Après dix-sept mois de captivité dans la région d’Aazaz, au nord de la Syrie, les neuf pèlerins libanais sont enfin rentrés à la maison. Retour sur un feuilleton à rebondissements et sur des négociations complexes.
Ils sont rentrés. Enfin. C’est vendredi que les Libanais ont appris la bonne nouvelle. Après dix-sept mois de captivité − soit 530 jours − les neuf pèlerins libanais enlevés en Syrie par la brigade de la Tempête du Nord, qui se réclame de l’opposition syrienne, sont enfin libres.
Il est 22h45 samedi, quand l’avion qatari qui les transporte depuis Istanbul, en Turquie, atterrit enfin sur le tarmac. A bord, se trouvent également le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, qui n’a pas ménagé ses efforts pour les faire libérer, ainsi que le chef de la diplomatie qatarie, Khaled el-Atiyah.
Deux petites heures auparavant, un autre avion, plus discret, affrété par Qatar Airways, s’envolait pour effectuer le périple inverse, direction Istanbul. A son bord, les deux pilotes turcs de la Turkish Airlines qui avaient été enlevés sur la route de l’aéroport le 9 août dernier, en représailles à l’enlèvement des pèlerins (voir encadré).
Intervention quadripartite
Dans le salon d’honneur de l’aéroport de Beyrouth, l’accueil est incroyable. La foule est dense, entre familles, proches, journalistes et officiels. Le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, est bien sûr là pour les accueillir, tout comme son collègue des Affaires étrangères, Adnan Mansour, qui représente le président de la République, Michel Sleiman. Charbel aura d’ailleurs un mot pour Wissam el-Hassan, le chef des Renseignements des Forces de sécurité intérieure (FSI), qui «avait joué un rôle important dans cette affaire, bien qu’il soit resté discret et ne voulait pas l’afficher». Etrange hasard du calendrier, la libération des pèlerins coïncide avec le premier anniversaire de son assassinat.
Quant aux ex-otages qui foulent enfin le sol libanais, ils sont portés à bout de bras par leurs proches qui exultent, les cris de joie fusent, les embrassades sont émouvantes.
Les neuf pèlerins, usés par l’attente et leurs 530 jours de détention, affichent une mine fatiguée, quoique soulagés que le cauchemar soit enfin terminé. Certains d’entre eux s’expriment déjà, remerciant leurs libérateurs (voir encadré).
Justement, qui sont-ils? Depuis des mois, les Libanais suivaient, jour après jour, les péripéties des négociations pour libérer les otages. Contacts, fausses annonces, faux espoirs, pourparlers interminables, la libération des neuf Libanais enlevés alors qu’ils revenaient d’un pèlerinage en Iran, aura subi maints et maints rebondissements, s’apparentant à un mauvais «moussalsal» turc.
Une issue favorable aura finalement été trouvée. Mais pour cela, il aura tout de même fallu une intervention quadripartite. Pour le Liban, c’est le général Abbas Ibrahim, qui s’y est collé, multipliant les voyages dans la région. Istanbul, Doha, Damas, les escales ont été nombreuses. Jusqu’à vendredi dernier où le ministre qatari des Affaires étrangères, Khaled el-Atiyah, annonce enfin la nouvelle, en attribuant tout le mérite au Qatar. Quelques heures plus tard, c’est la Turquie qui s’est auto-glorifiée.
La libération des otages libanais est, sans nul doute, une combinaison de l’intervention de différentes parties. Où chacun, au final, trouve son intérêt.
Pour le Qatar, intervenu dernièrement dans l’affaire, les enjeux sont multiples. En première ligne au début de l’insurrection syrienne, l’émirat a ensuite été évincé par l’Arabie saoudite, perdant son rôle de sponsor principal de la rébellion. Les positions radicales de l’émir Hamad Ben Khalifa Al Thani ont été telles qu’elles ont provoqué sa chute, au profit de son fils Tamim. Pour Doha, l’affaire des otages et une issue heureuse étaient donc sans doute un moyen de redorer son blason sur la scène régionale. Sollicité par la Turquie qui ne savait plus comment se dépêtrer de ce bourbier, le nouvel émir a su saisir l’opportunité qui se présentait. Une belle occasion pour lui, qui a déjà opéré un léger rapprochement avec Téhéran, de se rabibocher avec le Hezbollah, après des mois de rupture. Un préalable utile pour des négociations ultérieures avec le régime de Damas. Et un bon moyen de reprendre sa place de médiateur incontournable dans la région. Des émissaires qataris se sont donc rendus au Liban afin d’explorer les différentes possibilités.
