Depuis plus de deux cents ans, les Libanais ont quitté leurs villages et leurs villes. Direction: l’Australie, notamment Sydney, la célèbre ville portuaire, et Melbourne, la capitale de l’Etat du Victoria et son chef-lieu dynamique. Comment ces Levantins ont-ils pu s’y installer? S’y adapter? Quels liens gardent-ils avec le Liban? Enquête.
Ils sont plus de six millions de personnes, venues du monde entier, à avoir choisi l’Australie depuis 1945. En ce qui concerne les Libanais, 75 000 ont quitté leur pays pour vivre dans cette société multiculturelle. Mais leur présence est encore plus forte, puisque 180 000 Australiens se considèrent Libanais d’origine. Plus de la moitié étant chrétiens, 40% sont musulmans. Mais qu’est-ce qui distingue cette migration levantine dans ce pays pluriculturel?
Des pratiques culturelles libanaises
Sœur Magaret Ghosn, adjointe principale au Collège Notre-Dame du Liban en Australie et chargée de cours à l’Université Charles Sturt, a publié une étude dans le Journal of the Australian catholic historical society. Elle relate l’histoire de cette migration. Selon elle, les maronites sont arrivés en premier, dans les années 1800. Ils ont ainsi constitué la première vague qui a continué jusqu’en 1946. La première famille à avoir posé les pieds en Australie, en 1854, les Fakhry. La seconde migration de masse a eu lieu entre 1947 et 1974. Cette vague est constituée principalement de villageois, surtout entre 1950 et 1960. Les migrants étaient alors dans des conditions économiques difficiles. Beaucoup devaient rechercher des emplois. A partir de 1975, il y a eu un afflux de plus de 20 000 réfugiés dont beaucoup de musulmans. Egalement dans des conditions pénibles. La migration libanaise en Australie a eu donc lieu pour des raisons surtout économiques. Ce qui la caractérise, c’est que la diaspora libanaise en Australie est demeurée fortement attachée à son pays d’origine. Preuve en est le grand nombre de visites de retour à la famille enregistrées vers le Liban, ce qui renforce les liens et encourage à maintenir les valeurs libanaises. Cet attachement à la mère patrie se traduit également par les mariages interlibanais et par une forte transmission linguistique. Près de 92% de Libanais parlent l’arabe à la maison.
Ce qui caractérise la communauté libanaise en Australie, c’est surtout la cohésion résidentielle extrêmement importante. 44% des parents proches vivent dans le même quartier, majoritairement à Sydney. Là, les Libanais ont réussi à consolider leur présence grâce à des structures institutionnelles, telles que la Chambre de commerce libano-australienne qui rassemble les hommes d’affaires des deux pays, l’ouverture de nouveaux marchés et le renforcement des relations entre le Liban et l’Australie. Outre les organisations économiques comme les restaurants et les commerces, les Libanais ont fondé des diverses institutions culturelles et religieuses. Ils ont désormais leurs églises, leurs mosquées, leurs écoles, ainsi que des établissements offrant des soins aux personnes âgées libanaises résidant en Australie.
Une carrière réussie
On being Lebanese in Australia: identity, racism and the ethnic field, le livre du Dr Paul Tabar, directeur de l’Institut des études migratoires à la LAU (Lebanese American University), étudie comment, au sein de ces structures institutionnelles, les migrants poursuivent leurs pratiques culturelles et religieuses d’origine. Prenons par exemple la célébration d’Achoura. «Pour des parents libanais, soucieux de maintenir leur autorité sur leurs enfants, cette célébration devient comme une occasion pour les jeunes d’acquérir des codes moraux chiites. Elle évoque aussi la peur qu’ont les émigrés chiites de perdre leur identité culturo-religieuse». Mais Achoura est aussi, selon le Dr Tabar, «un mode d’insertion sociale à la société australienne». Ainsi, loin de les isoler, elle devient un moyen de les intégrer. D’ailleurs, on peut considérer que, pour beaucoup de Libano-Australiens, il y a un attachement aux deux cultures. Interrogée sur ce qu’elle ressent, Hala, 27 ans, répond: «Ici, je peux vivre au quotidien avec mes deux identités. Je ne ressens pas de conflit. J’arrive à combiner mes deux cultures et je suis reconnaissante à l’Australie pour cela». Un sentiment partagé par Omar, 32 ans, qui va même plus loin. «La migration vers l’Australie m’a permis de m’améliorer en tant qu’individu, de renforcer ma personnalité. Elle m’a également permis de choisir ce qui convient le mieux des deux cultures. Je suis d’ailleurs très impressionné par le parcours de certaines personnes, celles-là qui ont fait leurs preuves et qui ont pu guider leurs proches nés en Australie».
Omar a raison. Le parcours de certaines personnalités nées à Melbourne ou à Sydney de parents libanais est exceptionnel. Entre autres, le Dr Marie Bashir. Il est impossible de ne pas s’attarder sur sa carrière. D’origine libanaise, Bashir est née en 1930 et a grandi à Sydney où elle poursuit des études en médecine. Par la suite, elle devient gouverneure de l’Etat de New South Wales et professeure de psychiatrie à l’Université de Sydney. Nommée Officier de l’Ordre de l’Australie en 1988 pour ses services à la santé des enfants, Marie Bashir est investie par Sa Majesté la reine, avec les insignes de commandeur de l’Ordre royal en 2006. Récemment, elle a reçu le grade honorifique de docteur en médecine par l’Université de Sydney. Parcours réussi.
Une autre success story. Le jeune Bachar Houli. Ce Libanais d’origine a grandi à Melbourne. Passionné de foot, il devient joueur de la Ligue de football australien (AFL). Pour de nombreux jeunes musulmans libano-australiens, Houli est une référence, une idole du soccer. Son dévouement et son engagement au sein de l’AFL lui ont permis de devenir un acteur principal du paysage sportif australien.
Pas de doute. La communauté libano-australienne a de beaux jours devant elle.
Pauline Mouhanna
Des écrivains
En Australie, beaucoup d’écrivains libanais se sont fait remarquer par leur talent. Loubna Haikal a émigré en Australie avec ses parents en 1969. Médecin, elle est aussi auteure de plusieurs pièces de théâtre et des romans, dont Séduire M. Maclean. Ce dernier montre comment une famille d’immigrants tente de refaire sa vie en Australie. Quant à Nada Jarrar, elle est libanaise du côté paternel et australienne du côté maternel. Elle a vécu à Londres, Paris, Sydney, Washington D.C. et à Beyrouth. Parmi ses livres: Somewhere Home, Dreams of water et A good land.