Entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre, la lune de miel est terminée. Les deux alliés ont adopté des positions
diamétralement opposées sur des dossiers cruciaux, comme la prorogation du mandat du Parlement ou la prolongation de celui de Jean Kahwagi. Il s’agit, pour le général Michel Aoun, de procéder à un repositionnement partiel qui répond à des impératifs politiques internes au CPL. Mais sur les questions stratégiques, l’alliance avec le Hezbollah est maintenue.
Jamais depuis la signature du Document d’entente entre le Courant patriotique libre (CPL) et le Hezbollah à l’église Mar Mikhaël, le 6 février 2006, les relations entre les deux alliés n’ont paru aussi perturbées. L’alliance fusionnelle, voulue par certains, a cédé la place à de sérieuses divergences sur de multiples dossiers internes. Les critiques et les reproches, à sens unique, du CPL vers le Hezbollah, sont allés crescendo. Parfois, l’entourage proche du général Aoun a utilisé des mots durs, comme «trahison», «duperie». Le Hezbollah est, certes, gêné par les critiques qui lui sont lancées, mais il évite d’exprimer ouvertement son insatisfaction afin de permettre aux médiateurs de se pencher sur les points de désaccord.
Les deux alliés se sont opposés, ces trois derniers mois, sur trois questions essentielles: la prorogation du mandat du Parlement, le rôle du Conseil constitutionnel et la prolongation de l’âge de la retraite du commandant en chef de l’armée.
Mauvaise communication
Le CPL s’est battu bec et ongles contre la prorogation du mandat de la Chambre, aussi bien à l’hémicycle qu’au Conseil constitutionnel, expliquant à ses alliés que tous les sondages le donnent largement favori dans les régions chrétiennes. Le général Aoun a assuré que son parti était capable de remporter huit sièges supplémentaires, ce qui accorderait à l’alliance 8 mars-CPL au moins 64 députés. Mais pour le mouvement Amal et le Hezbollah, le pari était trop risqué et pourrait se terminer par la victoire du 14 mars, ce qui confèrerait à cette coalition une légitimité populaire, et permettrait au chef du Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt, de se libérer des engagements pris avec Hassan Nasrallah. Au Hezbollah, on ne comprenait pas «l’entêtement» du général Aoun à se lancer dans une bataille aux résultats incertains et dont les conséquences, en cas de défaite, risqueraient de bouleverser les délicats équilibres politiques mis en place dans le pays. De surcroît, le Hezbollah consacre toutes ses ressources et son énergie à la guerre en Syrie et n’a ni le temps, ni l’envie, ni les moyens de se lancer dans une campagne électorale qui nécessiterait une mobilisation politique, populaire et financière maximale.
Du début mai à la mi-juin, le CPL s’est employé à étaler le linge sale dans les colonnes des journaux, au grand dam du Hezbollah. Des responsables de ce parti ont d’ailleurs exprimé leur désarroi, dans des cercles restreints et devant des amis communs, affirmant ne pas comprendre l’attitude du général Aoun et la virulence de certains de ses propos. Gebran Bassil a ainsi parlé d’«erreurs graves», accusant le Hezbollah d’avoir «poignardé» le CPL dans le dos, avant de rectifier ses propos le lendemain. Les critiques ont dépassé le cadre du dossier législatif, pour se désolidariser de l’annonce, le 9 mai, par Hassan Nasrallah, de sa décision d’appuyer «tout mouvement de résistance dans le Golan». L’engagement du Hezbollah en Syrie aux côtés des troupes de Bachar el-Assad a également été «courtoisement» critiqué par le général Michel Aoun.
Selon des observateurs qui suivent de près la relation CPL-Hezbollah, le besoin de recourir aux médias pour afficher les prises de position dénote une défaillance des canaux de communication mis en place entre le commandement des deux partis. Ghaleb Abou Zeinab et Wafic Safa, chargés des contacts directs avec le général Michel Aoun, sont d’ailleurs rarement vus à Rabié ces derniers temps.
Les divergences entre les deux partis sont apparues encore plus nettement à l’occasion de l’«affaire Kahwagi». Une source bien informée rapporte la version suivante: «Hassan Nasrallah a été très surpris de la réaction violente de Michel Aoun contre le projet de prorogation du mandat du général Jean Kahwagi. Il a estimé qu’elle était authentique, alors que le Hezbollah était censé l’avoir prévenu, il y a deux mois, de son intention d’appuyer le maintien de Kahwagi à la tête de l’armée. Sayyed Nasrallah a appelé les responsables chargés du contact avec le général Aoun et leur a demandé s’ils l’avaient prévenu. Ils ont répondu qu’ils avaient évoqué la question avec Gebran Bassil. Le commandement du Hezbollah a alors compris que le ministre de l’Energie n’en avait pas parlé au général Aoun, ce qui explique la virulence de sa réaction».
Les impressions recueillies par les visiteurs de Rabié confirment cette version. Elles décrivent un Michel Aoun en colère, remonté contre ses alliés «qui le mettent devant le fait accompli et lui font de mauvaises surprises». C’est typiquement l’attitude d’un homme mal informé.
