Quelques heures après l’assassinat, le 17 juillet dernier, de Mohammad Darrar Jammo à son domicile de Sarafand, dans le sud de Saïda, les enquêteurs ont rapidement abandonné la piste politique pour se concentrer sur l’entourage familial de la victime. Le frère, le neveu et l’épouse sont dans le collimateur.
Mercredi dernier, aux alentours de deux heures du matin. Le directeur de la section politique et des relations internationales au sein de la discrète Organisation mondiale pour les émigrés arabes a entamé quelques jours plus tôt un véritable marathon médiatique sur les plateaux de télévision et de radio libanais. Sa jeunesse, son bagou et son discours favorable au régime syrien ont fait de lui une star des talk-shows politiques. Le lendemain, il était attendu dans les studios de la radio al-Nour affiliée au Hezbollah. Ce mercredi, il revient chez lui au volant de sa voiture dans sa résidence secondaire de Sarafand. Il se gare, ouvre le coffre de son véhicule pour transporter ses emplettes de la journée. Son épouse, la Libanaise Siham Younès, l’attend sur le perron de la maison. Leur fille de 17 ans, Fatma, est déjà couchée. Siham rentre chez elle, suivie quelques petites minutes plus tard par son mari, sacs à la main. Lorsqu’il franchit la porte d’entrée, des coups de feu retentissent. C’est lui la cible. Il s’écroule, mais les rafales continuent. Lorsque son épouse, alertée par les coups de feu, se rend dans le salon, elle voit le corps de Jammo, criblé de balles, gisant dans une mare de sang. Les assaillants fuient, Jammo mourra sur le coup. A première vue, il s’agit d’un assassinat politique. Cette première intuition sera très vite balayée.
Sur place, les enquêteurs procèdent aux premiers examens. Le corps de la victime est criblé d’une trentaine de balles de kalachnikov. La tête est relativement épargnée, c’est sur le torse et les jambes que se concentrent la plupart des impacts de balle. Ces impacts indiquent aux experts balistiques que la victime a été attaquée à bout portant, à moins d’un mètre de distance. Il s’agit là d’une exécution en règle, les assaillants se sont déchaînés sur leur cible. Les enquêteurs constatent également que le système de caméras de surveillance qui protégeait la maison a été saboté. Un véritable guet-apens, modus operandi, qui tranche de manière évidente avec celui des récents assassinats politiques ciblés. Alors que les enquêteurs s’interrogent, les habitants de cette région du sud de Saïda, contrôlée par le Hezbollah et le mouvement Amal, s’inquiètent. Des cellules dormantes gravitant dans l’orbite de la rébellion syrienne armée et pointées du doigt ont-elles infiltré la région?
La réaction des politiques, en Syrie et au Liban, et l’interpellation de travailleurs syriens étayent l’impression. Pas pour longtemps. Les enquêteurs estiment que l’exécution a requis une parfaite connaissance des lieux et de l’emploi du temps de la famille. Jammo vivait principalement à Damas ces derniers mois. Les investigations montreront très vite que le couple est en crise. Siham refusait de quitter le Liban avec sa fille Fatma pour vivre en Syrie. Jammo était au Liban pour annoncer à son épouse qu’il la quittait. L’enquête prend alors une tout autre tournure. Le lendemain du drame, plusieurs personnes sont interpellées dans les environs. Deux d’entre elles avoueront avoir saboté le système de surveillance de la maison. Elles citent le nom de leur commanditaire, Badih Younès, le propre frère de l’épouse éplorée. Il est alors arrêté, ainsi que son fils Ali, soupçonnés d’avoir exécuté le meurtre. Ils finiront par l’avouer aux enquêteurs de l’armée.
Reste aujourd’hui à déterminer le rôle de l’épouse dans cette affaire. A la suite du meurtre, elle a affirmé que son mari avait été averti récemment par le parti Baas syrien qu’il risquait d’être la cible d’une tentative d’assassinat. Deux jours après l’assassinat, interrogée à la télévision, Siham Younès appelle à l’arrestation des coupables, «quels qu’ils soient» depuis Lattaquié, où ont eu lieu les funérailles de Jammo. Siham Younès est-elle l’instigatrice du complot contre son mari?
J. A. R.
Livrée aux autorités libanaises
Sur ordre du procureur Samir Hammoud et du garde des Sceaux Chakib Cortbaoui, la justice libanaise a demandé aux autorités syriennes de lui remettre l’épouse de Mohammad Jammo. Elle a été livrée cette semaine à travers le passage frontalier de Masnaa. Sarafand est encore sous le choc et a affirmé son soutien à Fatma, la fille du couple de 17 ans, qui a été admise pendant un laps de temps à l’hôpital de Lattaquié en observation. Après avoir porté la dépouille de son père, elle souffrirait aujourd’hui d’une sévère dépression nerveuse.