La Fondation Paul Guiragossian, en collaboration avec Solidere, rend hommage au célèbre peintre décédé il y a vingt ans exactement. Un hommage en peinture, son ultime expression, à travers l’exposition Paul Guiragossian, la condition humaine au Beirut Exhibition Center.
«Quand j’étais enfant, les gens autour de moi parlaient en différentes langues. Je me demandais alors: qui suis-je? Et dans quelle langue devrais-je m’exprimer moi-même: en arménien, en arabe ou en français? Finalement, j’ai compris que mon premier langage est la peinture: je devrais seulement m’exprimer à travers la peinture, et rien d’autre».
Il y a vingt ans que Paul Guiragossian est décédé, le 20 novembre 1993 plus exactement, après avoir achevé un dernier tableau qu’il a présenté à sa famille comme sa meilleure œuvre. Et c’est ce 20 novembre que l’exposition Paul Guiragossian, la condition humaine a été inaugurée au Beirut Exhibition Center. Une exposition pour un hommage. Une exposition pour une rétrospective à travers une déambulation thématique, esthétique et humaine au détour de la centaine d’œuvres exposées.
A l’initiative de la Fondation Paul Guiragossian, les commissionnaires Sam Bardaouil et Till Fellrath, cofondateurs d’Art Reorientend, une plate-forme culturelle pluridisciplinaire basée à Munich et New York depuis 2009, ont mis en place cette exposition qui se poursuit jusqu’au 6 janvier. Une exposition considérée comme la plus complète du peintre disparu, puisqu’elle comporte des œuvres qui éclairent son parcours sur cinq décennies, ainsi qu’une reconstitution de cette époque et de certaines de ses figures, au niveau culturel, intellectuel et artistique, au Liban et dans le monde arabe.
D’espace en espace
L’espace du Beirut Exhibition Center a été très efficacement exploité pour ouvrir larges les fenêtres de la contemplation. Pas de disposition chronologique des œuvres de Guiragossian, mais plutôt un agencement thématique en espaces cloisonnés et ouverts en même temps les uns sur les autres. Soi-même, la famille, la femme, la foi, le désespoir, la vie, la maternité, l’exil, l’appartenance, les ouvriers… autant de thématiques et de questionnements qui sont au cœur du travail de Paul Guiragossian, qui sont le fondement de son art, qui illuminent son œuvre intemporelle. Autant de thèmes qui retrouvent leur essence dans la condition humaine; celle-là précisément qui se donne à voir dans chaque pièce exposée. D’où se dégagent, emmêlés dans un chaos organisé, celui propre à l’artiste qui naît sous les doigts, les traits caractéristiques de sa peinture et de ses formes humaines, sa lucidité, sa volonté de mettre face à face l’art et l’homme, son vécu trempé par l’exil, la guerre, les guerres, dans des pays saignés à mort, l’Arménie, la Palestine, le Liban.
«J’ai regardé autour de moi et j’ai peint les images et les faces expressives que j’ai rencontrées dans ma vie et que j’ai tendrement aimées: je me suis peint, j’ai peint mes enfants, ma femme, mes voisins, mon peuple et la rue dans laquelle j’ai vécu». Telle est, en quelques mots aussi forts, la vision artistique de Paul Guiragossian. Soi-même comme reflet de l’autre, des autres, de l’humanité. Ses autoportraits dans lesquels plonge, désarmé, le visiteur, semblent contenir toute la dualité du monde. Et voilà qu’on commence à s’habiller d’une autre forme de vie, à s’armer.
D’espace en espace, de tableaux en esquisses, le visiteur pénètre avec Paul Guiragossian dans sa vie, au travers de toutes ces «salles» aménagées par les commissionnaires et qui finissent, en un tour circulaire, par converger vers un seul espace, circulaire lui-même, au centre du Beirut Exhibition Center. Une ultime salle où sont exposées les œuvres produites par Paul Guiragossian dans les années 60 et 70, pour des productions théâtrales qui portent la signature de grands noms libanais, à l’instar de Jalal Khoury, Nidal el-Achkar… ainsi que des portraits d’autres figures locales, comme Feyrouz…
Aux côtés de la centaine de tableaux, l’exposition regroupe également des esquisses sur papier jamais offertes au regard du public auparavant, ainsi que quantité d’archives minutieusement rassemblées, pour donner une vision globale de l’univers de Paul Guiragossian, des univers croisés qu’il a tissés au fil de sa vie, de son parcours artistique. A l’entrée, une projection vidéo accueille le visiteur qui se retrouve d’un coup baignant dans la sensibilité du peintre qui accroche chaque mot, chaque phrase, parce qu’ils renvoient à une perception aiguë de la vie, de la mort, de l’homme, métamorphosée par l’art, éternisée par l’art.
Nayla Rached
L’exposition se poursuit jusqu’au 6 janvier au Beirut Exhibition Center.