En frappant simultanément la corne de l’Afrique, l’Asie centrale et le Pacifique Sud, la nébuleuse islamiste internationale, sanctuarisée autour de la Syrie et de l’Irak, élargit son champ d’action en embrassant l’ensemble du monde musulman contre les infidèles. Cibles privilégiées, les gouvernements qui se dressent contre elle et les minorités religieuses. Cartographie des fronts du moment.
Dessiner une carte du terrorisme islamique est assez complexe. Il y a les groupes terroristes sunnites salafistes ouvertement «jihadistes», plus ou moins proches d’al-Qaïda, mais aussi issus de nombreux mouvements sunnites salafistes algériens, «takfiristes» ou égyptiens.
Plus récemment, sont apparues les sectes salafistes comme les chébab somaliens ou Boko Haram. N’oublions pas les mouvements proches des Talibans en Afghanistan et au Pakistan et, plus discrets, les terroristes tchétchènes et daghestanais, très actifs en zone ex-soviétique-russe et caucasienne. Le jihad s’internationalise parfaitement et se modernise même. Ceci dit, les groupes demeurent fortement localisés dans leur dimension géopolitique et stratégique, et restent liés à des réalités singulières territorialisées. En voici quelques-unes.
Kenya, le message des chébab
Le 7 août 1998, Dar es-Salam en Tanzanie et Nairobi au Kenya plongent dans l’horreur avec l’explosion simultanée de voitures piégées devant les ambassades américaines. Al-Qaïda est né dans l’imagerie collective. Depuis, le Kenya a connu pas moins de dix-sept attaques terroristes. La dernière en date, dans le Westgate Mall, le centre commercial le plus en vue du pays, porte la marque des chébab somaliens.
Après leur prise du pouvoir en 2006 à Mogadiscio, les pays voisins craignent la contagion. Soutenues par les Etats-Unis, les troupes éthiopiennes pénètrent dans le pays en décembre de la même année pour les renverser. Les soldats les plus radicalisés débutent alors leur jihad. Ils prennent le contrôle d’une grande partie du territoire somalien. Pour contrer cette percée islamiste, une force de l’Union africaine intervient en août 2011 aux côtés des troupes somaliennes pour les chasser de Mogadiscio. Fin 2011, ce sont les troupes kényanes qui expulsent les chébab de la ville portuaire de Kismaayo, dernière base des islamistes. A l’époque, ils jurent de faire payer au Kenya cet affront.
Ils ont perdu, depuis, l’ensemble de leurs bastions du sud et du centre du pays, mais contrôlent toujours des zones rurales et frappent notamment en Ouganda. Les chébab sont officiellement adoubés par al-Qaïda en février 2012. Ils bénéficient de l’arrivée de nombreux combattants jihadistes étrangers, venant d’Afghanistan, du Yémen voisin, ou même d’Occident. Une structure idéologique complexe qui lie de manière tortueuse jihad et nationalisme somalien dans le concept fourre-tout d’émirat islamique.
Pakistan, le massacre des chrétiens
Quelques jours après l’attentat suicide qui a fait plus de 80 morts et 150 blessés de la communauté chrétienne de Peshawar, les circonstances de l’attaque restent peu précises. Ce dimanche 22 septembre, quelque 600 fidèles se pressaient à la sortie du service dominical célébré à la All Saints Church. Datant de 1883, construit à l’époque du colonisateur britannique, ce lieu de culte de l’Eglise catholique est situé au cœur de la vieille ville de Peshawar.
Sur le coup de 11h30, alors que les fidèles sortaient de l’édifice pour se répandre sur l’espace adjacent à l’église, où un repas gratuit était servi, deux jeunes hommes ont pénétré dans le périmètre de l’église. Armés de grenades et d’armes légères, ils ont ouvert le feu avant de se faire exploser. Un attentat revendiqué par une faction du Mouvement des Talibans pakistanais (TTP), principale mouvance avec laquelle le pouvoir central négocie.
Les chrétiens pakistanais sont souvent des descendants des basses castes indiennes convertis jadis par des missionnaires étrangers et relégués encore aujourd’hui aux tâches ingrates.
