Magazine Le Mensuel

Nº 2913 du vendredi 6 septembre 2013

general

Amritsar. Périple au pays des sikhs

Si le Taj Mahal est l’un des plus beaux sites du monde, le Temple d’or est sans doute l’un des lieux de culte qui mérite le plus de superlatifs. Une leçon d’humilité… Made in India et expérimentée par Magazine.

Coincée dans les embouteillages d’Achrafié, ma pupille rétinienne revit soudain à la vue d’un homme dont la présence dans les rues de Beyrouth est totalement inattendue. Un sikh… barbe fournie et turban jaune vissé sur la tête… Autant dire un subtil parfum d’ailleurs qui nous emmène loin d’ici, un parfum d’Amritsar dans le Pendjab, au nord de l’Inde. Des femmes habillées de saris aux mille et une couleurs chatoyantes, jaune, bleu, vert, rose ou orange, des rickshaws en pagaille, des centaines de gens dans les rues, une vache sacrée qui crée un embouteillage, un Bazar bazardesque aux innombrables échoppes et puis… le Temple d’or, le Hari Mandir Sahib, l’«illustre temple de Dieu», lieu de culte le plus sacré pour les sikhs, «disciples» d’une religion datant du XVIe siècle, fondée par le Guru Nanak.
Savant syncrétisme de dogmes islamiques et de concepts hindous, le sikhisme, religion monothéiste, invite à rechercher l’union avec Dieu, considérant qu’il n’y a pas de différence entre Dieu et celui qui l’aime. Le sikhisme c’est, pour simplifier, l’absence d’icône, la loi du karma, la réincarnation, la pratique de rituels quasi inexistants et la reconnaissance de la Lumière céleste dans chaque être humain, quel qu’il soit (égalité entre tous). C’est aussi une religion «d’autorité» où la viande, l’alcool, le tabac et les drogues sont interdits et où l’humilité, l’obéissance, la dévotion, la loyauté, la générosité et le pardon constituent l’idéal moral.
En 1574, la construction du Temple d’or débute par la volonté du quatrième Guru Ram Das, entouré d’un bassin sacré de forme carrée qui donnera son nom à la ville: Amrit Sarovar, «le bassin au nectar». Pour entrer dans le temple, rien de plus simple, il suffit de se déchausser, se laver les pieds et se couvrir la tête, hommes et femmes confondus.
Indescriptible, le temple à la tombée du jour, comme la sensation qu’il procure. Le lieu est immense. Une promenade en marbre blanc dessine les contours du bassin sacré. Ses allées, d’une propreté étonnante, sont régulièrement balayées et lavées à grandes eaux. Sous les arcs des bâtiments, les familles de pèlerins s’assoient et discutent dans le calme. Au bord du bassin, des hommes font leurs ablutions. Ils descendent dans l’eau, à l’aide d’une chaîne, s’immergent par cinq fois, puis se jettent de l’eau sur la tête. Sans interruption, des hymnes sacrés proviennent d’un temple recouvert d’or, au centre du bassin, accessible par un pont. Ces poèmes chantés par des prêtres, accompagnés de musiciens, retransmis dans l’ensemble du sanctuaire grâce à des haut-parleurs, sont extraits du livre saint des sikhs, le Gurû Granth Sahib, conservé dans la chambre centrale du temple. Chaque soir, le Livre est transporté dans une cérémonie vers la bibliothèque. Très tôt le matin, c’est la cérémonie inverse, les fidèles se prosternant au passage du Livre. En tout, dix gourous se sont succédé dans le sikhisme, chacun apportant de nouvelles règles dans l’enseignement spirituel, des enseignements regroupés dans le Gurû Granth Sahib. C’est le dernier gourou, Gobind Singh, qui décréta qu’après lui, il n’y aurait de gourou que le livre saint. Il instaura également le «khalsa», dont les composantes s’emploient à défendre la foi par les armes. Les hommes doivent pour le respecter suivre les cinq «k», permettant d’ailleurs de les distinguer des autres Indiens. Chevelure et barbe non coupées (kesh), ils coiffent leurs cheveux en chignon au-dessus du front, retenu par un peigne (kangha), le tout recouvert par un turban. Les plus petits, pour faire illusion malgré leur capillarité réduite, y glissent une pomme de terre ou des mouchoirs. Ces messieurs doivent également porter un caleçon ou pantalon court (kaccha) qui symbolise la modestie, un bracelet d’acier (karra), signe de courage et un sabre (kirpan) symbolisant le pouvoir et la dignité.
