Magazine Le Mensuel

Nº 2910 du vendredi 16 août 2013

general

Ziad Rahbani. Pour le plaisir de la musique

Après le Festival international de Zouk, Ziad Rahbani est apparu une nouvelle fois au public libanais, le samedi 10 août, dans le cadre de Beirut Holidays. «Dakt», un concert, une soirée, un pur moment de musique.

On attend chacune de ses apparitions publiques, qui se font un peu moins rares ces temps-ci. Pour notre plus grand bonheur. Et à chacune de ses apparitions, avant, durant, après, on se lance en supputations et expectatives, en airs fiers et entendus… Mais Ziad Rahbani a toujours su, voulu et fait en sorte de garder ses secrets. Ce qu’il offre, à chaque fois, à son public très nombreux, c’est la musique. La musique avant toute chose, ce cadeau qui reste inestimable parce que porté en premier par la passion, par le plaisir. Et si Ziad Rahbani fait plaisir à son public, c’est parce qu’avant tout, il se fait plaisir. Dans le choix du répertoire, dans l’alternance entre des standards de jazz et ses propres compositions, dans l’aisance décontractée qu’il a sur scène, toujours aux aguets au moindre détail, en véritable maître.
Les souks de Beyrouth étaient plongés ce samedi 10 août dans une ambiance où le majestueux côtoie la simplicité, le cérémonial l’authenticité. Comme l’est souvent le cas quand Ziad Rahbani présente l’un de ses concerts que tout le monde attend au tournant. Entre les désirs de tout un chacun, entre ce qu’on souhaiterait entendre et ce qu’on est sur le point d’entendre, il y a un piano, un esprit libre de toutes les contraintes et manipulateur espiègle de toutes les contraintes. Et Ziad Rahbani débute la soirée par l’hymne national.
Installé au piano, accompagné d’un grand orchestre cosmopolite, et tour à tour des interprètes Cinda Ramseur, Claudia Patrice, Pearl Ramsey, Manal Semaan et Salim Lahham, Ziad Rahbani entonne les premières notes de la soirée. Une soirée placée sous le signe de la convivialité, à l’instar d’un bœuf entre amis mus par une même passion, où tout pourtant est préparé à l’avance, dosé, étudié, analysé. Mais laissant en même temps une grande part à l’improvisation, à la spontanéité.
Entre une chanson et une autre, un morceau et un autre, Ziad Rahbani lance quelques mots qui résonnent comme autant d’anecdotes auprès d’un public assoiffé de l’entendre de nouveau émettre les mots justes, mettre des mots sur tout ce qui va et ne va pas dans notre pays. Et voilà que la metteuse en scène Lina Khoury vient lire l’un des récents textes de Ziad, habités par son humour toujours corrosif, ses jeux de mots percutants et simples à la fois, son imaginaire décapant, sa manière de construire un ensemble logique en superposant des images pratiques, concrètes et débridées. Et nous voilà plongés en plein délire jouissif sur cette relation bizarre entre une salière, les grains de riz qu’on y glisse généralement pour en faciliter l’utilisation et la ville allemande de Hambourg… Un peu plus tard, c’est un «trip» hallucinant qui nous renverra sur l’autre versant de la langue arabe, au moment où il déclinera, toujours via la voix de Khoury, l’étrangeté inhabituelle et familière de l’expression «ma zal», conjuguée à tous les temps, les modes, les improbabilités, les rires et les sourires…
Retour à la musique. La musique en premier, la musique toujours. Da3ouat dod majhoul, Talfan Ayyach, Film amériqui tawil… Ziad Rahbani pioche dans son répertoire ancien et nouveau, pour offrir au public un bouquet de notes, de sons, d’audace et d’images, porté par des musiciens soudés par une synergie maîtrisée et par les voix de Salim Lahham et Manal Semaan. Et parce que la musique est avant tout une envie, l’envie d’un instant, d’instants qui se succèdent, pêle-mêle, parce que porteurs d’évasion, d’ailleurs, de jubilation interne, Ziad nous emmène tour à tour au détour de la jonction entre jazz et funk, quand retentissent, puissantes et graves, les mille et une intonations vocales des chanteuses Cinda Ramseur, Claudia Patrice et Pearl Ramsey.
Dakt de Ziad Rahbani, c’est plus d’une heure et demie de notes, de musique, de mots et d’images, d’univers qui s’entremêlent et se croisent, de correspondances à saisir au vol, l’esprit libéré de tout préjugé et ouvert à tous les possibles.

Nayla Rached

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