Son nom évoque à lui seul la gloire d’antan du Liban, lorsque Beyrouth était encore appelée la Suisse de l’Orient. On ne peut la dissocier du Festival de Baalbeck, auquel elle s’est consacrée corps et âme, pendant de longues années. D’une beauté toujours saisissante, de sa voix douce, elle nous entraîne avec elle dans les souvenirs d’une vie si riche. Portrait de May Arida.
Dans son salon, une profusion de photos. Des photos de famille, d’autres prises avec des stars internationales ou avec des têtes couronnées. On retrouve ainsi des clichés de May Arida en compagnie de la princesse Grace de Monaco ou du roi du Maroc et bien d’autres encore. Dans sa bibliothèque, sont exposés les programmes des différentes éditions du Festival de Baalbeck. Sur l’un d’eux, celui qui fêtait les vingt ans du festival, on peut lire ces quelques mots écrits par le poète Louis Aragon: «La mémoire de ce qui restera le plus grand événement et le plus grand bonheur de ma vie…».
Dès son plus jeune âge, May Khoury Saadé est passionnée par la musique. Elle a 14 ans lorsque son frère aîné, René, va voir Alexis Boutros, le fondateur de l’Alba, pour prendre des leçons de violon. «Deux ans plus tard, je l’ai rejoint et j’ai commencé à prendre des leçons de musique», se souvient May Arida. Elle fait également partie des jeunesses musicales dès leur création.
Représentante de Dior
En 1947, elle se rend à Paris en compagnie de son époux Carlos Arida. «C’était mon premier voyage en France et, l’épouse du général Catroux, qui fut le témoin de mon mariage, m’avait promis, avant de quitter le Liban, que si un jour je venais à Paris, elle me servirait de guide». En sa compagnie, elle effectue sa première visite au Louvre. Elle l’emmène également voir L’école des femmes de Louis Jouvet. «C’est à cette occasion que j’ai fait la connaissance d’un très grand costumier, Christian Bérard, que j’ai retrouvé par la suite chez Christian Dior où Mme Catroux m’avait emmenée». Sachant qu’elle devait se rendre à New York, elle accompagne May Arida chez Christian Dior, qui venait tout juste de lancer sa nouvelle collection baptisée, New look, et lui demande de lui faire de belles robes, lui disant qu’elle sera sa représentante à New York. Durant ce séjour à Paris, Arida rencontre, dans le salon culturel où se réunissaient, une fois par semaine, la duchesse de La Rochefoucauld, Louis Aragon et Jean Cocteau. «C’est là que j’ai connu les plus grands des Français. Etrange coïncidence car, des années plus tard, Cocteau viendra à Baalbeck en 1956 et sera décoré par le président Camille Chamoun. Il avait présenté La machine infernale. Jeanne Moreau fut extraordinaire dans le rôle du sphinx. Aragon, à son tour, s’y rendra en 1974 où il présenta Le fou d’Elsa».
C’est en bateau qu’elle se rend avec son époux à New York. «La mer était très démontée et la plupart des voyageurs, souffrant du mal de mer, s’étaient retrouvés au lit». Ayant le pied marin, elle se rend à la piscine où elle fait la connaissance de Robert Taylor et Barbara Stanwyck. A leur arrivée à New York, les photographes se pressent pour prendre en photo le couple Taylor-Stanwyck. Cachée derrière eux, May Arida suscite la curiosité des journalistes et sa tenue, un costume spécial conçu par Christian Dior, intrigue tout le monde. Quand on lui pose la question, elle répond: c’est la collection New look de Dior. «Nous avons passé douze jours à New York. Mon mari n’aimait pas l’opéra, nous avons assisté alors à plusieurs théâtres musicaux et des ballets».
L’aventure du festival
Après New York, ce fut le tour de Londres. A cause du mauvais temps, le bateau prend un jour de retard et la réservation à l’hôtel est annulée. «En arrivant dans la capitale britannique, je n’avais que le numéro de Zalfa Chamoun. A l’époque, le président Chamoun y était ambassadeur. Je l’ai appelée et elle nous reçut chez elle», raconte May Arida.
Pour la première fois, au cours de leur séjour à Londres, Camille Chamoun mentionne Baalbeck et déclare que s’il a la chance d’être élu président de la République, il voudrait créer un projet grandiose pour Baalbeck. «Après son élection en 1952, la première chose qu’il a faite était de ramener le compositeur Anis Fleihan, qui enseignait à la prestigieuse Juilliard School of music, pour lui confier la direction du conservatoire national de musique fermé après le décès de Wadih Sabra». May Arida fait partie du comité des amis du conservatoire et elle est membre du comité exécutif. Trois fois par semaine, un groupe se rendait auprès du président Chamoun pour lui réclamer la création d’un festival de musique classique à Baalbeck. Une fois le festival créé, Chamoun nomme un comité de douze personnes dont la présidente était Aimée Kettaneh. May Arida était responsable de la musique, du ballet et de l’opéra. «J’ai sauté de joie ce jour-là tellement j’étais heureuse», se souvient Arida.
