Après le palais de Beiteddine cet été, l’exposition Lebanon on rails a investi les souks de Beyrouth, depuis le 4 septembre, à la Venue. Sur les cimaises, s’entremêlent photographies d’archives et clichés d’aujourd’hui pour redonner vie, l’espace de dix jours supplémentaires, au chemin de fer libanais.
Le 4 septembre dernier, lors de l’inauguration de l’exposition Lebanon on rails aux souks de Beyrouth, on siffle dans l’assemblée. Velléité d’imiter le chant des locomotives d’antan…? Pas tout à fait. C’est l’ambassadeur d’Australie, Lex Bartlem, qui demande toute l’attention de l’assistance, un tant soit peu dissipée. «Aujourd’hui, difficile de croire que le Liban a une histoire liée au chemin de fer, note l’ambassadeur. Nous en avons pourtant ici l’incroyable exemple. Saviez-vous qu’il était possible de partir de Bagdad pour aller à Beyrouth puis en Europe en train? Elias Maalouf et Eddy Choueiry ont été les premiers à m’ouvrir les yeux sur le sujet».
Elias Maalouf, c’est un peu un centre de données à lui seul. Le jeune homme, passionné par l’histoire du chemin de fer au Liban, est toujours en quête d’informations: d’anciens ouvrages, d’articles, de photographies d’archives, etc. Il cofonde il y a dix ans, l’ONG Train/Train. Eddy Choueiry, quant à lui, commence à s’intéresser aux chemins de fer en 2003 et immortalise par son objectif, des bribes de mémoires oubliées. Son inspiration: la nostalgie. «Je me rappelle qu’en 1969, le train passait devant la maison de ma grand-mère, raconte le photographe. Pour me dissuader d’approcher, elle m’expliquait que les cheminots jetaient de l’eau chaude du train». Il débute sa découverte par la station de Mar Mikhaël à Beyrouth avant de poursuivre avec les autres, dispersées dans tout le Liban, de Araya à Rayak en passant par Tripoli, Sofar ou encore Baalbeck. Les deux hommes se retrouvent en 2012 après s’être perdus de vue et décident de mettre en place l’exposition. Un savant mélange de 120 photographies d’archives en noir et blanc et de clichés actuels pris ces dix dernières années au fil des saisons. Car les traces de l’existence d’un chemin de fer au Liban sont bien présentes et ses fières locomotives sont toujours en attente de jours meilleurs, notamment à Tripoli, Rayak et Beyrouth où ces dames rouillent en fonction des intempéries, à l’abandon, depuis plus de trente-cinq ans. Les archives, datant pour certaines du début du XXe siècle, permettent de redonner vie à ces vieilles carcasses de fer. A voir les cheminots et ouvriers dans l’usine de Rayak poser pour la photo, cette locomotive traverser le pont du chemin de fer sur la rue d’Arménie, ou ce train majestueux, crachant sa fumée sur la côte de Jounié entre terre et mer, le doute n’est plus permis, le train a bel et bien existé au Liban.
A l’entrée de l’exposition, de petites banquettes invitent les curieux à découvrir des archives vidéo de la construction de la ligne Tripoli-Haïfa par les sapeurs australiens et néo-zélandais en 1942. Des images inédites pour le grand public, mises à disposition grâce à l’ambassade d’Australie. Un demi-siècle plus tôt, en 1895, se matérialisait la première ligne de train entre Beyrouth et Damas, une voie à crémaillère, créée par la Société ottomane du chemin de fer de Damas-Hama et prolongements (D.H.P.), à l’initiative d’ingénieurs et d’hommes d’affaires français.
Organisée conjointement avec Solidere et la Compagnie des chemins de fer libanais, l’exposition est également dotée de pièces et structures d’anciennes locomotives. Des pièces de musée dont le Liban regorge. «Le Liban est un musée à ciel ouvert, confirme Eddy Choueiry. Nous avons des trésors qu’il faut conserver. Quand Guillaume III est arrivé dans la gare de Rayak, il a déclaré que c’était la capitale des chemins de fer dans toute la région du Moyen-Orient, poursuit-il. Il faut également sauvegarder les archives qui datent de l’époque ottomane, qui prennent la poussière et s’entassent dans les bureaux de Mar Mikhaël».
Des bureaux, dans l’ancienne gare de Beyrouth, sont occupés par les services de la Société du chemin de fer libanais et des transports publics. D’ailleurs, son directeur général manque à l’appel. L’occasion pour Elias Maalouf de se laisser guider librement par l’émotion alors qu’il monte à la tribune.
«Nous avons besoin d’un train, urge-t-il. Parce que les gens ne peuvent plus bouger dans les embouteillages, au même titre que les députés ou les ministres. Nous avons besoin d’un train parce qu’un jour, un moustique pourra rester coincé dans les embouteillages et, jusqu’à aujourd’hui, tous les responsables vont dans la dynamique inverse». Dans l’assemblée, des responsables concernés, il n’y en a pas ou peu, dommage. Seul le ministre démissionnaire de l’Information, Walid Daouk, s’est déplacé. Car l’ONG Train/Train ne s’intéresse pas uniquement au passé, mais s’évertue à trouver des solutions pour l’avenir. Sa requête: «Que l’Etat nous donne la permission de réhabiliter par nous-mêmes le chemin de fer de Jounié à Batroun, annonce Elias Maalouf. Ce qui nous permettrait de montrer qu’un train au Liban est possible. Nous finalisons actuellement le projet». «D’autre part, poursuit-il, il nous faut un centre de données et d’archivage à Beyrouth pour continuer nos recherches et préserver les archives, à Mar Mikhaël, en créant un musée, ce qui assurerait sa viabilité. Parallèlement, nous voulons faire du site de Rayak un musée (où des éléments sont volés jour après jour) et mettre la station en état de fonctionner au cas où le train reprendrait un jour du service».
Des projets qu’il faudra suivre de près. En attendant, Lebanon on rails devrait se terminer le 15 septembre aux souks avant de poursuivre son chemin à travers différentes universités et stations de train, à l’instar de Tripoli et de Mar Mikhaël.
Delphine Darmency