Qu’il soit 10h, 18h, 23h ou 4h du matin, les allées du sanctuaire ne désemplissent pas et la queue pour entrer au Hari Mandir Sahib (Temple d’or) reste toujours aussi longue. Car tout le monde peut y accéder, sans aucune distinction. Son dôme, comportant 750 kilos d’or massif, représente un lotus renversé, symbolisant le but du sikhisme: mener une vie pure. Quelle énergie dans la quiétude et la sérénité! On y resterait des jours entiers. Tout est fait pour: dans le sanctuaire, des dortoirs sont mis gratuitement à la disposition des pèlerins. Quant à la cantine du temple, le Guru Langar, et ses quelque 60 000 à 100 000 repas servis par jour gratuitement, elle brille par son inimaginable organisation et ses incroyables charité et convivialité. A l’entrée, des bénévoles distribuent des plateaux à plusieurs compartiments, des bols et des cuillères. Dans un grand réfectoire, des milliers de personnes s’assoient à même le sol, en rang, face à face. Tous égaux sans discrimination de classe, genre, religion ou nationalité. Cette institution fut mise en pratique par le premier gourou et n’a jamais pris fin. Pour l’anecdote, le troisième gourou décida que personne ne pourrait s’entretenir avec lui sans avoir mangé préalablement dans le Langar. Ainsi Akbar, l’empereur de l’Inde, a dû s’asseoir et manger avec «le commun des mortels» avant de pouvoir s’entretenir avec le gourou. Une fois que tout le monde est installé et que la salle est pleine, le repas est servi. Et quel repas! Digne des meilleurs restaurants en Inde. Au menu, des plats végétariens: du riz, du dal (plat traditionnel à base de légumineuses), délicieusement cuisiné avec des lentilles, deux chapatis (pain plat indien), des légumes et un magnifique porridge, aux couleurs du soleil, impeccablement sucré. Pour être sûrs que tout le monde est rassasié, les «serveurs» passent trois à quatre fois dans les rangs pour proposer une nouvelle portion. Un sans-faute!
En sortant, les convives remettent leurs écuelles qui termineront leur course dans un incroyable et énorme «lave-vaisselle humain».
Inspirant, enivrant, le Temple d’or est un rendez-vous pour les 22 millions de sikhs dans le monde (20 en Inde) et pour tous les autres. Un lieu spirituel transcendant toutes les discriminations possibles. Un monde à part, protégé et protecteur, loin du chaos de la ville.
A 25 km de là, l’atmosphère est tout autre. Dans le petit village d’Attari, tous les soirs, des centaines d’Indiens et d’étrangers célèbrent la fermeture de la frontière entre l’Inde et le Pakistan. Le spectacle est inattendu. De chaque côté, des barrières nationales, des gradins sont installés. Les gardes-frontières paradent, dans une démarche qui leur est propre, jambe lancée perpendiculairement au buste, un tant soit peu ridicule mais émouvante à la fois de par leur fière posture. On se toise, on crie le plus fort possible le nom de son pays, on danse sur la route principale, on fait flotter les drapeaux nationaux, puis le dernier bus de la journée traverse la frontière. Un soldat serre la main de son homologue, on croise les drapeaux indiens et pakistanais et on ferme les portails. Dire qu’il y a 65 ans, ce peuple, séparé par une frontière, ne faisait qu’un… Mieux vaut retourner le plus vite au Temple d’or!

Delphine Darmency, Inde

Les massacres
Le 5 juin 1984, le Temple d’or est le théâtre de confrontations sanglantes entre des indépendantistes sikhs et l’armée indienne. Officiellement, on dénombre 84 morts dans les rangs de l’armée et 493 chez les 
indépendantistes et fidèles présents lors de l’opération militaire Blue Star (certaines estimations ont fait état de 1 500 morts civils), ordonnée par le Premier ministre indien, Indira Gandhi. Une opération qui lui coûtera la vie, elle fut assassinée quatre mois plus tard par ses gardes du corps sikhs.
Un autre massacre a fait date dans les mémoires d’Amritsar, celui du 3 avril 1919 perpétré par l’armée britannique, qui tira sur 20 000 manifestants pacifiques, contestant l’adoption d’une loi par l’autorité coloniale. Une fusillade qui causa la mort de 400 civils et blessa plus de 1 500 autres.

Related

Alain Plisson met en scène Molière. Les classiques sont pérennes

Serge Dagher, membre du bureau politique Kataëb. S’il le faut, nous descendrons dans la rue

Apparition d’un virus rare. Les enfants frappés de paralysie soudaine

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.