Au cours des dernières années, des chrétiens avaient été accusés par des musulmans de profaner le Coran et d’insulter le prophète Mahomet. Acte passible de la peine de mort au Pakistan. Mais jamais les chrétiens pakistanais n’avaient été la cible d’une attaque aussi meurtrière, un sort malheureusement réservé aux chiites, dans la mire des groupes islamistes armés. «J’ai peur que ce ne soit que le début, et que des incidents se produisent dans le reste du Pakistan. Nous sommes les plus pauvres parmi les pauvres dans cette région. Nous sommes des cibles faciles», affirme Humphrey Peter, évêque de Peshawar. Après les chiites, les chrétiens. Les «infidèles» sont définitivement leurs cibles privilégiées.
Syrie, le combat continue
La semaine dernière, une étude publiée par l’Institut britannique de défense, IHS Jane’s, a identifié non moins de mille groupes de combattants différents en Syrie. Ces groupes, plus ou moins interconnectés, s’allient ou s’affrontent en fonction de leurs idéologies et l’évolution du rapport de force sur le terrain, ville par ville. L’autre enseignement de cette étude est que les jihadistes et islamistes forment aujourd’hui près de la moitié des rebelles qui combattent en Syrie contre le régime de Bachar el-Assad. L’étude identifie quatre grosses tendances parmi les combattants de la rébellion, dont le nombre total est estimé à 100 000 environ.
Un deuxième ensemble de 30 000 à 35 000 rebelles est constitué également d’islamistes mais non rattachés à al-Qaïda et n’ont pas un objectif de jihad global. Environ 30 000 autres se réclament de l’islam mais sont plus modérés. Les combattants laïques, animés par une logique d’opposition nationaliste, représentent le reste, soit environ un quart des rebelles.
Selon l’étude, un groupe de 10 000 hommes environ combat sous la bannière de groupes liés à al-Qaïda, principalement le Front al-Nosra, l’Etat islamique en Irak et au Levant et une dizaine d’autres petits groupes actifs dans le nord et l’est du pays. Financés par l’étranger, bien entraînés, bien organisés, contrôlant des sites stratégiques et l’approvisionnement en gaz et carburant, ils ont pris, durant la dernière année, de plus en plus d’ascendant sur l’Armée syrienne libre, composante historique de la rébellion.
Présents, dans au moins onze provinces sur les quatorze que compte le pays, ils se retrouvent avec les autres groupes dans leur combat contre le régime, mais ils sont surtout animés par une logique de jihad global pour imposer la loi islamiste en Syrie et au-delà.
Irak, silence, on tue
Au moins sept morts et vingt blessés ce lundi dans un attentat contre un convoi de funérailles sunnites à Bagdad, la troisième attaque de ce type dans la capitale en trois jours. Dimanche, douze personnes avaient déjà trouvé la mort dans un attentat suicide contre des funérailles sunnites dans le quartier de Dora à Bagdad. Samedi, plus de 70 personnes avaient été tuées et 200 blessées par deux kamikazes lors de funérailles dans le quartier chiite de Sadr City à Bagdad. Ces attentats portent à près de 600 le nombre de personnes tuées en Irak depuis début septembre, et à plus de 4 300 celui de personnes tuées dans des attentats depuis le début de l’année, selon un bilan établi par l’AFP à partir de sources sécuritaires et médicales. Il y a eu près de 500 attentats à la voiture piégée en Irak, dont la moitié à Bagdad, depuis le début de l’année, indique-t-on de source diplomatique occidentale. En outre, une centaine de kamikazes au volant de voitures piégées se sont fait exploser dans le pays au cours de la même période.
L’islamisme nouveau est arrivé
La mission de l’Onu en Irak a lancé dimanche une mise en garde contre une spirale «infernale» de représailles entre sunnites et chiites après la multiplication d’attentats ces derniers mois. La Russie voit dans le regain de terrorisme en Irak un lien consubstantiel avec les événements de Syrie.
