Magazine Le Mensuel

Nº 2914 du vendredi 13 septembre 2013

general

Les Français du Liban. Panique et incertitude

Les Français du Liban et les Franco-Libanais sont tiraillés par des sentiments contradictoires. La plupart sont inquiets, beaucoup envisagent de repartir, mais d’autres restent attachés à leur vie au Liban. Témoignages.
 

Stéphanie est une jeune Française de 26 ans, installée au Liban depuis déjà quelques années. Elle confie son sentiment. «Je viens de découvrir ce qu’est la peur de vivre au Moyen-Orient», avoue-t-elle avec amertume. «Vous savez, je n’ai jamais senti les Libanais autant inquiets depuis que je vis ici. Cela me fait très peur, car je peux mesurer la gravité de la situation, ajoute-t-elle. Il y a des jours où mon optimiste reprend le dessus, ce qui me donne la force de continuer à travailler dans des conditions normales, et des jours où je suis complètement pessimiste, où je n’ai pas envie de sortir de chez moi. Le moindre feu d’artifice me fait sursauter et je me surprends moi-même, car je suis plutôt de nature aventurière et joyeuse».
 

Contre la frappe
La jeune femme explique la passion qui l’a conduite à venir s’installer ici. «Quand j’ai décidé de venir, c’était par goût de la découverte et de l’aventure. En France, mes amis me disaient: «Pourquoi veux-tu aller là-bas? Tu es folle!». Il n’y avait pas de raisons précises, je ne suis pas mariée à un Libanais et je n’ai pas de famille au Liban, mais je savais que c’était ma voie, je voulais vivre cette expérience et venir travailler ici pour aider les autres en même temps».
Aujourd’hui, Stéphanie est taraudée par un sentiment de culpabilité comme la plupart des étrangers au Liban que nous avons rencontrés. Elle se confie: «Je me sens égoïste, car je ne sais plus si je dois rester ou partir, si je dois dire avec fierté que je suis française ou si, au contraire, le cacher honteusement. Vraiment, je ne sais plus rien. Je souhaite de tout mon cœur que la guerre en Syrie prenne fin et que ce pays et la région retrouvent la paix, mais je ne pense pas que cela puisse se produire à travers une intervention militaire étrangère. Je ne suis pas pour la frappe étant convaincue qu’elle engendrera encore plus de problèmes et créera une situation que personne ne pourra contrôler au Moyen-Orient. La riposte à une frappe occidentale est, à mes yeux, inévitable. C’est l’étincelle qui fera exploser cette poudrière. Je pense, surtout, qu’il ne sera plus bon d’être un Français au Liban. Alors je ne sais plus si je dois rester ou partir et je me sens coupable et égoïste».
Elie est un Libanais marié à une Française. Il est binational. Aujourd’hui, il doit faire face à une situation qu’il a du mal à gérer et qui l’enserre comme dans un étau. Il est tiraillé entre deux sentiments, celui de rester et croire en son pays, et celui de mettre sa famille à l’abri… que faire dans un tel climat d’incertitude qui peut, parfois, dégénérer en tension au sein même de sa petite famille? «En tant que Libanais marié à une Française, je peux vous dire que c’est une situation difficile, dit-il. J’ai connu la guerre et j’ai appris à vivre avec. Mais je n’ai nullement envie de revivre ce cauchemar. Ce n’est pas le conflit en tant que tel qui m’inquiète, mais plutôt ses éventuelles répercussions psychologiques sur mon épouse et ma famille».
Chaque guerre est différente et il ne faut pas compter sur les expériences vécues, car une trop grande confiance en soi peut être tout aussi dangereuse que la panique, explique avec philosophie le jeune homme. «Je sais approximativement comment agir en temps de guerre, ajoute Elie. Donc, je prends ça moins au sérieux que ma femme qui n’a jamais été confrontée à une telle situation. Tout ce qu’elle a connu, ce sont les émeutes de banlieue en France, ce qui est incomparable! Elle ne vit pas très bien cette nouvelle expérience et a peur pour notre famille, et je la comprends très bien. Mais cela engendre, parfois, des petites tensions à la maison, surtout à cause de la pression médiatique et des menaces des Occidentaux, qui font un pas en avant puis un en arrière et qui jouent avec nos nerfs!

