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Mouna Béchara

Responsables et coupables

Dans quel pays vivons-nous? Celui que nos livres d’histoire font remonter à 6000 ans de civilisation? Celui qui fut le berceau de la première faculté de droit dont il ne reste que des vestiges profondément enfouis sous le sol de ce que fut Béryte? Celui dont les fils ont acquis leur indépendance au fil des ans et au prix de leurs vies? Celui dont ne témoignent plus que les mausolées que l’on se contente d’honorer tous les 22 novembre en y déposant une couronne de fleurs? Hélas, de tout cela il ne reste quasiment que des crimes crapuleux, des meurtres politiques, des actes de terrorisme et un sentiment d’impuissance devant une violence et une barbarie inouïes. Chaque jour apporte son lot de scènes, dignes des pires films d’horreur. Les vols classiques, ou à l’arraché, sont le lot quotidien des citoyens qui se les racontent, comme de simples faits divers banalisés du fait de leur fréquence. Entre-temps, des jeunes, à peine sortis de l’adolescence, sillonnent les routes tout au long des nuits, sont agressés violemment, dépouillés de leur voiture et de leur argent sans que nul ne réagisse. Des actes de terrorisme font autant de victimes au Nord qu’au Sud, afin que nul ne soit épargné. Tout cela dans un pays dont l’économie s’effondre, dont le pouvoir d’achat disparaît de jour en jour, dont les frontières sont ouvertes à tous les vents. Et pour couronner le tout, le crime odieux perpétré contre Rabih Ahmad, le sunnite qui a commis la faute impardonnable de porter les yeux sur Roudaïna Malaeb la druze et de l’épouser. Fiction ou réalité? Film d’horreur que le scénariste à l’esprit le plus tordu ne peut avoir imaginé. Cet homme dont l’avenir est détruit, suicidaire s’il en est, ne demande que justice. Il rejette toute forme de vengeance que ses proches jurent de prendre, et s’en remet courageusement à la justice de l’Etat. Mais celle-ci répondra-t-elle à son espoir? Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Rêver d’un Etat de droit au sein duquel le citoyen est défendu et protégé. Ce dossier, comme celui de l’assassinat de Roula Yaacoub, n’ira-t-il pas rejoindre les centaines, pour ne pas dire les milliers d’autres, bouffés par les mites dans les tiroirs du Parlement et dont seuls se souviennent les victimes et les ayants droit. Combien de Roula Yaacoub, frappées à mort par leurs maris, leurs pères ou leurs frères ont-elles succombé aux coups violents des hommes sous les yeux des enfants? Combien sont-elles à garder le silence, honteuses de ce qu’elles ont subi ou conscientes de ne pas obtenir justice? Ces deux cas, apparemment isolés, ne le sont pas. Si dans le premier cas le mobile dénoncé est confessionnel et dans le second une atteinte pure et simple à la femme, combien d’affaires du même type restent secrètes ou en tout cas impunies, comme pourrait être le cas de l’assassin présumé d’une mère de famille rouée de coups sous les yeux de ses enfants? Quel avenir pour ces derniers et pour tant d’autres comme eux? Combien de plaintes restées sans suite pour des raisons politiques ou confessionnelles? Combien faut-il encore de Roula Yaacoub pour que les représentants du peuple, devenus leurs propres maîtres, confortablement installés dans un hémicycle de luxe, endormis sous les dorures de la coupole, retrouvent un zeste de sens des responsabilités et se penchent sur l’élaboration d’une loi qui protège les femmes contre les violences domestiques?
Mais qu’attendre d’un Etat qui ignore sa Constitution dans toutes ses clauses, dont même la plus haute autorité juridique est aux abonnés absents quand cela lui convient? Où en est le temps où un général, président de la République, renvoyait sans cesse au «Livre»? Nos élus, certes, ont d’autres soucis et d’autres chats à fouetter. Ils sont fatigués d’avoir à défendre leurs droits, à prolonger leurs mandats, à assurer leur propre protection. Ceci étant, ils peuvent prendre des vacances tant méritées. Le dialogue préconisé par le chef de l’Etat, un dialogue aux résultats fort improbables, peut attendre. Où est l’urgence dans un pays qui va à vau- l’eau, livré à tous les requins environnants? Qui est responsable de ces dérives? N’est-ce pas les discours démagogiques dont les auteurs ne réalisent peut-être pas la portée?

Mouna Béchara
 

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