La mort d’Oussama Ben Laden, tué le
2 mai 2011 dans la périphérie d’Abbottabad au Pakistan, a précipité la déstructuration d’al-Qaïda, faisant de la nébuleuse terroriste islamiste une structure protéiforme aux chefs de file plus volatiles. Reste du réseau tentaculaire et pyramidal, un label extrêmement convoité et un conglomérat de cellules, disséminées à travers le monde, aux considérations propres et aux coudées assez franches pour agir dans leur environnement immédiat. Les soulèvements du monde arabe, qu’elles ont appuyés dans les Etats autoritaires où les services de sécurité, qui freinaient leur expression, régnaient en maîtres, leur ont ouvert de nouveaux horizons.
C’est de l’intérieur que le rapport de force s’exprime désormais.
Solidement implantée dans l’arc sunnite qui s’étend sur deux continents, du Sahara au Pacifique, jamais la nébuleuse en question n’avait semblé aussi puissante, aussi insaisissable et aussi libre de ses mouvements. Signe de cette nouvelle donne, la multiplication des fronts de tension.
Malgré les contextes singuliers de tous ces pays, force est de constater que le retour du jihad international est en marche. En cette période de forte activité diplomatique qui a cristallisé l’opposition entre l’Occident et l’axe Téhéran-Damas (voir encadré), la nébuleuse islamiste s’est engouffrée dans une brèche d’où il sera difficile de la déloger.
Julien Abi Ramia
Le dossier syrien à New York
Depuis que les Etats-Unis et la Russie sont tombés d’accord sur un plan d’élimination des armes chimiques en Syrie, les
discussions achoppent sur la question des sanctions en cas de non-destruction de ces armes. Alors que les inspecteurs de l’Onu font leur retour sur le territoire syrien, la France et les Etats-Unis tentent, à New York, d’éviter l’utilisation, par la Russie et la Chine, de leur droit de veto.
Quelques heures avant l’ouverture de
l’Assemblée générale de l’Onu, Moscou fait une concession sur le dossier syrien. La
Russie, par la voix du vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, a admis mardi 24 septembre que le chapitre VII de la charte de l’Onu pouvait être «mentionné» dans une résolution sur les armes chimiques en Syrie. Ce dernier doit figurer «comme un élément de l’éventail de mesures. Pas
question d’adopter une résolution au Conseil de sécurité sous le chapitre VII, ni
d’application automatique de sanctions ou encore moins de recours à la force». Les timides ouvertures tranchent avec la
véritable guerre d’usure qui se joue entre
les deux axes.
Philippines, l’islam indépendantiste
Le Front Moro de libération nationale (MNLF) a été créé par Nur Misuari dans les années 70 et basé sur l’île de Jolo. Il se bat pour la création d’un Etat indépendant dans le sud
majoritairement musulman des Philippines, lui, largement catholique. En 1996, Misuari a signé un accord de paix avec le gouvernement de Manille et le MNLF avait renoncé à réclamer l’indépendance, privilégiant une simple
autonomie de la région. Un cessez-le-feu est signé en 2003. Le conflit aura fait 150 000 morts et entraîné le déplacement de centaines de milliers de personnes.
Le mois dernier, Misuari a indiqué qu’il
cessait ses négociations avec Manille. Le gouvernement philippin parle, depuis
plusieurs mois, avec le Front Moro de
libération islamiste (MILF), un autre
mouvement indépendantiste qui doit mettre en place une région autonome d’ici 2016. Une marginalisation qui a mis en colère Misuari, et sa réponse est des plus spectaculaires.
Le 9 septembre, 300 rebelles du MNLF ont pris d’assaut, en bateau, la ville portuaire de Zamboanga, prenant en otages plus de 200 habitants. Depuis le début de l’attaque des rebelles, qui ont proclamé «l’indépendance» de cette ville d’un million d’habitants, les
combats entre l’armée régulière et les rebelles ont causé la mort de plusieurs dizaines de civils et de militaires. D’autres fronts ont été ouverts par d’autres groupuscules ailleurs dans le sud du pays.