Afin de compenser l’avancée sur le terrain des opérations des forces armées du régime syrien et du Hezbollah face à la rébellion, l’Occident a décidé de contre-attaquer en accélérant l’envoi de matériel aux insurgés. Objectif, rééquilibrer le rapport de force, à l’aune des discussions entre la Russie et les Etats-Unis.
Pour les adversaires du régime, l’avancée de l’armée régulière, efficacement secondée par les combattants du Hezbollah, devenait trop importante. Pas question de débuter des négociations en position de faiblesse, ni d’assister passifs au morcellement de l’opposition syrienne, tiraillée entre les intérêts qataris, saoudiens et turcs. La semaine dernière, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a annulé sa visite prévue dans la région. L’ordre venait de la Maison-Blanche. Le président Barack Obama a demandé à son «équipe de sécurité nationale d’examiner toutes les options possibles qui nous permettraient de remplir nos objectifs pour aider l’opposition syrienne (…) et hâter une transition politique dans une Syrie de l’après-Assad», a précisé Jennifer Psaki, porte-parole du Département d’Etat. Jusqu’ici, le président, décideur-clé sur le dossier syrien, a freiné des quatre fers sur les fournitures d’armes à la rébellion, invoquant le risque d’armer al-Qaïda. Mais le déchaînement de violence et les revers récents essuyés par les insurgés, notamment à Qoussair, plaident pour une action plus résolue.
Le prétexte des armes chimiques
Jeudi dernier, Ben Rhodes, conseiller adjoint de Barack Obama à la Sécurité nationale, expliquait qu’après un examen «délibératif, nos services de renseignement jugent que le régime de Bachar el-Assad a eu recours à des armes chimiques, notamment du gaz sarin innervant, à une échelle réduite et à plusieurs reprises contre l’opposition au cours de l’année écoulée». En façade, c’est l’utilisation présumée d’armes chimiques par l’armée syrienne qui aurait fait pencher la balance. La Maison-Blanche a indiqué, en effet que l’usage d’armes chimiques «change» l’équation pour le président Obama, qui avait à plusieurs reprises expliqué que l’utilisation de ce type d’armes dans le conflit constituerait une «ligne rouge» si des preuves irréfutables étaient présentées.
Un prétexte, répond-on dans l’autre camp. «La Maison-Blanche a fait publier un communiqué truffé de mensonges sur le recours aux armes chimiques en Syrie, en se fondant sur des informations fabriquées à travers lesquelles elle a tenté de faire assumer au gouvernement syrien la responsabilité d’un tel usage», a dénoncé le ministère syrien des Affaires étrangères.
Action et prudence
«Nous le dirons clairement: ce qui a été présenté par les Américains ne nous semble pas convaincant», a déclaré vendredi le conseiller diplomatique du Kremlin, Iouri Ouchakov. «Les informations sur l’utilisation par Assad d’armes chimiques sont fausses du même ordre que les mensonges concernant les armes de destruction massive de Saddam», a même commenté Alexei Pouchkov, président de la Commission des Affaires étrangères de la Douma.
Ouchakov a ajouté qu’un soutien militaire accru des Etats-Unis aux opposants nuirait à l’initiative lancée conjointement par les deux pays en vue d’organiser une conférence internationale sur la Syrie à Genève. Protestations vaines. Les Etats-Unis ont décidé de mettre en place un soutien logistique et militaire à la rébellion.
Pour les détails de l’opération, il faut se reporter à la presse américaine. Le New York Times, s’appuyant sur les confidences de responsables américains, précise qu’il s’agit de petites armes et de munitions. Mais l’envoi d’armes antichars est également à l’étude. La CIA coordonnera les livraisons. D’après le Washington Post, cette opération commencera dans plus d’une semaine. Aux Etats-Unis, les experts militaires ne sont pas dupes. Un responsable sous couvert d’anonymat confie au site américain d’information Politico: «C’est vrai, même si on n’avait pas eu la confirmation que le régime syrien a eu recours aux armes chimiques, on aurait sûrement conclu qu’Assad a franchi la ligne rouge».
C’est une longue conversation tenue ce week-end entre le général Salim Idriss, chef de l’état-major de l’Armée syrienne libre (ASL), et la secrétaire d’Etat adjointe pour le Proche-Orient, Elizabeth Jones, qui a apparemment déclenché le changement de position des Américains. Le chef du Conseil militaire suprême de l’opposition aurait fait un compte rendu inquiétant de l’affaiblissement de la rébellion et de la nécessité d’obtenir des armes au plus vite pour empêcher une défaite à Alep. Idriss aurait souligné que participer à la Conférence de Genève, en l’état actuel de l’équilibre des forces, reviendrait pour les insurgés à se mettre dans la main d’Assad. Il aurait menacé de boycotter le rendez-vous si ses troupes ne reçoivent pas armes et munitions entre-temps, jugeant que la décision des Britanniques et des Français de commencer leurs livraisons d’armes en août était «une plaisanterie» car il serait «trop tard».
