Effective depuis ce matin, faute de quorum au Conseil constitutionnel, la prorogation du mandat du Parlement laisse le champ libre à la confrontation politique et sécuritaire qui oppose le Hezbollah à ses rivaux, sur tous les terrains.
Jamais ils n’avaient été aussi discrets sur la scène médiatique. Sans doute ont-ils le triomphe modeste, mais leur victoire est sans appel. Au four et au moulin, du Parlement jusqu’au Conseil constitutionnel, Nabih Berry et Walid Joumblatt ont, avec l’accord tacite du Hezbollah et du 14 mars, obtenu l’annulation des élections. Le leader du Courant patriotique libre (CPL) a beau ruminer «la trahison de tous» − comprendre celle de ses partenaires du 8 mars, sauf le Hezb −, les activistes ont eu beau manifester leur colère à coups de tomates, la messe était dite. Le Conseil a tenu sa dernière séance ce vendredi 21 juin, au lendemain de l’expiration du mandat du Parlement pré-prorogation, cette dernière devenant effective. Comme un ultime pied de nez. Il aura suffi aux stratèges de lire le règlement intérieur du Conseil et d’engouffrer dans ses failles. Pour tenir séance, quorum des huit sages obligatoire. Pour exclure les absentéistes, quorum des huit obligatoire. Pour nommer de nouveaux membres, le Parlement et le gouvernement doivent se réunir. Imparable.
Les chiites Ahmad Takieddine et Mohammad Bassam Mortada et le druze Souheil Abdel-Samad ont cédé à la pression. Accompagnés de leur service de sécurité personnel, les sept autres sont entrés au siège du Conseil comme ils sont venus, la tête basse, le visage livide.
Du côté du Hezbollah et d’Amal, on explique à demi-mot que la position des juges absents était avant tout motivée par l’absence de réponse des experts sécuritaires; d’autres pointent les crises qu’a traversées le Conseil dans le passé.
Pour les manœuvriers Berry et Joumblatt, la justification est toute trouvée. «Qu’est-ce qui est le plus important? Poursuivre le débat autour du Conseil constitutionnel et de la loi pour la prorogation du Parlement, ou alors appuyer l’armée afin qu’elle puisse remplir sa mission dans les zones de troubles?», s’est publiquement interrogé le leader druze cette semaine. De son côté, le président du Parlement a adressé deux messages au patriarche Béchara Raï dans lesquels il est revenu sur l’affaire de la prorogation. Le premier, «les trois juges qui se sont absentés ont sauvé le Liban en le défendant»; le deuxième «si vous voulez la loi de 1960, qu’il en soit ainsi». Positions claires et complémentaires.
Sleiman en première ligne
Une façon pour Berry de répondre à la charge d’une virulence rare du chef de l’Eglise maronite qui, dans son homélie prononcée à l’occasion de l’inauguration de la basilique de Harissa, déclarait que «les coalitions du 8 et du 14 mars ont détruit la neutralité du Liban, empêché la tenue d’élections et paralysent la formation d’un nouveau gouvernement», ajoutant qu’elles «ont terni l’image du Liban et se sont impliquées dans la guerre en Syrie. Par leurs confrontations, ces deux parties détruisent les institutions étatiques et judiciaires». Sont épargnés l’Armée libanaise et le président Michel Sleiman, assis au premier rang.
Juste avant son départ pour Rome, le patriarche a réitéré son hommage au locataire de Baabda, «martyr vivant». «Lui seul a prêté serment sur la Constitution, et lui seul est responsable de l’unité nationale, de la souveraineté et de l’indépendance, a-t-il poursuivi. Nous le soutenons à ce titre et nous espérons qu’il pourra prendre des décisions pour sauver le pays». Cette semaine, il a tranché dans le vif, et de manière sans précédent. Agacé par les tergiversations du chef de la diplomatie libanaise, Adnan Mansour, qualifié par le député du Courant du futur Ahmad Fatfat de «ministre collaborationniste», chargé de déposer plainte auprès des instances internationales contre les violations syriennes de la souveraineté du territoire libanais, et en vertu de l’article 49 de la Constitution qui fait du président de la République le garant de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Liban, Michel Sleiman a adressé, à Derek Plumbly, représentant du secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-Moon, au Liban, un mémorandum − un document moins accusateur qu’une plainte en bonne et due forme − sur le sujet qui recense violations de l’armée régulière et de la rébellion armée.
