L’organisation des Ikhwan est inscrite sur la liste des terroristes en Syrie et en Egypte comme au Qatar, en Arabie saoudite et dans les Emirats. Toutefois, l’Administration du président Barack Obama ne tient pas compte de cette classification arabe. Les créneaux sont ouverts entre la Maison-Blanche, ses services de sécurité et la direction des Ikhwan.
Une rencontre secrète à Washington a réuni, début août dernier, le président américain et les représentants égyptiens des Ikhwan, résidant à Washington, pour un échange de points de vue sur la situation en Egypte et ses développements. Ce qui a retenu l’attention, c’est la participation aux entretiens de diplomates turcs de très haut niveau.
Les contacts entre les Ikhwan égyptiens et les Américains ont été révélés après la chute de Hosni Moubarak, en février 2011. Des sénateurs, des ministres et de hauts fonctionnaires américains n’ont cessé de visiter le siège des Ikhwan à Jabal al-Mokattam, laissant croire que ces derniers étaient les vrais responsables de la révolution du 25 juin sous l’impulsion américaine.
La réunion d’août des Ikhwan et des Américains fut la plus importante, vu le secret qui l’a entourée. Elle survint au lendemain de la chute du président Mohammad Morsi et de l’effondrement du pouvoir des Ikhwan avec la révolution du 30 juin qui vit briller l’étoile du général Abdel-Fattah el-Sissi
Selon un rapport diplomatique européen, cette réunion est intervenue à la demande de Hassan Malek, milliardaire égyptien ayant de très étroites relations avec les islamistes au sein de l’Administration Obama et avec certaines organisations islamistes américaines.
Malek ou «l’homme d’Erdogan» au Caire, appartient à la direction des affaires des Ikhwan. Il fut élu président de l’Association des hommes d’affaires turcs en Egypte. Il voulait que l’hôte de la Maison-Blanche soutienne les Ikhwan dans leur confrontation avec le général Sissi.
Obama, dont l’Administration était rassurée par la vague populaire dont il jouissait à travers l’Egypte, a refusé la requête de ses hôtes de considérer le pouvoir transitoire au Caire comme «un coup d’Etat contre la légalité constitutionnelle» du président déchu des Ikhwan, Mohammad Morsi.
Le rapport souligne que le maintien des Américains de leurs «relations d’affaires» avec les Ikhwan d’Egypte et leur organisation internationale, est un moyen de pression sur le nouveau pouvoir au Pays des Pharaons. Tel est le point de vue d’Anne Patterson, ambassadeur américain au Caire (dont la fin de la mission a été annoncée le 29 août dernier), qui a parrainé la révolte des Ikhwan contre le gouvernement de Adli Mansour.
Mais cette vision de Patterson, qui commence par des manifestations de rues et des sit-in sur les places, devait dégénérer par le biais de Mohammad el-Baltaji et Issam el-Aryan en appel à l’aide de l’Otan pour abattre les forces de l’armée égyptienne par des opérations terroristes organisées, des tirs de feu sur les masses, les explosions de véhicules des soldats et l’incendie des sièges de la police.
Patterson, peu convaincante
Réfutant les accusations égyptiennes du soutien américain au terrorisme des Ikhwan au Sinaï, au Caire, comme dans les mohafazats, l’ambassadeur Anne Patterson n’a pas été convaincante et n’a pas apporté de réponses radicales aux questions qui se posent: comment les Ikhwan d’Egypte, de Syrie et leurs réseaux internationaux constituent-ils la troisième force entre les autorités américaines et les organisations terroristes et takfiristes telles al-Qaïda, le Front d’al-Nosra et certains partisans de Khaled Mechaal à Gaza?
Le rapport qualifie l’appui de l’Administration américaine à l’autorité des Ikhwan au Caire, à Tunis, au Maghreb et même en Libye, de coopération de Washington avec l’organisation internationale des Ikhwan, qui met tout son poids matériel et moral dans la bataille contre le pouvoir syrien et dans la destruction de l’alliance arabo-iranienne.
L’accueil réservé aux Ikhwan à la Maison-Blanche rappelle celui de son prédécesseur, Ronald Reagan, qui avait reçu les «Moudjahidin afghans» dans les années 80 du siècle dernier, lorsque les islamistes arabes ont contraint les Ikhwan et les Wahhabistes salafistes à user de toutes leurs forces pour griller les jeunes gens arabes dans la fournaise du jihad afghan, organisé par les Américains contre les forces de l’ancienne Union soviétique.
