L’Armée libanaise est encore une fois intervenue pour mettre fin aux combats à Tripoli. Cet énième déploiement aurait-il plus de chances de réussir que les autres? Magazine s’est penché sur la question.
L’Armée libanaise a pris position à Tripoli. Elle a procédé à des perquisitions et a détruit des positions et des barricades établies par des factions antagonistes dans les quartiers chauds: ceux de Starco, Piccadilly, Ahram et Masharii al-Hariri, faisant partie de Bab el-Tebbané, ou celui de Amercane à Jabal Mohsen. La ligne de démarcation constituée par la Rue de Syrie a été également prise d’assaut. La troupe a affirmé sa présence dans les quartiers du centre du chef-lieu du Nord qui, pour la première fois, étaient témoins d’affrontements entre miliciens des deux bords. Cette intervention musclée serait la dix-septième du genre depuis 2005, visant à mettre fin aux combats entre alaouites, partisans du régime Assad et sunnites soutenant la rébellion syrienne.
Affrontements inter-sunnites
«Nous ne pouvions pas déployer les troupes dans un climat de mésentente politique, ce qui était le cas jusqu’au week-end dernier. Par la suite, nous avons reçu le feu vert politique nous permettant d’appliquer des mesures draconiennes afin de mettre fin aux combats», assure un officier supérieur de l’armée dirigeant les opérations à Tripoli et s’exprimant sous couvert d’anonymat. Deux brigades de l’armée ont érigé des barrages dans les divers coins de la ville. Selon l’officier, l’armée a établi, pour la première fois depuis 2008, des positions fixes au cœur de Bab el-Tebbané, anciennement zone d’exclusion pour les militaires, qui se contentaient de deux postes de contrôle aux abords du quartier, sur l’axe routier reliant Bab el-Tebanné à Jabal Mohsen.
«Nous avons eu finalement l’accord des politiques qui se sont sans doute rendu compte de la tournure dangereuse que prenaient les incidents», ajoute l’officier.
Jeudi 6 juin, une personne a été tuée (Fadi Chalabi) et sept autres blessées dans de violents affrontements entre salafistes et des sunnites faisant partie d’un mouvement nationaliste arabe connu sous le nom de nassériens arabe (pro 8-mars). Ces combats étaient les premiers dans le centre de Tripoli, les violences ayant généralement lieu dans des quartiers excentrés. Des hommes armés et encagoulés seraient également apparus le jour même à Tripoli. Ces miliciens bénéficieraient d’une couverture politique de la ville, selon certains militaires.
L’officier assure que les troupes sont intervenues quelques heures après le début de ces affrontements. L’armée a ainsi intensifié ses patrouilles dans la ville et procédé durant la nuit de jeudi à vendredi à des descentes musclées, ripostant aux sources de tirs dans les deux quartiers rivaux. «Durant ce dernier conflit, nous avons eu l’impression d’avoir été visés par les miliciens, pour la première fois depuis le début des affrontements en 2006», s’inquiète l’officier. Il souligne la campagne de désinformation contre l’armée, faisant mention d’une vidéo diffusée par les islamistes montrant un Coran piétiné lors d’une perquisition. «Cette vidéo a été montée de toutes pièces car la majorité de nos soldats sont de confession musulmane et ne feraient jamais un tel geste. Cette campagne a pour but de salir la réputation de l’Armée libanaise», ajoute-t-il. Selon la source, trois militaires auraient trouvé la mort dans les incidents du mois dernier, et 80 autres ont été blessés.
Les troupes formées par un régiment et plusieurs brigades, comptant respectivement 700 et 800 militaires, ont procédé au démantèlement des barricades de terre et des fortifications en dur. Un seul incident a éclaté entre les deux parties protagonistes à Baal Darwiche, au sujet du démantèlement d’une barricade, que l’armée a cependant démolie. Des patrouilles ont installé des barrages fixes et mobiles, en coopération avec les Forces de sécurité intérieure (FSI) de la ville.
