Magazine Le Mensuel

Nº 2908 du vendredi 2 août 2013

general

Crazy Opéra. Entre opéra et audace

Le mercredi 24 juillet, la soprano Samar Salamé, accompagnée de Tony Abou Jaoudé, a présenté au public 
du Festival international de Byblos un concept inédit, 
un Crazy Opéra, mis en scène par Jean Sakr, emmêlant airs lyriques et mélodies arabes.

Le spectacle débute dans une ambiance de véritable tragédie classique. Samar Salamé, vêtue d’une robe blanche vaporeuse, entonne La vita è bella de Nicola Piovani, accompagnée du chœur de l’Université Antonine. Une voix puissante de soprano, aux accents poignants, renforcée par la sobriété de la mise en scène et l’éclairage en semi-pénombre. Mais ne vous y trompez pas. Crazy Opéra, comme son nom l’indique, réserve bien des surprises, des morceaux surprenants qu’on n’aurait pas imaginés, a priori, faisant partie d’un même ensemble. Il ne s’agit pas d’un spectacle lyrique dédié entièrement aux airs d’opéra. C’est le pari un peu fou que s’est lancé la soprano libanaise; présenter dans le cadre du Festival international de Byblos un spectacle inédit, ludique et original, dans lequel les grands airs lyriques rencontrent un orchestre composé d’instruments occidentaux et orientaux, mené par Mario Rahi, sous la direction du père Toufic Maatouk, et avec Ziyad Sahhab au oud. Un spectacle mis en espace, éclairé et chorégraphié par Jean Sakr, accompagné de sa troupe de danseurs.
A mesure que les morceaux s’enchaînent, le spectacle prend de nouvelles directions, ouvre de nouvelles fenêtres, la scène se colore davantage, les danseurs se font plus présents. On a du mal les premiers moments à assimiler d’un coup les transitions qui se font entre les grands airs d’opéra, à l’instar d’Ave Maria d’Astor Piazzolla, Nella fantasia d’Ennio Morricone… et des morceaux plus étonnants, tels Zombie de Cranberries, Alabama song de Kurt Weill, Adaych kan fin nass de Ziad Rahbani, Tonight et I feel pretty tirés de West Side story, Ya habibi ta3ala d’Asmahan… Passés les premiers moments d’étonnement, on accroche, agréablement surpris par ce virement pour le moins inattendu, agréable, rafraîchissant et divertissant. Mais la faiblesse de la mise en scène et des chorégraphies, qui souvent s’accrochent au premier degré du morceau, rend difficile la concentration, avant que la beauté des voix ne rééquilibre le plaisir éprouvé.
Crazy Opéra aurait gagné à être tellement mieux travaillé, répété, peaufiné, épuré pour n’en garder que l’essentiel. Parce que, à force de tenter de nous en mettre plein la vue, par un trop-plein de détails, de mouvements de danses parfois imprécis, de mise en scène bariolée, de costumes, de couleurs, d’étoffes… le spectateur, submergé, perd son attention et passe à côté de la beauté du chant, de la pureté des voix. D’autant plus qu’il s’attend à retrouver les standards qui correspondent à la renommée du Festival international de Byblos.
Au-delà de ces quelques imperfections, Crazy Opéra se démarque par l’audace du concept, par l’étonnante et belle «rencontre fortuite» entre la voix cristalline de Samar Salamé et les notes orientales de Ziyad Sahhab, par la complicité vocale et scénique qui unit la soprano à Tony Abou Jaoudé. C’est sur le célèbre Duetto buffo di due gatti de Rossini que celui-ci fait sa première apparition. Un délicieux duo emmêlant chant puissant et humour que partagent Samar Salamé et Tony Abou Jaoudé, entre eux d’abord, avec le public ensuite. Au fil des modulations du célèbre miaou, le spectacle ira dès lors en crescendo, jusqu’à l’euphorique explosion finale, de voix, de couleurs et d’images, avec un extrait de La Traviata de Verdi, Libiamo.
Reconnu depuis des années pour ses multiples talents, Tony Abou Jaoudé a depuis longtemps fidélisé son public avec son unique capacité à imiter vocalement une multitude de personnalités. Jusqu’à la véritable révélation de sa puissance vocale lors de l’émission télévisée Celebrity Duets. Pour sa première prestation dans un cadre d’opéra «sérieux», Tony Abou Jaoudé s’en est parfaitement bien tiré. Parce qu’il ne semblait précisément pas se prendre au sérieux. Et c’est là que réside sa force. Il paraissait prendre un immense plaisir à interpréter les airs d’opéra qu’il écoutait depuis sa jeunesse. D’ailleurs, il a découvert l’opéra, enfant, en regardant des épisodes de Tom & Jerry évoluer au rythme du célèbre air de Rossini, Les noces de Figaro. Et c’est avec le dur exercice de style que présente Largo al Factotum, tiré de l’opéra de Rossini, Il barbiere di Siviglia, que Tony Abou Jaoudé captive encore plus son public, emmêlant astuces de baryton et espiègleries humoristiques.
Crazy Opéra, un spectacle dont on aimerait suivre l’évolution et le développement, pour maximiser notre enchantement.

Nayla Rached
 

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