période difficile que celle-ci traverse. A mon avis, les chrétiens doivent s’entendre sur les principes et laisser entre eux une marge de compétition. Ce serait une preuve de démocratie.
En ce qui concerne la participation du Hezbollah et d’autres parties au conflit syrien, que devient la politique de distanciation de l’Etat?
Ceci confirme la nécessité d’un gouvernement capable de rassembler et de prendre des décisions qui doivent être respectées. Il ne suffit pas qu’il se réunisse et qu’il soit consensuel. Il y a eu certains accords, mais l’essentiel est qu’ils soient pris en compte et efficaces. La politique de distanciation pouvait, en principe, éviter au Liban de nombreux dangers. L’engagement politique doit être total et appuyé par une déclaration ministérielle claire. Comme nous le disons toujours, la Syrie ne doit pas intervenir dans nos affaires internes et les Syriens doivent seuls décider du sort de leur pays.
Propos recueillis par Saad Elias