Le rapport revient sur une série de rencontres secrètes à Washington en juin dernier, quelques jours avant l’annonce par la Maison-Blanche de sa décision de fournir aux groupes de l’opposition syrienne des armes spécifiques. A l’une de ces réunions, a assisté, en tant que représentant des Ikhwan, Abdallah Ben Bih, magistrat et ancien ministre mauritanien, connu en tant qu’uléma dans les pays du Golfe, en Amérique et au Pakistan. Membre du réseau du milliardaire qatari d’origine égyptienne, le cheikh Youssef el-Qardaoui, connu sous le nom d’«Union internationale des ulémas musulmans» dont Ben Bih est vice-président.
C’est Rachad Hussein, représentant de l’Administration Obama auprès de l’organisation de la coopération islamique, qui a organisé l’accueil de Ben Bih aux Etats-Unis. Ont participé à la réunion avec ce dernier, les représentants de sept services américains de sécurité dont le représentant le plus important, le directeur de l’agence de la sécurité nationale, Keith Alexander. A l’ordre du jour de la réunion, les moyens de soutenir et de financer les groupes de l’opposition armée en Syrie.
Le rapport dévoile les noms d’autres personnalités du réseau Qardaoui, parmi lesquelles le fondateur de «l’Institut international de la pensée islamique». Ce réseau comprend une large structure tentaculaire d’organisations, d’associations et d’institutions islamiques. C’est à travers ce réseau que s’effectuent les blanchiments d’argent, aussi bien gouvernementaux que personnels d’origines diverses, dont le but est de financer le terrorisme et le takfirisme en Syrie, en Irak et en Afghanistan, comme en Egypte à travers les tentacules de Qardaoui.
Pour les Etats-Unis, seuls leurs intérêts sécuritaires comptent. Washington se sert de la stratégie du «chaos constructif» pour détruire les pays arabes, notamment la Syrie et l’Egypte. Cette duplicité américaine s’explique par l’opportunisme de l’Administration Obama dans son comportement avec al-Qaïda et al-Nosra en Syrie et en Egypte. Washington sauvegarde, avec l’aide du gouvernement des Ikhwan à Ankara, son pari politique sur les mouvements des Ikhwan arabes. Toutefois, ce qui est nouveau c’est le jeu des Frères musulmans dans la politique qui leur convient: «Nous sommes des islamistes modérés et centristes dans la mesure où nos conditions sont acceptées, sinon vous seriez confrontés à al-Qaïda et al-Nosra».
Ali Nassar
Les Frères en bref
La Confrérie des Frères musulmans est considérée comme une force partisane, politique, confessionnelle, qui a provoqué et continue de diviser les communautés politiques en Egypte, en Syrie, en Irak, au Liban, en Palestine et en Jordanie. Selon un chercheur sérieux, cette organisation propose aux masses arabes un discours et des slogans islamistes cosmopolites n’ayant pas leurs pareils dans les branches des Ikhwan en Turquie, au Pakistan ou en Malaisie. Dans ces pays pacifistes, les Ikhwan veillent à la qualité de leurs partisans en leur offrant un discours mobilisateur au service des intérêts nationaux. L’histoire des Ikhwan est liée à la violence politique dans les pays arabes, notamment en Egypte et en Syrie. Ceci revient à leur volonté d’islamiser les sociétés et de les ramener à la religion et à leur méthode qui n’admet pas la critique politique ou intellectuelle. Ils sacralisent Sayyed Qotob qui a dénoncé catégoriquement les sociétés
impies, allant à les qualifier d’ignorantes. Ses ouvrages sont devenus la source d’inspiration à des dizaines d’organisations terroristes armées en Egypte, en Syrie, en Algérie, en Irak, en Jordanie, au Yémen et au Maghreb. L’échec magistral des Ikhwan a été enregistré dans les années 50 et 60 du siècle dernier et a abouti à la publication par le second guide Hassan el-KoudaIbi d’un livret sous le titre Prédicateurs et non juges signé de son nom personnel en 1969, même s’il a été dit qu’il s’agissait de l’expression d’un point de vue. Les Ikhwan ont tenté d’adopter un discours politique libéral au lendemain de la guerre israélo-arabe et ont participé à la vie parlementaire pour revenir très vite à la pratique de la violence lorsqu’il leur est apparu que les circonstances étaient favorables au Printemps arabe.