En choisissant de grands noms, le festival de Baalbeck était devenu l’emblème du Liban. Son arrêt durant les années de guerre fut une très grosse déception pour les Libanais, aussi bien que pour tous ceux qui venaient des quatre coins du monde pour assister à des spectacles de qualité dans un cadre merveilleux. En 1997 a lieu la reprise. Grâce à son amitié avec Mstislav Rostropovitch, May Arida réussit à obtenir sa participation au festival. «Il m’avait dit s’il y a un festival à Baalbeck, j’annule tout et je viens». Promesse tenue. Il est venu pour 24 heures au Liban. «Quand nous avons annoncé sa participation au festival, en 48 heures les billets étaient vendus». La même année, Abdel-Rahman Bacha présente, sur les planches de Baalbeck, al-Majed el-da’eh. «Pourtant, ce n’était pas facile, car il n’y avait plus rien. On avait tout volé: les chaises, les câbles, les projecteurs, les planches. Tout était à refaire. C’était un miracle de pouvoir tout reconstruire en un temps record. Nous avons travaillé jour et nuit. Deux équipes se relayaient». L’arrivée de Rostropovitch au Liban fut mouvementée. «A 17h, les répétitions devaient commencer; il n’est arrivé du Japon qu’à 16h30. Je ne savais pas comment le faire arriver à Baalbeck. L’armée a mis à notre disposition un hélicoptère. Du ciel, il a vu et apprécié la beauté du Liban. Il a comparé la beauté du paysage en survolant la Békaa à un tapis persan», raconte May Arida.
Championne de ski
A part la musique dont elle est passionnée, May Arida est également une très grande sportive. Plusieurs fois championne de ski alpin au Liban, elle est aussi championne de ski nautique. «Au mois de février, j’allais tous les ans skier à Saint-Moritz et les jours où je faisais du ski nautique, je me levais à cinq heures pour accompagner mon frère. Généralement, la mer est calme tôt le matin et c’est le moment idéal pour faire du ski nautique». Elle présida également la Fédération de ski nautique de 1953 à 1961. «En 1956, nous avons organisé le championnat du monde de ski nautique, pour la première fois au Liban, au Saint-Georges et nous avons reçu les représentants de dix-sept pays dont la France, le Mexique, le Canada, les Etats-Unis d’Amérique, la Suisse, l’Espagne, l’Italie et l’Egypte». May Arida s’investit également dans l’action humanitaire. Elle participe au support des populations du Sud. Elle est vice-présidente du comité de soutien du Liban-Sud (Aïta Chaab) formé pour éviter la migration des habitants de cette région particulièrement éprouvée, en créant des abris, des puits artésiens et un dispensaire, jusqu’à ce que les autorités officielles aient pris en charge ces activités. Optimiste de nature, elle ne désespère jamais. «J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie. Peut-être parce que j’aidais les gens, tout le monde m’aidait. Je ne sais pas dire non. Toutes les portes que j’ai frappées m’ont été ouvertes».
Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub-DR
140 000 L.L. pour un festival
Après l’immense succès remporté par
l’orchestre symphonique NDR Hambourg qui, pendant quatre soirées successives, a joué à guichets fermés devant 4 500 personnes, le président Camille Chamoun décide de créer le festival de Baalbeck. «Nous étions en 1956 et il déclara: je veux un festival pour cet été». Il a réuni 70
personnalités de ses amis pour leur parler de son projet et demander leur aide.
Chacun des présents a versé mille livres libanaises et le président Chamoun demande au ministère de l’Education
d’inclure dans son budget la somme de 70 000 livres libanaises. C’est ainsi, qu’avec la somme de 140 000 livres, le
festival était né», raconte Arida.
Trois passions
«J’ai trois passions dans ma vie: mes quatre filles, le Liban et le festival de Baalbeck», confie May Arida. Amusée, elle ajoute: «Je n’ai pas su faire de garçons, ce qui m’a valu le titre d’Oum el-banat». Ses filles, Amal, Joumana, Linda et Maria lui ont donné la joie d’être la grand-mère de six petits-enfants qu’elle adore et de sept arrière-petits-enfants. Malgré la guerre, elle n’a jamais quitté le Liban, sauf pour aller voir ses filles et ses petits-enfants.