De leur côté, les Turcs commençaient à être vraiment gênés par cette affaire. Pas très actif lors de l’enlèvement des pèlerins, que les ravisseurs accusaient d’être des membres du Hezbollah, Ankara était aussi préoccupé par le sort de ses deux pilotes détenus dans la Békaa. Car sur le terrain syrien, la donne a changé. Les hommes de la brigade de la Tempête du Nord, qui tenaient Aazaz, à quelques kilomètres de la frontière turque, étaient poussés dans leurs retranchements par le redouté groupe de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), affilié à al-Qaïda.
A ce moment-là, les neuf pèlerins transbahutés d’un endroit à l’autre sont devenus une charge pour le groupe d’Abou Ibrahim. Inquiets, les Turcs redoutaient que les otages libanais passent aux mains de l’EIIL, connu pour sa haine des chiites et du Hezbollah, qui les aurait sans doute éliminés.
Le sort des deux pilotes turcs détenus au Liban aurait alors été scellé, sans doute d’une funeste manière.
Le rôle palestinien
Pour la Turquie, qui va entrer dans une période électorale importante pour le pouvoir, il y avait urgence de résoudre l’épineux problème des otages. Critiqué par ses alliés occidentaux, Recep Tayyip Erdogan devait aussi montrer qu’il prenait ses distances avec les groupes extrémistes sunnites syriens.
A ces deux acteurs s’en est ajouté un autre, l’Autorité palestinienne. C’est Nabih Berry qui aurait sollicité l’aide de Mahmoud Abbas lors de son passage à Beyrouth. Car l’Autorité palestinienne dispose d’un ambassadeur de poids en Turquie, en la personne de Nabil Maarouf. Selon la télévision al-Mayadeen, le chef des Renseignements palestiniens Majid Faraj aurait aussi effectué plusieurs navettes à Istanbul pour négocier un accord avec les ravisseurs. Al-Mayadeen a également avancé que la libération des otages était le fruit «d’une médiation palestinienne de A à Z», mais que le Qatar en avait ensuite pris la responsabilité, l’Autorité palestinienne n’ayant pas la logistique d’un Etat pour achever l’opération.
Dernier acteur à entrer en scène, Damas. Car si, au départ, la brigade la Tempête du Nord demandait le retrait des combattants du Hezbollah de Syrie, sa revendication diffère. Ils réclament désormais la libération de 200 prisonnières des geôles syriennes. Qu’à cela ne tienne, Beyrouth entreprend, via le général Abbas Ibrahim, des négociations avec le général syrien Ali Mamlouk, sous le coup d’un mandat d’arrêt libanais depuis le mois de février. Incité par son allié hezbollahi, Damas lâche du lest et décide d’accéder à cette demande. Mais, les détenues syriennes, qui devaient être relâchées le week-end dernier, dans le cadre de l’accord, ne seraient toujours pas arrivées en Turquie, selon la brigade de la Tempête du Nord. Damas, de son côté, est resté muet sur la question. Mercredi, on apprenait toutefois que quatorze détenues avaient été libérées, sur la centaine exigée.
Le Qatar grandi
La fin heureuse de ce feuilleton dramatique aurait donc été provoquée par une conjoncture favorable sur le terrain − la brigade ayant elle-même admis que la progression de l’EIIL avait «hâté l’échange» − et des interventions multiples, et non le versement d’une rançon de cent millions d’euros, comme l’a évoqué le journal al-Charq el-awsat.
Qatar, Turquie, Palestine, Syrie, Liban… Ils sont donc nombreux à s’attribuer les lauriers de la libération des otages. A commencer par le Hezbollah, qui, sans se retirer du conflit syrien, aura récupéré ses ouailles, sans aucune concession.
Le Qatar, sorti, lui aussi, grandi de cette affaire en aurait profité pour tenter un rapprochement subtil avec Damas. Le quotidien russe Nezavissimaïa Gazeta affirme que Doha aurait transmis une lettre au régime d’Assad avec les otages. Selon des experts russes, l’émir Tamim tenterait de redorer l’image de son pays «en renonçant à la confrontation directe». Le tout guidé par la situation sur le champ de bataille syrien, où les extrémistes du Front al-Nosra et de l’EIIL, gagnent de plus en plus de terrain. «Devant l’impossibilité de renverser Assad, Al Thani ne voudrait probablement pas perdre la Syrie comme pays de transit (…) pour son commerce d’hydrocarbures» avancent-ils.
Jenny Saleh
Les pilotes rentrent chez eux
Les deux pilotes de la Turkish airlines, Murat Akpinar et Murat Agça ont été accueillis samedi soir par le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, dès leur arrivée à Istanbul. Akpinar a déclaré devant les médias turcs que «le premier mois (de détention) a été très difficile. Nous avons été déplacés huit fois, et à chaque fois, c’était comme un nouvel enlèvement». «Juste après avoir été kidnappés, nous avons été détenus à un endroit très proche de l’aéroport. Nous
pouvions entendre le bruit des avions». «Nous avions décidé d’avoir de bonnes
relations avec nos ravisseurs. Nous n’avons pas été maltraités».