Plusieurs arrestations
«Nous avons saisi deux stocks d’armes dans les deux quartiers de Bab el-Tebbané et Jabal Mohsen, mais pour cela nous avons dû également avoir l’accord des politiques», explique l’officier, apparemment frustré par les louvoiements de la classe politique. La source militaire explique qu’un accord politique est nécessaire à ce type d’opération pouvant entraîner des victimes dans les rangs de civils, les miliciens exposant des femmes et des enfants face à l’armée afin de provoquer une échauffourée.
L’armée aurait arrêté plusieurs personnes, sans pour autant en dévoiler le nombre exact, selon nos sources. Dans une conversation téléphonique, l’ancien député Moustafa Allouch a cependant assuré à Magazine que personne n’avait été mis en examen.
«L’implication du Hezbollah aux côtés des troupes du régime dans la guerre en Syrie n’a fait qu’attiser les rivalités entre alaouites et sunnites, ces derniers ayant combattu à Qoussair auprès de la rébellion», affirme une source salafiste. Près de 80 Tripolitains auraient participé aux combats en Syrie dont 40 seraient rentrés depuis la chute de Qoussair dans laquelle ont trouvé la mort quatre autres.
Pour sa part, le responsable médiatique du Parti démocratique arabe (alaouite), Abdel-Latif Saleh, a annoncé dans un article de presse que l’armée poursuivait l’application de son plan visant à rétablir le calme à Tripoli et que son parti était engagé à soutenir la troupe et à coopérer avec elle.
De nombreuses figures politiques libanaises et étrangères ont été amenées à commenter la situation précaire sévissant dans la capitale du Nord.
Le ministre sortant de l’Intérieur, Marwan Charbel, avait initié ce déploiement en marge de la «Rencontre nationale islamique», organisée à la résidence du député Mohammad Kabbara, en présence des députés Khaled Daher et Mouïn Merhebi, ainsi que de plusieurs notables tripolitains. Le ministre a conseillé aux individus armés de se retirer des rues et de soutenir l’armée dans sa mission. Répondant aux appels de certains Tripolitains ayant demandé un déploiement en collaboration avec les FSI, il a affirmé que cela serait décidé ultérieurement.
Le président Michel Sleiman a, pour sa part, rendu hommage aux sacrifices consentis par la troupe et à son rôle national dans le maintien de la paix civile. Dénonçant l’implication de certains Libanais dans la crise syrienne, il a ajouté qu’il était temps pour toutes les parties de réaliser l’intérêt de tenir la scène intérieure à l’écart des retombées des crises régionales, soulignant que seuls les Libanais en paieraient le prix fort.
La communauté internationale n’était pas en reste. En effet, l’Arabie saoudite a déclaré s’inquiéter de la situation à Tripoli, ne bénéficiant «qu’à ceux qui ne veulent pas du bien au Liban et à son peuple», selon un communiqué du ministre des Affaires étrangères, le prince Saoud el-Fayçal.
Le coordinateur de l’Onu au Liban, Derek Plumbly, s’est rendu à Tripoli où il a rencontré le Premier ministre sortant, Najib Mikati, des députés du Courant du futur, et le ministre sortant de la Jeunesse et des Sports, Fayçal Karamé. Plumbly a déclaré dans un communiqué que «les combats doivent cesser en vue de sauvegarder la stabilité».
Mona Alami
L’armée dans le collimateur
«Des hommes armés conduisant un pick-up ont tiré sur un barrage de l’armée dans le secteur de Wadi Hmeid, près de Ersal», rapporte un
communiqué militaire. «Les soldats ont riposté tuant deux des hommes armés, dont un Syrien, alors que les autres prenaient la fuite».
Cet incident est le dernier d’une longue liste
frappant l’institution militaire. Trois soldats libanais avaient été tués dans des échanges de tirs à ce même barrage, il y a moins de deux semaines.
