Ashton Kutcher se glisse sous les traits de Steve Jobs, dans ce premier biopic sur la vie du créateur d’Apple. Jobs, intéressant, mais loin d’être passionnant.
Depuis sa mort en 2011, Steve Jobs n’a cessé de faire rêver. Un visionnaire, un homme qui a révolutionné le monde de la technologie, qui a tout simplement changé le monde. Ce monde, notre monde personnel et même intime en quelque sorte, qui n’aurait pas été le même sans la vision, la volonté et la persévérance de Steve Jobs, le cofondateur d’Apple, le créateur du Mac, du i-Pod, du i-Tunes, du i-Pad… Dès l’annonce de sa mort, des suites d’une longue maladie, Hollywood n’avait pas tardé à se lancer dans une course contre la montre pour mettre à l’écran sa biographie. A peine deux ans plus tard, voici Jobs, le premier biopic à sortir sur nos grands écrans. Commandé par Mark Hulme, qui signe là sa première production, écrit par Matt Whiteley et réalisé par le jeune Joshua Michael Stern (Neverwas et Swing Vote dont il a également écrit le scénario), Jobs met à l’affiche Ashton Kutcher, dans le rôle phare.
2001. Dans une démarche particulière, à petits pas successifs et empressés, un homme, vu de dos, se dirige vers la salle de réunion d’Apple. Jean et col roulé noir. Plongée sur son visage: Ashton Kutcher, sous les traits merveilleusement reconstitués de Steve Jobs, présente à son équipe la petite révolution qu’Apple vient de mettre au point, le i-Pod. Soit donc cette entrée dans l’intimité de tout un chacun à travers ce petit équipement qui permet de contenir et de diffuser à volonté une quantité incroyable de musique. Motivation, enthousiasme et sourires brillants de l’assistance.
Retour en arrière. 1974, Reed College à Silicon Valley; Steve Jobs n’était encore qu’un étudiant qui venait de laisser tomber son cursus universitaire normal pour ne suivre que des cours de calligraphie. Progressivement, le spectateur voit défiler les événements marquants dans la vie de Jobs, du moins durant les deux premières décennies, soit donc jusqu’à son retour triomphant comme CEO au cœur de sa propre compagnie Apple, après en avoir été éjecté quelques années plus tôt. De ses premières années à Atari, au garage de ses parents où il développe, en compagnie notamment de Steve Wozniak (Josh Gad), le cofondateur d’Apple, l’ordinateur
Apple I, puis Apple II, jusqu’à la fondation de la célèbre entreprise… Le spectateur assiste à une succession d’événements, qui souvent ne sont pas liés, ou dont on ne voit pas l’utilité si on ne connaît pas les détails de la vie de Jobs, comme notamment l’impact qu’a eu sur lui les cours de calligraphie pris à l’université et qui, d’une certaine manière, déterminent l’apport particulier d’Apple au niveau de l’ordinateur personnel. Certaines séquences sont en revanche merveilleusement réussies; quand Jobs s’acharne à vouloir développer les polices de l’ordinateur Lisa quitte à virer le principal et meilleur développeur de la compagnie; quand il prend en main le développement du Mac; quand il confronte le comité d’Apple, Arthur Rock (J.K. Simons), John Sculley (Matthew Modine), Mike Markkula (Dermot Mulroney)…
De volonté et de persévérance
Sûrement, il est difficile de caser une vie aussi riche en deux heures de temps, mais certaines omissions sont décevantes. Ainsi, quand Jobs est écarté d’Apple, sa traversée du désert se passe en quelques scènes très rapides, où on le voit occupé à récolter ses carottes et à tenter de réveiller sa fille Lisa, née de la liaison qu’il avait eue avec sa copine de fac, et qu’il avait pourtant refusé de reconnaître à sa naissance? Comment a-t-il entre-temps géré sa vie personnelle et familiale pour en arriver là? Et qu’en est-il surtout de la création des nouvelles entreprises NeXT et Pixar? Aucune allusion. Pourtant, de tels événements n’auraient pas dû être passés sous silence. Ni d’ailleurs sa légendaire confrontation avec Bill Gates, essuyée en une petite scène au téléphone.
Peut-être que le prochain biopic saura combler ces lacunes. En effet, Sony prépare sa propre version, basée sur la biographie officielle de Walter Isaacson, écrite par Aaron Sorkin (scénariste de The Social Network et Moneyball), avec la collaboration de Steve Wozniak. Le cofondateur d’Apple qui a d’ailleurs relevé l’inexactitude des faits relatés dans Jobs. L’interprétation d’Ashton Kutcher elle-même porte à controverse. Encensée par certains, critiquée par d’autres. L’acteur arrive à mimer merveilleusement bien les attitudes, les tics, la démarche du célèbre entrepreneur, mais il y a quelque chose qui manque à son interprétation, une certaine authenticité, une puissance, une passion. On n’y adhère pas réellement. Le rôle reste un jeu de rôle, d’autant plus que le côté humain du personnage n’est pas réellement développé. On le perçoit soit comme un monstre, soit comme une victime, rarement comme un visionnaire ou un homme de génie. Pourtant, Ashton Kutcher a fait sa part du travail, en visionnant au préalable des centaines d’heures de vidéo de Steve Jobs et en suivant même son strict régime alimentaire. Incarner Steve Jobs à l’écran a été une occasion pour lui de «rendre hommage à un homme dont le génie, tout comme Thomas Edison ou Henry Ford, est présent de manière évidente autour de nous… Steve Jobs était l’un de ces rares génies à pouvoir fusionner la forme et la fonction pour créer des produits à la fois magnifiques et qui fonctionnaient bien. Il est très rare de trouver des personnes sachant faire les deux (…); comme Léonard De Vinci, qui était capable de peindre la Joconde et de construire une machine volante».
Jobs est certes intéressant, mais on en sort insatisfait. C’est que le film souffre d’une certaine longueur inutile, de l’absence de pans occultés de l’histoire du légendaire Jobs. Mais ce qui, surtout, lui fait défaut est le manque de passion, alors qu’on s’attendait à vibrer face à un biopic retraçant le parcours controversé et captivant du créateur d’Apple. A voir malgré tout.
Nayla Rached
Circuits Empire et Planète – Grand Cinemas.