Si la libération des neuf Libanais, otages en Syrie depuis mai 2012, a été saluée par l’ensemble de leurs compatriotes qui ont partagé le soulagement de leurs familles, les conditions qui l’ont accompagnée soulèvent de multiples interrogations. D’abord, elle aurait coûté, dit-on, entre 100 et 150 millions de dollars versés par le Qatar sous couvert «d’aide humanitaire» attisant ainsi l’avidité des criminels ravisseurs. Pire encore. Les kidnappeurs des deux pilotes turcs, enlevés sur la route de l’aéroport de Beyrouth et libérés en échange des otages d’Aazaz, sont arrêtés et déférés devant les tribunaux. Ils sont aussitôt relâchés sans explication, contre une caution misérable de 500 000 livres libanaises et accueillis en héros par leurs proches. Même si la justice n’a pas clos le dossier, elle n’en reste pas moins fragilisée par les doutes qui entachent l’affaire.
Cette opération, malgré les magouilles qui l’entourent, aura peut-être ouvert une brèche d’espoir dans le mur des nombreux autres rapts, notamment ceux des deux évêques, Boulos Yazigi, frère du patriarche grec-orthodoxe et Youhanna Ibrahim, syriaque orthodoxe, enlevés en avril 2013 et dont les nouvelles parviennent, vraies ou fausses, au compte-gouttes. D’autres oubliés de la République: les centaines de citoyens libanais détenus, depuis une trentaine d’années, dans les geôles syriennes et dont nul, sinon leurs parents, ne semble vraiment se soucier. Mais les Libanais, qui ont fêté le retour des ex-otages d’Aazaz, ont, très vite, été repris par leurs quotidiens qui préoccupent une petite minorité de ceux qu’on qualifie à tort de «responsables». Les réfugiés syriens, dont le nombre gonfle à vue d’œil, constituent un poids lourd pour le Trésor libanais déjà quasiment à sec. Les places gratuites occupées sur les bancs des écoles, les dépenses de santé non assumées, des logements de fortune squattés… et d’autres utilités vitales, sont aux frais de l’Etat libanais, donc à ceux des contribuables qui peinent déjà à boucler leurs fins de mois.
Si les chiffres avancés sont avérés, les réfugiés syriens constitueraient la moitié de la population libanaise. Peut-être plus, si l’on compte ceux de nos compatriotes qui ont pris le large depuis que le chômage bat son plein et que la sécurité ne s’améliore guère. Même si la tension a légèrement baissé depuis que les «grandes puissances» ont renoncé à leurs «frappes punitives» sur la Syrie. Le ministre de l’Intérieur, qui occupe largement l’espace médiatique, nous rassure sans arrêt de la mise en place «prochaine» de dispositifs de sécurité renforcés, on ne sait quand? Nous les attendons encore. Certes, les agents de la sécurité font leur boulot en repérant à temps les explosifs, et nous les en remercions. Il n’est, cependant, pas interdit de s’interroger sur la facilité avec laquelle ces véhicules meurtriers, qui font la «une» des médias tous les jours, s’introduisent sur le territoire libanais.
Entre-temps Tripoli, la capitale du Nord, connaît des journées et des nuits d’enfer, et la politique politicienne laisse libre cours à son laxisme alors que pour élire les présidents des comités parlementaires, tout le monde se mobilise. De qui se moque-t-on? Mais nous n’en sommes plus à une tragicomédie près. Les pénibles circonstances, que traverse le pays, et dont nous sommes tous conscients, empêchent certes le fonctionnement de l’Etat. Toutefois, cela nous ramène en mémoire une phrase légendaire d’un ancien Premier ministre français, Michel Rocard, homme d’Etat chevronné: «Au pouvoir, dit-il, il faut décider. Que la décision soit bonne ou mauvaise, tant pis, l’essentiel est d’avancer». Une maxime qui mérite qu’on y réfléchisse, bien qu’il soit trop tard ou peut-être trop tôt, pour l’appliquer chez nous. Le Liban n’est pas la France et n’obéit pas aux critères d’une réelle gouvernance étatique. De toute évidence, une mauvaise décision entraînerait aujourd’hui le pays dans un nouveau cycle infernal. Le mal qui frappe le Liban ne date pas d’hier. La faiblesse de ses infrastructures administratives, le problème palestinien, le confessionnalisme qui domine et un voisinage particulièrement turbulent, n’ont jamais été réellement pris en compte dans la politique de l’Etat. Gouverner, dit l’adage, c’est prévoir. Qu’avons-nous prévu et que pourrions-nous prévoir encore?
Mouna Béchara