Les incidents sécuritaires itinérants se multiplient dans la vallée de la Békaa où est en train d’émerger une nouvelle ligne de front. Cette situation est exacerbée par la réalité économique, sociale, géographique de la région et sans doute très prochainement par l’issue des combats dans les zones frontalières en Syrie. Tour d’horizon.
Les attaques, bombardements, enlèvements sur fond d’appartenance confessionnelle semblent aller crescendo dans la vallée de la Békaa, où se profilent de nouvelles lignes de démarcation. De jour en jour, la vallée semble se rapprocher de la guerre civile syrienne, devenue guerre confessionnelle entre sunnites et chiites.
Durant le mois de mars, la Békaa a été secouée par deux incidents majeurs: une série de rapts opposant le clan Jaafar chiite aux habitants sunnites de Ersal. A la même période, la région du Hermel a été visée par les tirs de l’Armée syrienne libre (ASL), en réponse à l’engagement du Hezbollah auprès des troupes régulières dans la guerre en Syrie, plus particulièrement dans le secteur de Qoussair.
Fin mai, des hommes armés venus de Syrie s’attaquaient à un barrage de l’Armée libanaise dans le jurd de Ersal, une enclave sunnite dans la Békaa, tuant trois soldats.
Le 5 juin, toujours à Ersal, deux hommes armés ont été tués lors d’affrontements avec l’Armée libanaise, lorsqu’un groupe de miliciens circulant à bord d’un pick-up a ouvert le feu sur des soldats dans la région de Wadi Hmeid.
Le 2 juin, 14 rebelles syriens et un membre du Hezbollah ont été tués dans une embuscade tendue par ce dernier à Aïn el-Jawzé, à quelques kilomètres à l’est de Baalbeck. C’est la première confrontation entre l’ASL et le Hezbollah sur le sol libanais. Les combats ont fait suite aux menaces proférées par les rebelles syriens à l’encontre du parti de Dieu en raison de l’engagement de ce dernier à Qoussair.
Le 12 juin, un hélicoptère syrien a tiré des missiles sur la place de la ville de Ersal près de la frontière avec la Syrie, faisant
deux blessés.
Dimanche 16 juin, un nouvel incident semble préconiser la tournure extrêmement dangereuse que prenaient les événements au Liban. Des hommes armés assassinaient quatre chiites, deux membres du clan des Jaafar, Ali Karamé et Mohammad Ali, un Turc, Ali Abdo Rachini et un homme du clan Amhaz, Hussein Charif, alors qu’ils roulaient sur une route traversant le «jurd» de Ras-Baalbeck, une région sunnite de la Békaa.
Ces incidents s’inscrivent dans un contexte de tensions confessionnelles entre sunnites et chiites exacerbées par une réalité économique, sociopolitique et géographique de la région.
«Il existe une rivalité ponctuelle entre les habitants de Ersal et les villages voisins», signale un activiste de Ersal. Cette rivalité est liée à l’activité de contrebande pratiquée par les habitants (sunnites) de Ersal et les clans (chiites) de la Békaa. Ces derniers se partagent certains trafics comme celui des voitures volées et des produits syriens passés illégalement. Cette activité très lucrative n’est pas sans danger et les désaccords sont nombreux. Ils se terminent parfois, comme en mars dernier, par des rapts ou des règlements de comptes.
La culture du cannabis est un autre facteur d’instabilité dans la région. En effet, elle se pratique encore dans les régions du Hermel, Deir el-Ahmar, Bouday, Yamouné, Dar el-Wassaat, Ras-Baalbeck, entre autres. Selon une source au sein des FSI, ce sont les clans Jaafar, Zeaïter, Dandash, Allaw, Chreif et Chamas qui contrôleraient l’agriculture du cannabis. Le nom des Jaafar revient donc encore une fois sur les devants de la scène; tantôt victimes tantôt bourreaux, ils seraient impliqués dans les enlèvements d’habitants de Ersal, mais aussi visés dans les meurtres de la semaine passée.
