La semaine de pause entre le deuxième et le troisième round de négociations sur le nucléaire iranien a révélé des divergences au sein du camp occidental, ce qui ne favorise en rien la conclusion d’un accord.
Le deuxième cycle de négociations sur le nucléaire iranien, tenu du 8 au 10 novembre à Genève, n’avait pas abouti à un accord, mais affichait des progrès certains. Toutes les parties accordaient beaucoup d’espoir à la troisième et dernière série de négociations prévues entre l’Iran et les pays du groupe 5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France et Allemagne). Mais depuis le 11 novembre et la fin de la deuxième série de négociations, les langues se sont déliées, révélant des divergences entre les parties et au sein même du camp occidental.
Alors que le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a affirmé que «le groupe des 5 + 1 était uni samedi lorsque nous avons présenté notre proposition aux Iraniens (…), mais l’Iran ne pouvait l’accepter, à ce moment particulier, ils n’étaient pas en mesure d’accepter», le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, a immédiatement rétorqué sur son compte Twitter: «Monsieur le secrétaire d’Etat, est-ce l’Iran qui a vidé jeudi le texte des Américains de sa moitié et a fait vendredi matin des commentaires publics contre?». Zarif semble faire allusion aux déclarations du ministre des Affaires étrangères français, qui a rompu le silence lors des négociations menées du 8 au 10 novembre.
Laurent Fabius n’a pas non plus été épargné par son propre camp, l’accusant d’avoir fait échouer les négociations. Un membre de l’entourage de John Kerry a lâché cette phrase assassine à des journalistes: «Les Américains, l’Union européenne et les Iraniens travaillent intensément ensemble depuis plusieurs mois sur cette proposition et ceci n’est rien d’autre qu’une tentative de Fabius de se montrer pertinent à un stade tardif dans les négociations».
D’après plusieurs sources officielles françaises, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, «la France savait que les Américains et les Iraniens discutaient en bilatéral depuis plusieurs semaines, et elle redoutait que la Maison-Blanche ne cherche à court-circuiter ses partenaires du groupe 5+1». Cela pourrait expliquer la multiplication des initiatives françaises pour peser sur les négociations.
A quelques jours d’un nouveau cycle de négociations sur le nucléaire iranien, le président français s’est rendu à Jérusalem, pour y affirmer son alliance avec Israël sur le dossier du nucléaire iranien. François Hollande a réitéré ses craintes d’un accord faible, ne fournissant pas assez de garanties sur l’application strictement civile du programme iranien, ce que ne peut accepter son allié israélien. A l’issue d’un entretien avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, Hollande a énoncé les quatre conditions que la France comptait soumettre aux autres parties les 20 et 21 novembre à Genève. Ainsi, aucun accord ne sera trouvé si l’Iran n’accepte pas de mettre l’intégralité de ses installations nucléaires sous contrôle international, de suspendre l’enrichissement d’uranium à 20%, de réduire le stock existant, et, enfin, d’arrêter la construction de la centrale d’Arak.
En durcissant les conditions de négociations, la France relaye les inquiétudes d’Israël − qui ne prend pas part aux négociations−, et se procure un statut d’interlocuteur incontournable dans les négociations.
La France seule
Cette attitude de la France ne va pas sans rappeler la stratégie adoptée à l’égard du conflit syrien, où elle a toujours eu une posture ferme. En septembre, la France était la seule, avec les Etats-Unis, à être favorable à des frappes aériennes pour combattre les troupes d’Assad en Syrie. Lorsqu’à l’initiative de la Russie, le plan d’une intervention militaire s’est éloigné au profit d’une résolution politique du conflit, c’est encore la France, qui, en la personne de Fabius, tenait les propos les plus virulents à l’égard du régime d’Assad. De nouveau, la France a endossé le rôle du «gendarme», surclassant les Américains, jugés trop laxistes par leurs alliés syriens de l’opposition et saoudiens.
Grande frustrée de la politique de dialogue engagée par les Etats-Unis au Moyen-Orient, l’Arabie saoudite voit, elle aussi, d’un très mauvais œil les négociations en cours avec l’Iran, et se serait ainsi rapprochée d’Israël. «Il y a certainement beaucoup de discussions entre les deux pays en coulisse et des scénarios plausibles prévoyant un certain niveau de coopération entre les Renseignements et dans le secteur opérationnel, explique Teodor Karassik de l’Institut d’analyse militaire au Moyen-Orient (Inegma). Mais je ne pense pas qu’un scénario concret soit viable. Aucune préparation militaire n’est en cours. Le Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe (CCG) est simplement en négociations avec Israël pour définir leur réaction aux décisions et accords du groupe 5+1».
Les négociations en cours, qui s’achèvent vendredi 22 novembre, jour de publication de ce numéro, s’annoncent donc compliquées. D’autant que le président iranien Hassan Rohani a réagi aux propos de François Hollande sur son compte Twitter: «Lors des récentes négociations, de bons progrès ont été réalisés, mais tout le monde doit avoir à l’esprit que les demandes excessives peuvent compliquer le processus vers un accord gagnant-gagnant».
Cependant, les Occidentaux semblent disposer d’un avantage de taille, à la suite des révélations du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) sur l’existence d’un site nucléaire secret. Mehdi Abrichamtchi, le président de la CNRI, en exil à Paris, a déclaré le 18 novembre aux journalistes qu’un tunnel de 600 mètres de long, situé en montagne, à 10 km de Mobarakeh (province d’Ispahan), aurait été construit entre 2005 et 2009. Selon Abrichamtchi, des équipements y auraient été installés récemment, cependant la teneur nucléaire de ces équipements reste inconnue.
La confiance entre l’Iran et l’Occident, composante essentielle sur laquelle étaient basées les négociations, semble donc bien entamée. Espérons que les négociations permettront de rétablir un semblant de confiance entre les deux parties, car une fois perdue, celle-ci sera difficile à retrouver.
Elie-Louis Tourny
390 iraniens critiquent Hollande
390 opposants iraniens, journalistes, anciens députés, avocats, professeurs d’université, activistes politiques en prison ou ayant fait de la prison, ont adressé le 18 novembre une lettre ouverte au président français, François Hollande. Ils l’accusent de refuser l’ouverture proposée par le nouveau président iranien Hassan Rohani, et mettent en garde contre «une guerre» et de «nouvelles sanctions», arguant qu’«un accord entre les 5+1 et l’Iran diminue[rait] la menace du fondamentalisme au
Moyen-Orient».
Tel-Aviv gèle la colonisation
Alors qu’un appel d’offres pour la
construction de 23 000 logements en Cisjordanie et à Jérusalem-Est a été lancé le 12
novembre par le ministère du Logement, le
Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a été contraint d’intervenir pour interrompre cette initiative. Dans son communiqué, il se justifie ainsi: «Il s’agit d’une action qui provoque une confrontation non nécessaire avec la
communauté internationale au moment où nous nous efforçons de persuader des membres de la même communauté internationale de parvenir à un meilleur accord avec l’Iran».