 

La peur de la séparation
Elie raconte que les préoccupations de sa famille vont plus loin que ce qui se passe actuellement. Il raconte: «Quand j’ai proposé à mon épouse de s’éloigner un peu pour penser à autre chose, elle a eu peur de nous voir séparés et de ne pouvoir maîtriser les événements à venir. Rester lui fait tout aussi peur! Tout au fond de moi, je ne sais pas quoi dire, car je sais qu’elle a raison et j’ai autant peur qu’elle, mais je n’ose pas le reconnaître. Ensuite, il y a les enfants. Je ne veux pas qu’ils vivent ce que j’ai vécu, et quand je ne suis pas avec eux, lorsque je suis au travail, je dois avouer que je crains que quelque chose d’inattendu se produise. Etre loin de ma famille pendant la journée m’inquiète. Comment vont-ils se comporter en cas d’urgence? Comment vais-je réagir? Juste le fait d’y penser me donne la chair de poule. Sincèrement, cette situation n’est pas facile à gérer et j’aimerais que ce soit un mauvais rêve. J’espère me réveiller demain et voir la paix régner. Le jour où je sentirai que le conflit a des répercussions directes sur notre vie quotidienne, notre liberté, notre sécurité et nos rentrées économiques, là, je quitterai pour sûr».
Claire, elle, est bien décidée à rester. Mère de trois enfants, épouse d’un Libanais, elle ne troquera pas son CDI au Liban pour un retour au pays! «Moi, je n’ai pas peur», déclare-t-elle avec une assurance qui suscite quand même certaines interrogations sur la source où elle puise sa force. Comment peut-on rester serein dans de telles circonstances? Cherche-t-elle à cacher un sentiment d’inquiétude qu’elle refuse d’avouer, ou tout simplement le sentiment du pire ne l’a-t-il pas encore atteint? «Je vis au Liban depuis longtemps, explique-t-elle. Certes, je n’ai pas connu la guerre civile, mais les autres conflits d’une moindre ampleur, oui je les ai connus et je n’ai pas fui à l’étranger. J’ai fui dans des villages reculés avec ma famille où l’on savait que rien ne se produirait. Je n’ai pas peur car dans la région où j’habite il n’y a pas de problèmes».
Mais lorsque l’on rappelle à Claire que même des villages reculés ont été les cibles d’attaques, de bombardements et de massacres pendant la guerre civile, et que le conflit actuel en Syrie pourrait dégénérer en embrasement régional généralisé, elle est prise de court. Elle baisse les yeux et préfère ne pas y penser. «Je ne peux rien dire, on verra bien ce qui se passera! S’il se passe quelque chose, j’agirais en conséquence au moment venu, mais je refuse de me laisser déjà gagner par la panique sans savoir ce qui va se passer réellement». Elle se souvient qu’en 2006, elle était inquiète pour ses enfants: «Nous avons dû nous cacher et je sais que si un conflit éclate, nous allons devoir revivre cela; j’espère que cela ne durera pas trop longtemps pour que leur année scolaire ne soit pas affectée».
Les Français du Liban aiment le Pays du Cèdre avec ses avantages et ses inconvénients, son charme et ses aspects repoussants. Ils sont tiraillés par des sentiments qu’ils ont bien du mal à maîtriser. Certains veulent partir, pour leurs familles. D’autres, au contraire, veulent rester. Une partie, enfin, ne sait pas quoi faire! Entre le refus d’envisager le pire, la volonté de croire en l’avenir et le souci de protéger leurs familles, ils sont là, comme tous les autres Libanais. Ils attendent de voir comment des dirigeants, à des milliers de kilomètres de là, vont décider de leur sort et de celui de leur avenir…

Anne Kanaan
 

Quelques chiffres
En décembre 2012, 21 589 Français étaient inscrits au consulat général de France. Leur nombre serait en réalité plus élevé, car 
plusieurs centaines de binationaux ne sont pas immatriculés au consulat.
La communauté française compte quelque 2 000 personnes et près de 59% d’entre elles ont moins de 39 ans. Les Français sont 
majoritairement actifs dans le secteur tertiaire et se concentrent essentiellement à Beyrouth 
et sa banlieue.
Le nombre de binationaux s’élève à près de 20 000.
Une centaine d’entreprises françaises sont installées au Liban. Elles sont actives dans les secteurs des télécommunications, des transports, de l’électricité, de l’énergie, de la construction, du traitement et de la gestion de l’eau, des nouvelles technologies de 
l’information et de l’agriculture.

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