Depuis plus de vingt ans, il représente la région de Rachaya-Békaa-Ouest au Parlement et il est le plus ancien député maronite ayant été élu successivement depuis l’accord de Taëf. Témoin d’une époque mouvementée, il fut aussi ministre et candidat à la présidence à deux reprises. Tout en étant membre du 14 mars, il se veut une figure modérée et prône le dialogue. Portrait de Robert Ghanem.
C’est dans son bureau à Hazmié que Robert Ghanem nous reçoit. Il nous entraîne dans les souvenirs de sa vie si riche en événements. De son enfance auprès de son père, l’ancien commandant en chef de l’armée, le général Iskandar Ghanem, à sa vision pessimiste de la situation actuelle, tout en passant par les multiples événements qui ont jalonné ces dernières années.
Il est âgé d’à peine deux ou trois ans lorsqu’il quitte la ville de Homs, en Syrie, où il vivait avec sa famille. Marqué par ce départ précipité, il garde encore l’image de ce voyage à Beyrouth fait à bord d’un camion au toit découvert. «C’était durant la Deuxième Guerre mondiale, sous le mandat français, mon père était en charge de l’école militaire à Homs», raconte Robert Ghanem. Il est aussi fortement impressionné par la révolution de 1958. «On vivait à Béchara el-Khoury, à la frontière entre les belligérants et on recevait des coups de part et d’autre». En 1968, il est arrêté par le deuxième bureau à la caserne d’Ablah, dans la Békaa, car il travaillait pour la liste de Joseph Skaff. «Tous ces événements m’ont fortement marqué. Je suis contre toute guerre et j’ai pleinement conscience de toutes les misères que celle-ci peut engendrer, malgré le fait que j’ai vécu dans une maison de militaire», confie Robert Ghanem. Il se souvient encore à quel point son père, le général Iskandar Ghanem, était un homme sévère et strict sur tout ce qui avait trait aux principes et à la discipline. «Ceci m’a beaucoup appris sur l’amour de la patrie. Chaque Libanais doit donner à sa patrie sans rien attendre en retour selon l’adage: la récompense du devoir est le devoir même».
Nostalgie des années 60
C’est avec nostalgie que Robert Ghanem se souvient de la période d’or du Liban, des années 1960 à 1974. Selon le député, c’est cette époque qui a donné au Liban son surnom de Suisse de l’Orient, qui nous a appris le goût de la vie dans ce pays et a forgé en nous les bases de la vie en commun. «J’ai toujours vécu entre les églises et les mosquées. Je suis habitué à ce paysage, à ce mélange qui constitue la richesse de ce pays». Déjà à l’école Notre-Dame de Jamhour où il fait ses études, sur les seize élèves que comptait la classe, trois sont musulmans. Après Jamhour, c’est à l’Université Saint-Joseph que Robert Ghanem fait des études de droit. En homme indépendant, à l’esprit libre, il ne songe aucun instant à suivre les traces de son père et entrer dans l’armée. «Mon père ne m’a jamais influencé dans ce sens. C’était un homme discret qui a tout de suite réalisé que j’avais tendance à être plus libre que lui. Cela ne m’a jamais tenté. J’aimais la liberté de dire et de faire ce que je voulais». Il est séduit par la profession d’avocat et dès la deuxième année de droit, il demande à sa mère d’intercéder en sa faveur auprès d’Antoine Saad, le chef du deuxième bureau, afin qu’il l’introduise au Parlement. Il devient en 1962, à 20 ans à peine, secrétaire de la Commission des Affaires étrangères et en 1964 secrétaire du président du Parlement. «Durant cette période, j’ai eu la chance de faire le tour du monde en 1965. J’avais des hésitations car j’étais en quatrième année de droit et j’avais des examens à présenter. Je m’étais confié au père Ducruet qui s’était exclamé: «Un voyage autour du monde et vous hésitez encore mon fils! Allez-y et vous présenterez vos examens à la session d’octobre».
Impliqué en politique depuis 1962, Robert Ghanem n’a jamais cessé d’être un homme d’ouverture et de dialogue. Dès les années 60, il faisait des tournées électorales pour Joseph Skaff en compagnie du cheikh de Karaoun auprès des notables sunnites et chiites de la Békaa. «La Békaa-Ouest est une région qui symbolise la vie en commun surtout durant ces années-là». Il exerce aussi son métier d’avocat au Liban et possède une large clientèle composée essentiellement d’hommes d’affaires arabes. «Après l’assassinat de Toni Frangié, mes clients n’ont pas pu revenir au Liban à cause de la situation et j’ai été sollicité par l’un d’eux, Osman Aiidi, pour aller m’installer à Paris. Ce fut une période très fructueuse sur le plan professionnel et sur le plan familial», confie Robert Ghanem. Il se rappelle avec tendresse les premiers pas de son fils et les instants passés auprès de lui. «Pourtant, je n’ai jamais vraiment quitté le Liban ni de cœur ni physiquement. Je venais souvent pour les fêtes et on passait l’été à Saghbine. J’ai voulu créer chez ma famille cet attachement envers la terre». Avec une grande nostalgie, Robert Ghanem parle de Saghbine, son village natal, où il passait tous les étés de 1959 à 1974, l’âge d’or du Liban comme il dit.