La rivalité économique entre trafiquants a toutefois pris une tournure sociale et religieuse depuis le début de la guerre en Syrie. En effet, la majorité des clans chiites soutiennent le Hezbollah et le régime Assad, alors que les sunnites de Ersal et Ras-Baalbeck sont totalement acquis à la cause des rebelles. Ersal, zone la plus proche du Qalamoun syrien, toujours entre les mains des rebelles, semble être devenue une extension naturelle des zones dominées par l’ASL, où circulent en toute liberté les combattants. Cette réalité est également compliquée par la donne géographique. L’importance des zones frontalières n’est plus à souligner depuis l’engagement du Hezbollah dans la région de Qoussair, reliée sur le versant libanais à des villages chiites. A l’instar du Hezbollah, les rebelles syriens semblent faire le même calcul: le contrôle du Qalamoun syrien serait renforcé par la jonction entre la ville de Ersal acquise à l’opposition syrienne et celle du Akkar et du nord du Liban, zone à majorité sunnite, toutes deux séparées par le Hermel chiite.
Dans la Békaa, la discorde est ainsi plus économique et politique que religieuse. Mais comme en 1975, les Libanais ont tendance à avoir la mémoire à la fois courte et récidiviste. Une fois de plus, le discours confessionnel prône sur tout autre, dans un contexte de polarisation sunnite-chiite extrêmement dangereux pouvant mener le Liban dans une nouvelle spirale de conflits aussi sanglants qu’inutiles.
Mona Alami
Tentatives d’apaisement
A la suite du meurtre des quatre chiites, les habitants de Ersal ont dénoncé fermement cette agression visant à semer la discorde confessionnelle. «Nous nous dissocions des auteurs de ce massacre quelle que soit leur identité», ont-ils souligné, appelant les forces de sécurité à les démasquer. Les habitants de la région voisine de Baalbeck et Hermel, dont sont originaires trois des victimes, ont souligné leur détermination à préserver la paix civile et la coexistence entre les communautés et ont appelé «à surmonter la douleur et être patients». L’armée, elle, s’est déployée sur les axes routiers de la Békaa. Dans un
communiqué, la direction de l’Orientation a précisé que l’armée «ne permettra à personne d’exploiter ce douloureux incident, de porter atteinte à l’unité nationale et d’ébranler les assises du vivre-ensemble entre les
collectivités d’une même société».
Débordements à Saïda
Saïda, nouvelle zone de démarcation: écrivait Magazine il y a quelques semaines. Les
violences n’ont pas tardé à frapper le chef-lieu du Liban-Sud. Mardi, des partisans de l’imam salafiste de la mosquée Bilal Ben Rabah, cheikh Ahmad el-Assir, et des combattants proches du Hezbollah se sont affrontés à l’arme automatique aux environs de la ville. Des hommes cagoulés et des francs-tireurs ont été aperçus dans la périphérie. Cet
accrochage armé a fait suite à un différend entre des partisans du cheikh Assir et les membres de la famille Sousse.
Les hommes de l’imam ont bloqué la route près de la mosquée Bahaeddine Hariri et se sont attaqués à un appartement situé à Abra occupé par des partisans du Hezbollah. Des membres du Parti de Dieu se sont déployés dans le secteur de Haret Saïda et ont attaqué Abra et la région au moyen de lance-roquettes. Le frère d’Ahmad el-Assir a été pris en chasse dans la ville par des inconnus, une poursuite qui a causé un accident, sa voiture ayant
percuté un mur avant qu’il ne se réfugie dans la maison de l’un de ses proches. En fin de journée, l’armée a renforcé les mesures
sécuritaires dans la ville de Saïda, se déployant dans la région afin de tenter de ramener le calme. On fait état d’un tué et de quatre blessés lors de ces incidents.