La Russie protège son avantage
Le dossier syrien était au menu du G8 qui s’est ouvert lundi en Irlande du Nord. L’occasion d’une rencontre entre Barack Obama et le président russe Vladimir Poutine, une première depuis un an. Les dirigeants du G8 ont affirmé lundi leur volonté de poursuivre le projet de conférence de paix sur la Syrie en dépit des profondes divergences entre Occidentaux et Russes. Proposée début mai par Washington et Moscou pour permettre l’ouverture de négociations entre les belligérants syriens, cette conférence dite de Genève 2 semblait pourtant suspendue. «Bien sûr, nos opinions divergent, mais nous avons tous l’intention de mettre fin aux violences en Syrie», a souligné Vladimir Poutine. «Nous essayerons de résoudre le problème par des moyens politiques si possible, donc nous allons continuer à travailler sur la possibilité d’organiser une conférence de paix», a renchéri le président américain.
Entre les deux hommes, pas de sourire. Pointait même une certaine tension. Preuve de cette tension, des responsables britanniques ont évoqué lundi soir la possibilité que les Occidentaux signent, à l’issue de leurs travaux, une déclaration sur la Syrie sans la Russie. Le président français, François Hollande, avait, dès son arrivée à Lough Erne, vivement critiqué la Russie qui «continue de livrer des armes au régime de Bachar el-Assad, alors que l’opposition n’en reçoit que très peu et qu’elle est aujourd’hui massacrée».
La marge de manœuvre est étroite. Au cours d’une interview enregistrée dimanche à la Maison-Blanche avant son départ pour le sommet du G8, le président américain s’est montré réticent à toute intervention. «Si vous instaurez une zone d’exclusion aérienne, il se peut que vous ne régliez pas le problème à l’intérieur de cette zone». «Si vous mettez en place un couloir humanitaire, êtes-vous en fait tenus d’empêcher uniquement les avions d’entrer dans ce couloir, ou également les missiles?», a interrogé Obama. «Auquel cas, cela signifie-t-il que vous devez éliminer les armements à Damas et être donc prêts à la bombarder? Et que se passe-t-il en cas de victimes civiles?», s’est encore demandé le président américain.
Haro sur le Hezbollah
Candide, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, appelait la semaine dernière la communauté internationale à arrêter la progression vers Alep des troupes du régime syrien. «Il faut un rééquilibrage, parce qu’au cours des dernières semaines, les troupes de Bachar el-Assad, et surtout le Hezbollah et les Iraniens, avec les armes russes, ont repris un terrain considérable […] S’il n’y a pas de rééquilibrage sur le terrain, il n’y aura pas de conférence de la paix à Genève car l’opposition n’acceptera pas d’y venir. Or, il faut une solution politique».
Les plus bouillants sur ce dossier sont sans conteste les dirigeants arabes. Dernier en date, le président égyptien, Mohammad Morsi, qui, samedi, dans un discours prononcé devant des milliers de fidèles au Caire, annonce avoir «pris la décision ferme aujourd’hui de rompre toute relation avec la Syrie et le régime syrien». Il va plus loin. «Le Hezbollah doit quitter la Syrie. Je suis très sérieux dans mes déclarations. Le Hezbollah n’a pas sa place en Syrie».
Un discours aux relents guerriers auquel la Syrie a tout aussi vertement réagi. «La Syrie condamne cette position irresponsable qui reflète la volonté de Mohammad Morsi de mettre en place l’agenda de la Confrérie musulmane. La Syrie reste convaincue que le parti des Frères musulmans égyptiens fera tomber ces genres de politiques et leurs graves conséquences sur la région», ont déclaré les autorités syriennes. Avant d’ajouter: «Mohammad Morsi vient ainsi de se joindre à un groupe de comploteurs dirigé par les Etats-Unis, l’Israël contre la Syrie».
Julien Abi Ramia
Assad met l’Europe en garde
Le président syrien, Bachar el-Assad, a assuré, dans un entretien à la Frankfurter Allgemeine Zeitung paru ce mardi, que l’Europe prendrait un risque en cas de livraisons d’armes aux rebelles. Si les Européens livrent des armes,
l’arrière-cour de l’Europe deviendra
[un terrain] pour le terrorisme et l’Europe en paiera le prix». La conséquence de livraisons d’armes serait une «exportation directe du
terrorisme en Europe», poursuit le président. «Des terroristes reviendront [en Europe] avec une expérience du combat et une idéologie extrémiste», notant que l’Allemagne fait partie des pays les plus réticents à la levée de
l’embargo sur ces livraisons d’armes.
Poutine et les «rebelles cannibales»
«Nous ne violons aucune règle ou norme et nous appelons tous nos partenaires à agir de la même façon», a déclaré le président russe à Londres lors d’une conférence de presse commune avec le Premier ministre britannique David Cameron, à la veille du sommet du G8 en Irlande du Nord. «Je pense que tout le monde sera d’accord sur le fait que ça ne vaut pas la peine de soutenir des personnes qui, non seulement tuent leurs ennemis, mais mangent aussi leurs organes en public et devant les caméras», a-t-il lancé en référence à une vidéo diffusée en mai et montrant un rebelle syrien éviscérant un soldat. «Voulez-vous appuyer ces gens-là avec des armes?».