Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a effectué une tournée dans des pays de la région, notamment l’Egypte et l’Arabie saoudite, pour tenter de sauver la conférence de Genève II, face aux réticences de Riyad et au durcissement de la position de l’opposition syrienne. Une mission difficile mais pas impossible.
Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a entrepris une tournée dans de nombreux pays du Moyen-Orient juste après celle de Lakhdar Brahimi, l’émissaire international pour la Syrie. Parmi les nombreux dossiers ouverts par le chef de la diplomatie américaine préfigurait celui des négociations à la conférence de Genève II. Celle-ci, prévue pour la deuxième moitié de novembre, est censée permettre une résolution politique du conflit syrien par l’établissement d’un gouvernement transitoire doté des pleins pouvoirs exécutifs.
John Kerry a multiplié les déclarations, faisant état de la solidité des alliances et affichant des volontés fermes face aux négociations.
La relation des Etats-Unis avec les deux poids lourds de la région, l’Egypte et l’Arabie saoudite, étant pour le moins tendue ces derniers temps, ce n’est pas un hasard donc si le secrétaire d’Etat est allé dans ces deux pays avant la conférence de Genève II.
John Kerry a visité l’Egypte le 3 novembre, la première fois depuis le renversement de Mohammad Morsi par le général Abdel-Fattah el-Sissi en juillet dernier. Les Etats-Unis avaient suspendu l’aide militaire à l’Egypte suite à la destitution de Morsi et aux répressions violentes des manifestants. Contraint de s’approvisionner ailleurs, le général Sissi a donc souhaité «faire passer les relations bilatérales à un niveau supérieur» avec la Russie. Intention réelle ou stratégie du général, le fait est que ces déclarations ont provoqué la jalousie des Etats-Unis. Ceux-ci ont compris la nécessité de réaffirmer leur alliance à travers la visite de Kerry au Caire. «Le président Obama et les Etats-Unis soutiennent le peuple égyptien, a-t-il dit. Ce partenariat est, pour nous, vital. Nous sommes à vos côtés dans les transformations énormes que vous êtes en train de vivre. Nous savons que c’est difficile. Nous sommes prêts à vous aider».
Kerry a affiché les mêmes intentions le lendemain lors de sa visite en Arabie saoudite, insistant sur le caractère stratégique de cette alliance, pourtant remise en cause très récemment par Riyad. «Les Saoudiens sont très, très importants pour nous tous. Les Saoudiens sont véritablement les acteurs majeurs dans le monde arabe avec l’Egypte», a dit John Kerry. «Nous avons à parler de choses très importantes pour nous assurer que les relations américano-saoudiennes sont sur de bons rails», a ajouté le chef de la diplomatie américaine.
Jarba enfonce le clou
Les Etats-Unis, que les Saoudiens boudaient pour leur passivité dans le dossier syrien, ont par conséquent musclé leur discours à l’égard de Bachar el-Assad, réaffirmant les termes de la négociation énoncés à Londres une semaine plus tôt par les Amis de la Syrie. «Nous partageons tous le même objectif (…), à savoir sauver l’Etat syrien et la mise en place d’un gouvernement de transition (…) qui puisse donner la chance au peuple de Syrie de choisir son avenir». «Nous pensons aussi qu’Assad, parce qu’il a perdu toute autorité morale, ne peut pas en faire partie», a-t-il ajouté.
Si les Etats-Unis réaffirment la condition selon laquelle le départ d’Assad est un préalable aux négociations, la Coalition nationale syrienne a, quant à elle, renchéri. Lors d’une réunion extraordinaire de la Ligue arabe le 3 novembre au Caire, Ahmad Jarba a posé sans concession sa vision des futures et éventuelles négociations: «Nous avons décidé de ne pas participer aux entretiens de Genève, à moins que ce soit avec dignité, et à moins qu’il n’y ait un transfert de pouvoir réussi avec un calendrier précis, et sans l’occupant iranien à la table des négociations».
Non seulement Jarba réaffirme la nécessité d’une garantie de l’exclusion d’Assad du gouvernement de transition, mais il revendique également l’absence de l’Iran de la conférence de Genève II. Cette absence est aussi chère aux yeux de l’Arabie saoudite, pour qui l’Iran constitue une menace. Un officiel américain en voyage à Riyad a fait savoir que les Etats-Unis ont exprimé au roi saoudien leur réticence à l’égard de la présence de l’Iran aux négociations, à moins que Téhéran n’accepte au préalable la condition d’un futur gouvernement sans Assad.
Un aveu de faiblesse
Etant donné la concordance entre les revendications de Jarba et les déclarations de l’Administration américaine, la position des Etats-Unis sonne comme un aveu de faiblesse. Aux vues de leur rapprochement soudain avec des pays qui jusqu’alors leur tournaient le dos, les Etats-Unis semblent en effet vouloir réellement des négociations, à l’inverse de la Coalition nationale syrienne (CNS), qui ne se prononcera sur sa présence à Genève que le 9 novembre lors de son congrès à Istanbul. Vu la réalité du terrain, ses revendications semblent donc logiques; elles ont pour objectif de compenser les divisions et les échecs militaires de l’opposition.
En effet, la ville de Sfeiré, située au sud-est d’Alep, a été reprise le 1er novembre par l’armée régulière, offrant au régime un accès pour marcher vers Alep. De plus, Abdel- Jabbar el-Oqaïdi, le chef rebelle qui avait mené un assaut décisif sur Alep en juillet 2012, a démissionné de ses fonctions deux jours après cette défaite.
Aussi logiques ces revendications puissent-elles paraître, elles n’en demeurent pas moins illégitimes auprès du camp Assad, qui n’a aucune raison de s’y plier unilatéralement avant même que des négociations aient lieu. Suite aux déclarations de Kerry, Damas a d’ailleurs accusé les Etats-Unis de compromettre la tenue effective des négociations en imposant des conditions inacceptables pour la partie adverse. La situation politique est donc plus que jamais bloquée. Reste à suivre le congrès de la CNS, pour voir si celle-ci décide de boycotter Genève II, auquel cas des négociations n’auront plus lieu d’exister. Dans le cas inverse où Jarba décide de se présenter à la conférence, il risque de durcir encore plus les conditions de négociations afin de rallier la plus large opposition. Conditions qui seront d’autant plus inacceptables pour le régime syrien et ses alliés. Dans cette configuration où chacun campe sur ses positions, infime est la marge de manœuvre dont le médiateur international pour la Syrie dispose pour mener à bien les négociations.
Elie-Louis Tourny
Le Liban invité
Si conférence de Genève II il y a, Le Liban y participera très certainement. Selon l’agence de presse officielle libanaise, Adnan Mansour, ministre des Affaires étrangères, a assisté mardi 5 novembre à une réunion préparatoire pour les négociations à Genève. Difficile de savoir encore quel rôle sera joué par le Liban. Cette invitation du Liban à la table des négociations fait suite à l’entretien que Lakhdar Brahimi a eu avec le président Michel Sleiman lors de son transit à Beyrouth le 1er novembre.