C’est avec un brin d’amertume qu’il évoque sa relation avec les gens. «J’étais très attaché à eux. Aujourd’hui, ils ont changé. Il n’y a plus de sincérité ou cette authenticité qui existait auparavant. Les relations sont maintenant régies par la peur ou l’intérêt», confie le député. Ce qui le choque le plus ces derniers temps, c’est la mémoire sélective des gens. «Ils oublient tout ce qui a été fait pour eux. Aujourd’hui, la haine a pris place. Alors que la politique ne devrait diviser les gens que sur des programmes et des idées, elle divise les foyers et monte les membres d’une même famille, les uns contre les autres. Les gens ne réfléchissent plus, ils n’ont plus leurs idées propres», souligne Robert Ghanem qui ne cache pas sa déception. «Je suis déçu par la politique politicienne car la politique c’est de savoir donner de soi-même pour la nation et pour le bien-être du citoyen et c’est exactement le contraire qui se passe aujourd’hui». Pourtant, lui, qui a passé de nombreuses années dans le monde de la politique, a déjà assisté à des divisions et des clivages. «Actuellement c’est l’intérêt personnel que l’on fait prévaloir. On est passé par des divisions du temps du deuxième bureau, mais cela n’allait jamais au-delà d’une certaine limite. Il y avait toujours le respect de l’être humain et des droits de l’homme. On est arrivé à un point de division que le Liban n’a jamais connu dans son histoire. Il y a un groupe aujourd’hui qui ne reconnaît plus ni le Pacte national, ni la Constitution ni le partenariat. Ils s’estiment les seuls ayants droit et ne tiennent pas compte de l’avis des autres».
Heureuse contravention
Pour Robert Ghanem, il est indéniable que les Libanais méritent autre chose. «Pour changer de politique, il faut changer d’hommes mais, au Liban, cela est contraire à la nature. Les citoyens réclament de leurs leaders, ceux-là mêmes qui ont fait la guerre, de faire la paix et reconstruire le pays. Mais on ne peut pas demander à des gens impliqués de faire la paix entre les différentes factions libanaises d’une part et d’autre part de procéder à des réformes et développer le pays».
Marié à la journaliste Viviane Haddad, ils sont les parents de deux enfants, Alexandre (né en 1975) et Nadim (né en 1985), et les grands-parents de deux petits-enfants: Lilas (6 ans) et Robert (3 ans), auxquels il est profondément attaché. C’est à cause d’une contravention pour une voiture garée en double file qui s’était transformée en décision d’emprisonnement qu’ils font connaissance. Viviane Haddad faisait la rubrique Midi-Minuit à L’Orient. En tant qu’avocat du quotidien, Robert Ghanem se charge de l’affaire et ce fut le début de leur histoire.
Robert Ghanem est député et fut ministre de l’Education, mais pour lui il n’y a aucune différence. «Celui qui veut servir ses concitoyens peut le faire partout». Quant à la présidence, il n’y pense pas. «Il faut qu’il y ait d’abord un Etat, car aujourd’hui l’Etat est en déconfiture. Mais si je peux le faire, je le ferai. Pas dans le but d’être président mais dans celui de donner quelque chose aux Libanais qui méritent de vivre en paix et de retrouver leurs droits les plus élémentaires».
Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub-DR
Ce qu’il en pense
Ses loisirs: «Le tennis et la musique. J’aime beaucoup le cinéma, mais j’y vais rarement, je regarde des films chez moi».
Social Networking: «Je suis un homme
discret de nature et je n’aime pas m’exposer. Je ne suis pas tenté par ce phénomène qui nécessite de la patience et du temps».
Sa devise: «S’élever au-delà de tout, l’amour et le pardon. Un être ne se sent obligé que s’il est libre».
La Syrie, encore et toujours
Selon Robert Ghanem, c’est une période
malheureuse que traverse la Syrie. «Les Syriens ne sont pas des démocrates et ne savaient pas ce que c’étaient les institutions. Nous avons souffert de leur occupation mais ceci était voulu par les grandes puissances. Après leur départ causé par l’assassinat de Rafic Hariri, tous les Libanais se sont
retrouvés autour des mêmes valeurs:
souveraineté, liberté et indépendance. Les sunnites ont été pour la première fois les adeptes de ce regroupement autour du Pacte national, alors qu’ils avaient un penchant panarabe. Il fallait tirer profit de ce
rapprochement des communautés chrétiennes et musulmanes pour sauvegarder le Pacte national et la coexistence». Il souligne que Taëf a mis fin à la guerre, mais la présence syrienne n’a pas permis aux Libanais
d’appliquer convenablement cet accord. «Si une partie des chrétiens réclament aujourd’hui que 50% des députés soient élus par une
majorité chrétienne c’est parce que Taëf n’a pas été exécuté. On aurait dû avoir une
décentralisation, un Sénat et un
développement équitable. Avant Taëf, le
président de la République avait tous les pouvoirs, même celui de commandant en chef de l’armée et en 1958 le président Chamoun n’a pas pu sauver les chrétiens. Donc, dire aujourd’hui que la survie des chrétiens se fait en élisant 50% des députés est un faux problème. Nous sommes partenaires dans ce pays et ce partenariat ne doit pas reposer sur le nombre des députés mais sur le partage
des devoirs entre l’Etat et le citoyen».