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Nº 2922 du vendredi 8 novembre 2013

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Asfouri de Fouad Alaywan. Enfin, le Liban d’aujourd’hui au cinéma

Il a fait le tour des festivals aux quatre coins du monde, nommé à plusieurs prix internationaux, le voilà enfin projeté dans toutes les salles libanaises: Asfouri, le premier long métrage de Fouad Alaywan. Incontournable.
 

Asfouri ouvre une nouvelle page dans le cinéma local. Un film moderne, contemporain. Un film qui nous ressemble tellement. A l’image de ce que nous sommes aujourd’hui même. Sans exagération, sans ornement. Sans dramatisation ou dédramatisation forcée. Sans artifices ou fioritures. Sans plongée nostalgique dans le passé et sans projection affolante dans la modernité. Asfouri, c’est un peu, beaucoup, l’asile de fous dans lequel nous vivons. Le Liban. Beyrouth. Pour la première fois, depuis bien des années, voilà enfin un film qui s’adresse à une certaine tranche de la population jusque-là ignorée par la production cinématographique locale. Les Libanais qui se retrouvent et se perdent à la fois dans Beyrouth. Dans ce qu’elle a de plus beau, dans ce qu’elle a de plus repoussant.
Beyrouth, les années 70. Karim vit avec sa famille dans un immeuble traditionnel construit par son grand-père Abou Afif. Un jour, les résidants se rassemblent pour discuter de la restauration de l’immeuble. Mais ils n’arrivent pas à s’accorder sur la couleur de la façade. La guerre civile éclate et Karim, adolescent, vit le conflit aussi bien intérieurement qu’extérieurement. Puis c’est la fin de la guerre, la période de reconstruction, les années 90. Le conflit prend fin. Karim retourne des Etats-Unis avec l’espoir de sauver la maison de son enfance. Mais une compagnie immobilière a d’autres plans concernant l’emplacement de la vieille demeure: la détruire pour y élever un centre commercial. Aux côtés de Maya, une Libano-Canadienne, il essaie de trouver un sens à une ville qu’il ne reconnaît plus.
Tel est le synopsis officiel de Asfouri. Il y est question de promotion immobilière, de destruction d’anciennes demeures, de protection du patrimoine architectural de la capitale. Mais le film va tellement plus au-delà. Il emmêle merveilleusement mille et une images pour mille et une sensations, mille et une émotions qui toucheront tout Beyrouthin, s’adressant tout aussi bien à son cœur qu’à son intelligence. Et il est servi par un merveilleux casting dont la spontanéité et le naturel crèvent l’écran. En tête Yara Abou Haidar, lauréate du prix de la meilleure actrice au Festival international du film arabe d’Oran, Majdi Machmouchi, Wissam Farès, Zalfa Seurat et tant d’autres noms, de plusieurs générations d’acteurs.

 

Authentiquement libanais
Une caméra 8mm qui filme la danse matinale des pigeons au-dessus de ce qui semble être un jardin public. Le jardin de Sanayeh. Quelques pas plus loin, se dresse un immeuble plongé en pleine rénovation. Progressivement, ses habitants font leur apparition, sur les balcons, dans la cage d’escalier, à l’intérieur des murs. Ils se croisent, ils échangent quelques mots, quelques piques. Un immeuble qui rassemble autant de gens disparates et qui en hébergera encore plus au fil du film, à l’image du pays, de son brassage. Une image granulée et lumineuse pour le Beyrouth de 1975. Les premières minutes, on se surprend à redouter la résurgence des clichés; la poétisation outrancière de Beyrouth, les échanges vifs entre les résidants, la belle femme de l’étage supérieure qui fait rêver les jeunes adolescents, la mère un peu fofolle du copain, les «sobhiyét» avec la lecture dans le marc de café… ils font partie de notre enfance, de notre adolescence, de nos souvenirs. L’essentiel c’est de parvenir à les mettre sur grand écran avec une dose d’originalité et de renouveau. Et rapidement Asfouri parvient à contourner ces clichés de manière amusante, subtile, intelligente. Tout comme il contourne l’utilisation désuète de la guerre. La guerre est là, certes, elle sera toujours là, en filigrane, qui revient par bribes, dans le souvenir, en flash-backs. Elle est là quand il faut, juste ce qu’il faut.
Fouad Alaywan dresse le portrait d’une famille, d’un immeuble, d’un quartier, d’un pays authentiquement libanais. Et non typiquement libanais. Une nuance qui fait toute la différence, qui attire le spectateur d’abord sans qu’il sache pourquoi, en le sentant, en le percevant tout simplement. Et puis d’un coup, il se surprend à se retrouver dans ce portrait, à y retrouver sa propre maison, son propre quartier, sa propre famille. Autant de détails, d’approches différentes. Une image de la subtilité du scénario et de la réalisation. C’est de cette manière que Fouad Alaywan parvient à éviter toute une série de pièges cinématographiques que l’envie de trop faire ou le conformisme pourraient tendre. Au lieu de critiquer ouvertement, il montre implicitement, avec une dose d’humour noir, ouvrant les portes de l’interprétation au spectateur. Un clin d’œil, un mot, une scène, et voilà, droit au but, le travail est fait, sans déborder. Il nous met face à notre vécu beyrouthin. Notre Liban aujourd’hui même.
Il est clair que Fouad Alaywan parle de ce qu’il connaît tellement bien. Peut-être le mieux. Après tout, c’est bien de l’immeuble de son grand-père dont il est question. De ses grands-parents qui avaient l’habitude, pour ne pas se faire comprendre, de parler asfouri, ce langage codé qui consiste à glisser un «z» après chaque syllabe. Il est clair que Fouad Alaywan a tellement sillonné Beyrouth, ses rues, ses ruelles, côtoyé ses habitants, ses contradictions, en imaginaire, en rêveries, en espoir, en frustration, le jour, la nuit. Avec son regard critique et tendre, contemporain et moderne, avec son œil cinématographique qui arrive à discerner le bon du bon à vendre. Il est temps que le cinéma local délimite bien sa cible sans chercher à plaire à tout le monde. Entre le commercial outrancier, le commercial intelligent et l’élitiste, l’authenticité. Peut-être que Asfouri ne va pas battre des records d’affluence au box-office. C’est à nous, spectateurs, de prouver le contraire.

Nayla Rached

Circuits Empire et Planète – Grand Cinemas –
Vox – Cinemall – Stargate.

Fiche technique
Production: Rosy Abdo et Fouad Alaywan, 
Exit Film Production.
Scénario et réalisation: Fouad Alaywan.
Chef opérateur: Philippe Van Leeuw 
et Renato Berta.
Montage: Nabil Mehchi et Nancy Lichaa 
el-Khoury.
Son: Myriam Chayeb et Jad Abou Zeid.
Musique: Varché Kalenderian.

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