Il fut un temps, hélas lointain, où on le disait terre bénie des dieux. Mais, quitte à nous répéter depuis des décennies, d’erreur en erreur et d’échec en échec, pour ne pas parler de corruption de tous genres, nous avons quasiment perdu ce paradis de liberté et de bien-être. Ce pays, jadis cher aux investisseurs autant qu’aux touristes, ce centre universitaire où Libanais et étrangers, toutes nationalités, confessions et appartenances confondues, se côtoyaient dans un souci de se construire un avenir, ce Liban devenu aujourd’hui refuge des miséreux qui fuient leur pays en guerre.
Mais s’il est vrai que le Liban est toujours aussi riche de ses hommes, il n’en est pas moins vrai qu’il a perdu de son aura aux yeux de l’étranger et pire encore de ses citoyens eux-mêmes. Ces derniers, perdant confiance dans leurs dirigeants, ont déserté à contrecœur leur terre natale sans grand espoir, pour le moment, d’y revenir. Sauf si, pour une fois, le miracle libanais se réalisait encore. Remplacés, en nombre, par les réfugiés palestiniens et syriens qui, selon les statistiques, constituent la moitié des nationaux, alors que quelques milliards de nos compatriotes forment la diaspora à travers le monde, le Liban n’a plus rien de son aspect du passé. Quand la corruption battait son plein, il était encore possible de la combattre par le pouvoir que nous, citoyens, avions de choisir nos représentants. Nous ne l’avions, hélas, pas fait, alors que maintenant, ils nous ont enlevé tout pouvoir. Ils sont bien là, installés sous la coupole, et rien ne peut les en déloger. Tout s’est effondré. L’insécurité aidant, le pays s’est soudain vidé de tout sang nouveau.
Nous crions victoire parce que l’Etat a retrouvé la place dont on l’avait privé. Le ministre de l’Intérieur qui remplit peut-être son ultime mission officielle, semble malgré ses assurances, aussi sceptique que le commun des mortels quant à la durée du succès de cette exceptionnelle récupération d’un morceau de la capitale qu’il avait perdu. Il en reste encore tant d’autres. Le Nord n’étant pas à meilleure enseigne que le Sud. Combien de fois ne nous-t-on pas fait miroiter la souveraineté de la République sur tout le territoire national? Combien de fois ne nous ont-ils pas promis des frontières sévèrement contrôlées? Mieux vaut tard que jamais, nous dira-t-on, mais si nous pouvons faire confiance à la police et à l’armée, pouvons-nous être sûrs que le plan d’urgence mis en place ne sera pas aussi éphémère que les précédents? A toutes ces questions, certains responsables répondent qu’un accord est conclu entre l’Etat et les milices privées pour une action commune.
Mais quelle fierté pouvons-nous tirer de ce qu’on appelle «la sécurité par consensus»? Si les Libanais ont bonne mémoire, ils se souviendraient que ce n’est pas la première fois qu’une telle coopération est «décidée». Ils se rappelleraient ces reportages glorifiant les forces de sécurité, armes et tanks à l’appui, sillonnant il n’y a pas si longtemps les rues de Dahié, pour un si court laps de temps. Un tel plan ne confirme-t-il pas une fois de plus, une fois de trop, l’impuissance de l’Etat à récupérer sa totale souveraineté sur le territoire national? Si ce problème est crucial, d’autres sont tout autant importants et désastreux pour l’image que nous donnons au monde. Un gouvernement censé régler les affaires courantes, qui ne règle rien du tout. Un cabinet ministériel que les différents courants et partis politiques appellent hypocritement de leurs vœux tout en lui mettant les bâtons dans les roues.
Les formations précédentes, dites d’union nationale, ont démontré à l’évidence le conflit entre les intérêts des uns et des autres. Le clivage est désormais si explosif que, ceux qui ont la possibilité d’y échapper, s’empressent devant les chancelleries en quête d’un passeport pour un avenir plus serein et même pourrait-on dire plus civilisé. Mais qui pourrait blâmer les jeunes, célibataires ou mariés, d’aller quand ils le peuvent vers des horizons futurs plus cléments?
Mouna Béchara
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