Trois tendances au CPL
L’accumulation des contentieux entre Michel Aoun et ses alliés s’est accompagnée d’une ouverture du CPL vers des pays carrément hostiles au Hezbollah, comme les Etats-Unis et l’Arabie saoudite. A peine le général avait-il lancé ses critiques contre ses alliés que Maura Connelly se rendait à Rabié, suivie quelques jours plus tard par Ali Awad Assiri. Le contact avec l’ambassadeur d’Arabie avait d’ailleurs été rétabli, il y a quelques semaines, à l’occasion d’une visite de Gebran Bassil au siège de l’ambassade, à Koraytem.
Certains observateurs ont placé ces ouvertures dans le cadre de manœuvres destinées à faire pression sur le Hezbollah pour le pousser à modifier ses positions concernant les questions litigieuses. Mais en réalité, les démarches du général Aoun répondent à d’autres considérations.
L’ouverture en direction de l’Arabie saoudite intervient après les menaces explicites exprimées par des responsables du Conseil de coopération du Golfe (CCG) de prendre des sanctions contre les Libanais qui soutiennent le Hezbollah et contre ses alliés. Dans une interview accordée au quotidien saoudien al-Charq el-awsat, le secrétaire général du CCG, Abdelatif Ben Rachid el-Zaïani, avait nommément cité les sympathisants du CPL.
Certains milieux aounistes ont des intérêts importants dans les pays du Golfe et ont exprimé au général Aoun leur inquiétude de faire les frais de l’alliance avec le Hezbollah. Ce courant, influent et écouté au sein du CPL, comprend des hommes d’affaires, financiers des institutions du parti (comme la OTV et Sawt el-Mada), mais aussi des députés et des cadres supérieurs. Sensible à leurs arguments, Michel Aoun a estimé que leurs appréhensions devaient être prises
en compte.
Un autre courant au sein du CPL, non moins influent, craint que la confrontation entre les sunnites et les chiites, qui fait rage en Irak et en Syrie, ne se propage au Liban. Dans un tel contexte, les chrétiens ne devraient pas prendre parti pour l’un des deux camps, mais au contraire adopter une position de neutralité et jouer le rôle de médiateur. C’est aussi l’avis de l’Eglise maronite.
C’est sous l’impulsion de ces deux tendances que le général Aoun a pris la décision de reculer d’un pas dans son alliance avec le Hezbollah et de se rapprocher d’un pas de l’Arabie saoudite et des pays occidentaux.
Mais il existe aussi au CPL un troisième courant, puissant au sein des cadres moyens, ceux qui sont en relation directe avec la base. Ceux-là estiment que le véritable danger auquel les chrétiens sont confrontés au Liban et au Levant sont les mouvements takfiristes. En allant les combattre en Syrie, le Hezbollah les empêche de s’implanter au Liban. Ce courant affirme qu’au final, l’engagement du Hezbollah en Syrie sert les intérêts des chrétiens.
La nouvelle attitude politique de Michel Aoun fait la synthèse entre ces trois tendances au sein de son parti. Sur les dossiers internes (notamment parlementaire et gouvernemental), la coordination étroite avec le Hezbollah est désormais révolue. Le CPL développe un nouveau discours, s’articulant sur le fait que ses alliés chiites ne sont pas encore prêts à édifier «le projet de l’Etat» au Liban. Sur le plan stratégique régional, Michel Aoun a arrêté ses positions: il continuera à soutenir la Résistance et à couvrir l’engagement du Hezbollah en Syrie.
Sous ce plafond, tous les coups sont permis.
Paul Khalifeh
Berry enterre le 8 mars
Pour Nabih Berry, l’attentat de Bir el-Abed a donné le coup de grâce à la coalition du 8 mars. Selon la presse de mercredi, le président du Parlement aurait dit au Premier ministre désigné Tammam Salam que le mouvement Amal et le Hezbollah négocieront avec lui la part des chiites au sein du nouveau cabinet, «indépendamment» du chef du Courant
patriotique libre (CPL), le général Michel Aoun.
Le président de la Chambre a dit qu’il existe d’importantes divergences entre Aoun et les autres composantes du 8 mars, «notamment au niveau interne». «Dès aujourd’hui, chacun est libre de ses choix concernant le gouvernement ou même le Parlement, a dit Berry. J’ai déjà fait part de cela au ministre Gebran Bassil». «L’accord stratégique concernant la Résistance et le conflit contre Israël tient toujours», a-t-il cependant ajouté.
Joumblatt à la place du CPL?
Les relations entre le chef du Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt, et le Hezbollah sont stables et sont coordonnées par le ministre Ghazi Aridi, qui a repris son rôle après quelques mois passés au placard.
Joumblatt a par ailleurs donné des
instructions pour une reprise des contacts avec le Parti syrien national social (PSNS) après une rupture de plusieurs années.
Avec le mouvement Amal, Joumblatt
entretient une alliance à tous les niveaux. Il ne prend aucune décision sans s’être concerté au préalable avec le président du Parlement, Nabih Berry. Le chef du PSP était extrêmement remonté contre «la folie» qui a abouti au torpillage de la séance
parlementaire, estimant que Berry est «une garantie nationale et un besoin pour arrondir les angles et préserver la paix civile».
Certaines mauvaises langues se demandent si le PSP remplacera le CPL en tant que principal allié du Hezbollah. Après la mort annoncée du 8 mars verra-t-on l’émergence d’une alliance Joumblatt-Berry-Hezbollah, sachant que le chef du PSP pourrait assurer une couverture politique au Hezbollah dans la période à venir?