L’après-Qoussair au Liban
Parmi les centaines de blessés syriens, libanais et étrangers qui ont gagné le territoire libanais après la bataille de Qoussair, certains combattants ont eu recours à un stratagème pour pouvoir échapper à l’enfer des confrontations. Selon les révélations d’un témoin oculaire, ils se seraient déguisés en blessés de guerre, alors qu’ils sont en pleine forme. Mais l’arrivée de ces combattants dans certaines régions suscite des inquiétudes, parce qu’il n’est pas exclu de les voir renouer avec les activités militaires, surtout qu’ils ont rejoint un environnement favorable formé d’environ un demi-million de Syriens déplacés. Compagnons d’armes, unis par une même idéologie takfiriste, ils n’hésiteront pas à reprendre le jihad. Des sources sur le terrain affirment que tout l’équipement de la bataille de Qoussair se trouve aujourd’hui au Liban: les hommes, les armes, le financement, les vêtements, l’intendance, le matériel de transmission, les accessoires médicaux, les délégations médiatiques… Un responsable syrien va plus loin. Il explique que l’intervention étrangère la plus dangereuse, surtout au début de la crise syrienne, a ciblé la zone centrale syrienne, via l’implantation d’un réseau de liaisons sociales, économiques et sécuritaires à travers la frontière nord du Liban, et grâce à des moyens techniques et scientifiques de pointe gérés par les pays de l’Otan, puis par Israël et certains pays arabes. C’est pourquoi, il se demande si la bataille de Qoussair qui a pris fin en Syrie, s’est bien terminée au Liban, puisque la profondeur stratégique de Qoussair s’étend sur un grand espace géographique situé entre Tripoli et le Akkar. Qui va combler le vide sécuritaire au Liban-Nord? Le déploiement de l’armée peut-il régler le problème, alors que les
politiques qui ont soutenu et apporté une aide logistique tous azimuts aux rebelles de Qoussair continuent à fuir leurs responsabilités? La capacité de la troupe à combler le vide au Nord se heurte à la division des politiques libanais sur le cas syrien, et en l’absence d’une entente politique, l’armée ne réussira pas à sécuriser la région frontalière. La question demeure: qui va combler l’absence d’une force officielle de stabilisation? Qui va colmater le vide qui menace la sécurité de Qoussair, de la région, de la ville de Homs et de l’ensemble de la Syrie centrale? L’armée du régime de Damas
va-t-elle poursuivre les combattants takfiristes sur le sol libanais? Le chaos militaire et la détérioration sécuritaire à Tripoli et au Akkar pourraient-ils mener, de connivence avec les instances
internationales, à une intervention militaire syrienne contre le jihad international? Cela semblait
impossible avant Qoussair, mais l’étape post-Qoussair est porteuse d’indices inverses.
Ali Nassar
Manifestation devant l’ambassade d’Iran
Le jeune Libanais Hachem Salman (29 ans), responsable des jeunes au sein de l’Option libanaise, mouvement dirigé par Ahmad
el-Assaad, a été tué par des tirs dans une rixe ayant éclaté entre partisans et opposants au Hezbollah devant l’ambassade d’Iran à Bir Hassan. Une trentaine de jeunes membres de l’Option libanaise sont arrivés à bord de bus près de l’ambassade d’Iran pour organiser un sit-in. A leur descente, ils ont été
immédiatement attaqués par des hommes vêtus de chemises noires, portant des
brassards jaunes et armés de bâtons, a rapporté un journaliste présent sur les lieux. Une personne a tiré sur la foule, blessant grièvement Salman qui a fini par succomber à ses blessures. La bagarre s’est terminée avec l’intervention de l’armée. L’incident a fait près de 11 blessés parmi les jeunes de l’Option libanaise. L’identité du tireur reste entourée de mystère. Selon une version, rapportée par les médias du 14 mars, ce sont des éléments du Hezbollah, plus précisément les «chemises noires», qui auraient tiré directement sur Hachem Salman, après que l’un des manifestants eut brandi son revolver et tiré en l’air. Selon la version rapportée par l’Option libanaise, ce serait l’un des gardiens de l’ambassade qui aurait tiré en direction des manifestants lorsque l’échauffourée a éclaté, blessant Salman au ventre. La garde iranienne aurait ensuite établi un périmètre de sécurité autour du siège de l’ambassade. Mais Now Lebanon a affirmé que «lorsque le jeune homme a été blessé, les assaillants n’ont permis à personne de s’approcher de
la victime».