Magazine Le Mensuel

Nº 2916 du vendredi 27 septembre 2013

à la Une

La maladie bipolaire. Le nouveau fléau du siècle

On estime aujourd’hui à 6% la population mondiale qui souffre de troubles bipolaires. Ces troubles de l’humeur sont de plus en plus répandus et l’Organisation mondiale 
de la santé (OMS) les ont classés «sixième cause du handicap chez les personnes de 
15 à 44 ans». Le risque de suicide de ceux qui en sont atteints est évalué entre 10 et 15%. Quels sont les différents types de profils bipolaires? Quelles en sont les causes? Comment les soigne-t-on? En guérit-on? Eléments de réponses.

Si vous passez facilement de la morosité la plus profonde à la bonne humeur, de l’abattement total, à l’envie de sauter de joie, il y a de fortes chances que vous soyez bipolaires à des degrés différents. La personne atteinte d’un tel handicap a une capacité incroyable à changer d’humeur: abattue et triste dans une phase dite dépressive, sans énergie, sans envie de se mêler aux autres et de passer avec une rapidité déconcertante à une grande confiance en soi, une vivacité d’esprit époustouflante dans une phase dite maniaque… Doté d’une résistance à la fatigue, d’une force physique inhabituelle et de sens exacerbés, la compagnie d’un sujet en phase maniaque est recherchée en société pour ses facilités oratoires et l’humour dont il peut faire preuve. Ses talents se transforment soudain en agressivité et même en grossièreté que les autres ont du mal à comprendre. Inhibition, perte de la pudeur, du sens des convenances… désarçonnent son entourage. Selon les spécialistes de cette maladie, les créateurs, les décideurs, les leaders d’opinion en sont dix à vingt fois plus touchés que d’autres. Le début est une simple dépression qui ne fait pas diagnostiquer le trouble bipolaire. Il peut aussi se traduire par des manifestations maniaques et dépressives qui alternent à une grande rapidité. Les premiers symptômes peuvent être progressifs et se manifester insidieusement pour se développer au fil du temps et non subitement.
Quelles sont les causes de ce mal? Les facteurs sont génétiques, psychologiques et environnementaux: un traumatisme, un deuil, un choc émotionnel, un stress… la maladie peut donc s’enclencher à n’importe quel âge dans certaines circonstances, à la suite d’événements par-ticulièrement éprouvants. Plus la prise en charge est rapide, plus le patient peut mener une vie normale. Le risque est que la maladie devienne chronique avec une accélération des cycles.

 

Différents types de bipolarité
Dans sa forme la plus caractéristique, dite bipolaire de type 1, le trouble se caractérise par de grands changements d’humeur qui font passer par des mois de désespoir extrême à des mois d’exaltation euphorique où s’accélèrent les pensées, les actions, les projets… tout se passe sans que le bipolaire ait conscience de l’anormalité de son attitude. A côté de cette forme, il en existe d’autres: le bipolaire type 2 moins reconnaissable. Les phases d’excitation sont dites hypomaniaques car plus discrètes. Elles sont donc difficiles à repérer et compliquent le diagnostic. Les personnes souffrant de ce trouble sont souvent d’ailleurs bien intégrées. Les symptômes de ce type de bipolarité ressemblent à ceux de la dépression: fatigue chro-nique, tristesse, ralentissement, perte d’envie et d’amour envers ce que l’on aime, idées pessimistes, troubles de mémoire, manque de concentration, insomnie… Ce qui pose un sérieux problème, car soigner un trouble bipolaire uniquement avec des antidépresseurs peut aggraver la maladie. Le bipolaire type 3: c’est une forme révélée par les antidépresseurs, alors qu’elle aurait dû être traitée ou associée à des régulateurs de l’humeur. Les bipolaires type 4 correspondent aux troubles cyclothymiques. Les bipolaires type 5 correspondent à un profil de patients hyperactifs en permanente excitation. Ce sont souvent des personnes qui, ayant d’importantes responsabilités dans leur travail, vivent à 100 à l’heure. Elles sont donc rarement diagnostiquées comme telles… sauf qu’elles peuvent souffrir de dépression à tout moment.

 

Est-il possible d’en guérir?
Plus la prise en charge est rapide, plus le patient a de chances de répondre au traitement. En général, on prescrit un régulateur d’humeur type lithium. Malheureusement, les premiers symptômes de la maladie passent souvent inaperçus. Les diagnostics sont alors tardifs: après huit à dix ans d’errance thérapeutique et de prescription inadéquate. Aujourd’hui, le traitement de la bipolarité ne repose cependant plus seulement sur les médicaments. Les thérapies comportementales peuvent se révéler très bénéfiques. Cela aide le patient et son entourage à déceler et à juguler les crises. Selon Raphaël Giachetti, médecin psychiatre et spécialiste de la maladie bipolaire, «On peut être stabilisé pendant de nombreuses années mais garder une certaine vulnérabilité. Il existe un guideline international qui préconise un traitement à vie à partir de trois épisodes maniaques». Toujours selon le même médecin: «Lorsque le patient est stabilisé, on peut arrêter progressivement le traitement sur un an et il pourra être guéri pendant trente ans ou rechuter très rapidement. Quand on sait qu’un seul épisode maniaque peut abîmer toute une existence, on a plutôt tendance à ne pas interrompre un traitement qui marche et qui est bien toléré sur les plans clinique et biologique».

Danièle Gergès

Témoignage
Le père d’une jeune bipolaire raconte à Magazine

«A 28 ans, Racha qui travaille dans le domaine artistique a toujours été débordante de joie. Mais elle passait soudain par des phases d’abattement inexplicable, raconte Alain le père de la jeune fille. D’une résistance 
physique à toute épreuve, elle avait 
pleine confiance en elle-même et débordait d’activités professionnelles et sociales, 
foisonnante de projets, d’idées créatives. Exagérément optimiste, voire euphorique, la rapidité de sa pensée et son sens de la 
repartie faisaient notre joie, mais 
inévitablement après ces phases, elle 
traversait des moments où elle devenait 
impatiente, irritable sans raison. Elle 
augmentait sa consommation de cigarettes de façon inquiétante, s’isolait, passait des heures enfermée dans sa chambre. Nous croyions sa mère et moi, et même ses amis, que c’était son caractère de passer ainsi d’un état extrême à un autre sans motifs. Nous avons voulu consulter des psychologues, mais elle refusait de nous suivre sur ce terrain. Cela a duré près de dix ans jusqu’au jour où les symptômes dépressifs et maniaques ont alterné à un rythme ultrarapide. Son agitation était telle, qu’épuisée par ses crises, elle songea au 
suicide et m’en parla. Terrorisé, je l’ai abrutie de calmants et emmenée chez un spécialiste qui l’a internée. Après plusieurs séances 
passées avec elle, il m’a affirmé que ma fille était bipolaire. Ma femme et moi n’avions jamais entendu ce terme. Nous sommes 
tombés des nues. Racha est sous 
traitement depuis trois mois. Elle va mieux, mais il semble qu’on ne guérit pas de cette maladie, on peut juste la traiter. Le médecin m’a affirmé qu’avec les médicaments, Racha pourra bientôt reprendre une vie normale».

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