La cinéaste libanaise Jocelyne Saab présente au MuCEM, à Marseille, six courts métrages réalisés sur le pourtour de la Méditerranée autour du thème Sexe et genre. Quand la violence faite au corps devient création, elle appelle au changement.
Cela faisait plus d’un an que Jocelyne Saab travaillait sur un projet de long métrage autour de la Méditerranée. Un projet qu’elle met à exécution au bout du compte, mais de manière différente. Au lieu d’un long, ce sera des courts métrages, de quatre minutes environ chacun, réalisés sur le pourtour de la Méditerranée autour du thème Sexe et genre, et exposés au MuCEM, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, dans le cadre de Marseille-Provence 2013, Capitale européenne de la culture. Un projet d’autant plus difficile, qu’il faut d’une part prendre en considération les exigences du commissaire d’exposition Denis Chevalier, et de l’autre, la forme de ces films qui sont des sortes de documentaires avec une mise en scène.
Chaque film porte le nom d’une des tables du café virtuel de l’exposition «Au Bazar du genre», qui a débuté le 5 juin au MuCEM et se poursuivra jusqu’au 6 janvier 2014. Les six sujets traitent des modalités d’expression du genre. Ils sont construits autour de gens porteurs de projets qui décrivent l’éventail des mutations autour de la Méditerranée, que Jocelyne Saab a choisis par intuition, en fouillant, ou en se référant à des rencontres antérieures.
La presse a eu droit à la projection de ces six courts métrages lors d’une séance spéciale, le mercredi 17 juillet, à Abraj, en présence de l’équipe de post-office qui en a réalisé la postproduction à Beyrouth. Six courts métrages forts, puissants, voire violents et perturbants. Parce qu’il s’agit du corps. Le corps soumis dans ces pays à autant de violence que de répression, d’inhibition, de honte, de dépossession. Le corps féminin surtout, dans «un monde où la femme ne possède pas son corps», comme l’affirme l’auteure algérienne Wassyla Tamzali. En l’espace de quelques minutes, Jocelyne Saab va à l’essentiel, tirant, extirpant de chacune des personnalités ce qui la tourmente le plus et ce qui finalement donne naissance à son art, ses activités, sa lutte face à un monde dont la culture est contre le corps.
«Le verbe de l’égalité existe-t-il?»
Ouverture en force avec le premier café du genre, la Table de Walid Aouni, «le fou vert», ce chorégraphe égyptien, d’origine libanaise, qui a été forcé de s’exiler de son pays, de laisser tomber la direction de l’Opéra du Caire, face aux répressions subies pour s’être porté défenseur, dans chacune de ses chorégraphies, de l’expression du corps, de la liberté d’expression artistique. C’est ensuite avec Adel Siwi que se dévoile la Table du peintre des pharaons et des danseuses. Des toiles géantes de tradition pharaonique, il est passé à une peinture plus actuelle, moins laborieuse, plus directe, toujours tournée vers le passé toutefois, quand les beautés des années 40 à 60, telles Tahiya Carioca, Najat el-Saghira… étaient autant de légendes que d’images fantasmées. Un passé glorieux et pas très lointain comme pour contrer le présent et sa réalité qui pèse sur nous. Et le voilà qui lance cette phrase qui résume toute notre situation: «Le corps devrait-il subir entièrement les défaites de l’esprit?».
Pour la table de la revue du corps, rencontre avec la poétesse libanaise Joumana Haddad qui a fondé la revue Jasad, inspirée par Lilith, la première femme indépendante de la mythologie née de la même terre d’Adam et non de sa côte. Avec le 4e café du genre, Voyage en Turquie, pour découvrir l’originalité décapante d’une remise de prix cinématographiques très particulière. Le critique Melek Ozman et la fondatrice d’une association de films pour la défense des droits des femmes Filmor, Cuneyt Cebnoyan expliquent le principe de l’Ocra d’or, l’ocra symbolisant le pénis du garçon dans la tradition turque, décerné au film le plus machiste de l’année. Et souvent le lauréat ne se présente pas à la remise des prix. Mais le message passe, encore plus fort, dans l’espoir de faire changer les choses. Table de la danse et de l’orgueil est le titre du 5e court, à travers lequel le danseur et chorégraphe libanais Alexandre Paulikevitch, activiste dans Helem, évoque la manière dont son corps accuse la violence de la ville et l’homophobie ambiante tout en le transformant en un espace de création. Pour son dernier café, Table de la revue de l’exigence, Jocelyne Saab part à la rencontre de Wassyla Tamzali, avocate, écrivaine et militante féministe qui explique comment «la révolution passe par le corps des femmes, par la libération des femmes».
En espérant une éventuelle projection publique, pour que les Libanais puissent à leur tour participer au changement des mentalités, à la révolution du corps.
Nayla Rached