Une initiative chaleureusement saluée par les leaders du 14 mars dont une délégation forte d’une vingtaine de députés, présidée par Fouad Siniora, s’est rendue à Baabda pour, à son tour, présenter un mémo portant sur les dangers du régime syrien et du Hezbollah pour le Liban. Il s’agit du deuxième document du genre, après celui du mois de septembre 2012, présenté par la coalition au chef de l’Etat. Ciblés, le régime syrien et le Hezbollah (voir encadré). Le chef de l’Etat est invité à déployer «sa sagesse, son courage et ses prérogatives afin de sauver le Liban et d’aider le Premier ministre désigné, Tammam Salam, à former un gouvernement homogène et adoptant une ligne neutre pour stopper l’effondrement; un gouvernement dont le devoir serait de mettre en œuvre la déclaration de Baabda».
Nouvelles incertitudes
La prorogation définitive du mandat de la Chambre fait au moins un heureux, en la personne de Salam. Tiraillé entre la formation d’un gouvernement apolitique chargé d’organiser les élections et une équipe non-provocatrice d’union nationale, le Premier ministre désigné sait désormais sur quel pied danser. Loin des projecteurs, il poursuit ses concertations. Ces derniers jours, il recevait le ministre sortant Ali Hassan Khalil, représentant Nabih Berry. Sa fenêtre de tir est étroite. D’un côté, le 8 mars et le CPL tiennent à être représentés à leur juste poids parlementaire au sein du futur gouvernement. De l’autre, le 14 mars refuse catégoriquement d’entrer dans un gouvernement dans lequel le Hezbollah serait présent. Face aux atermoiements de Salam, la coalition commencerait à perdre patience, et il se murmure qu’elle chercherait à désigner une autre personne pour former le prochain gouvernement.
A Mousseitbé, la pression du contre-la-montre commence à se faire sentir. Salam a déjà présenté au président de la République plusieurs compositions qui n’ont pas obtenu son aval, ni celui de Joumblatt. Sur le dossier, Béchara Raï a expliqué qu’un gouvernement neutre serait le plus approprié. «Ce n’est qu’après une réconciliation entre le 8 et le 14 mars qu’un gouvernement d’union nationale pourra être formé», a-t-il ajouté. C’est dans cet esprit que Salam a répertorié les personnalités susceptibles d’entrer dans son gouvernement. Un dossier très éloigné des questions sécuritaires liées à la Syrie, les seules qui occupent les pensées des leaders politiques du pays.
D’autant que, dans son dernier discours, le secrétaire général du Parti de Dieu, Hassan Nasrallah, a expliqué que «le Hezbollah, qui participe aux combats en Syrie auprès du régime du président Bachar el-Assad, va rester impliqué dans le conflit».
Julien Abi Ramia
Le mémo du 14 mars
Voici les grandes lignes du mémorandum remis par le 14 mars au président Michel Sleiman.
♦ «Aujourd’hui, le danger est entré dans une phase catastrophique sur tous les plans,
national, sécuritaire, économique et social,
de sorte que l’entité, la République et la
coexistence, véritable raison d’être du Liban, s’en trouvent plus que jamais ébranlées».
♦ «Ce qui nous incite à nous adresser à vous, c’est l’attitude responsable que vous avez adoptée en de nombreuses occasions ces
derniers temps».
♦ «Le régime syrien a élargi sa bataille en direction du Liban (…) dans une tentative désespérée de prolonger ses jours. Quant au Hezbollah, il a jeté tout son poids militaire dans la guerre menée par le régime syrien contre son peuple et sur le territoire syrien, sur ordre direct de la direction iranienne».
♦ «Nous appelons le chef de l’Etat à
«demander au Hezbollah de se retirer
immédiatement et totalement des combats et de mettre un terme à sa présence militaire en Syrie, en prélude au règlement du problème
de ses armes au Liban».