Magazine Le Mensuel

Nº 2923 du vendredi 15 novembre 2013

POLITIQUE

Tripoli. La discorde banalisée

La capitale du Nord ne vit plus qu’au rythme de l’escalade communautaire alimentée par le Parti arabe démocratique alaouite et les dignitaires sunnites qui ont pris en otages la justice et la sécurité branlante de la ville.
 

Face à la théorie du complot, la vengeance divine. En fin de semaine dernière, Rifaat Eid, secrétaire général du Parti arabe démocratique (Pad), prévenait: «L’enquête sur le double attentat de Tripoli n’est plus une affaire juridique, mais un projet de discorde». Un projet exécuté, selon lui, par les Forces de sécurité intérieure (FSI) dont ils traitent les membres de collabos, ainsi que les services saoudiens et israéliens. Dans le complot décrit par Eid, l’armée y occupe désormais une place prépondérante. «Les services de renseignement de l’armée ont imposé, sous la torture qui a duré toute une semaine, à Ahmad Ali de citer les noms de Ali Eid ou de Rifaat Eid». A ses yeux, comme l’armée, la justice s’est fourvoyée. «Le héros Sakr Sakr (le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, ndlr) a ensuite transféré Ahmad Ali aux services de renseignement des FSI au lieu de le transférer au juge». Mais cette semaine, Rifaat Eid est allé beaucoup plus loin. «Les services de renseignement des FSI ont légitimé notre assassinat, et nous allons donc en faire de même».
Quelle meilleure façon de mobiliser les troupes qui s’opposent à lui? Le lendemain, un rassemblement était organisé pour commémorer les attentats de Tripoli du 23 août dernier. Etaient notamment présents les deux députés de la ville, membres du Courant du futur, Mouïn Merhebi et Mohammad Kabbara, ainsi que le président du Comité des ulémas musulmans, le cheikh Salem Rafeï qui, au cours de la cérémonie, a prononcé un discours extrêmement dur. «Les sunnites du Liban n’accepteront plus l’humiliation dans leur propre pays. Si les criminels se cachent derrière leur communauté religieuse pour se protéger, les victimes ont également une communauté qui les protège, ainsi que des armes», a-t-il menacé. «Nous avons à nos côtés les héros de Damas qui ont réussi à faire plier le régime de Bachar el-Assad». Lorsqu’il a appelé l’Etat à traiter avec les «criminels» fugitifs, «comme il avait traité avec le cheikh Ahmad el-Assir» et comme il traite avec «nos frères détenus», la foule a lancé des chants de solidarité avec le salafiste de Abra.
Les cibles sont toutes trouvées. «Nous nous ferons justice nous-mêmes si le double attentat n’est pas qualifié de crime terroriste avec tous les effets que cela comporte», a expliqué Merhebi, suivi de Kabbara qui n’acceptera pas «que la justice complote avec Bachar, Eid et Nasrallah».
Une illustration de la radicalisation du discours sunnite tripolitain qui accuse jusqu’à ses dignitaires les plus éminents. Le représentant des habitants de Bab el-Tebbané, le cheikh Khaled Sayyed, a déclaré à l’occasion que «le mufti du pouvoir nous a demandé d’évacuer nos quartiers en 24 heures et n’a pas réclamé l’arrestation des criminels présents à Jabal Mohsen». Voilà «le mufti du pouvoir», le cheikh Malek Chaar, mis dans le même sac que «le régime syrien, l’Etat libanais et le ministre sortant de l’Intérieur Marwan Charbel», sévèrement critiqué par Sayyed. Le mufti de Tripoli a vertement répondu: «Le problème de Tripoli, c’est qu’elle est devenue aujourd’hui une cause accablée par des avocats défaillants qui ne savent pas la représenter».
Sur le plan judiciaire, le leader alaouite Ali Eid n’a pas comparu mardi devant le premier juge d’instruction militaire Riad Abou Ghida, qui avait lancé, jeudi dernier, un mandat d’amener contre l’ancien député, soupçonné d’avoir aidé Ahmad Merhi, le principal suspect dans le double attentat de Tripoli, à fuir en Syrie. S’adressant à son père, au nom de la communauté alaouite, Rifaat Eid a lancé: «Nous sommes avec toi. Sois certain que nous ne permettrons pas à l’Arabie saoudite de te poignarder dans le dos». Contre lui court désormais un mandat d’amener signé par le procureur général par intérim auprès la Cour de cassation, le juge Samir Hammoud. Comme l’explique le Premier ministre sortant Najib Mikati, la situation à Tripoli reste trouble. 


Julien Abi Ramia

Un cheikh pro-8 mars abattu
Des inconnus armés ont abattu, mardi matin, le cheikh Saadeddine Ghiyé, membre du Front de l’action islamique, à Tripoli. Les deux hommes à bord d’une motocyclette ont ouvert le feu sur le cheikh Ghiyé alors qu’il se trouvait à l’intérieur de sa voiture. En septembre dernier, ce dignitaire pro-Assad, proche de Hachem Minqara, avait déjà été sérieusement blessé par une charge explosive placée dans son véhicule.

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