D’une génération à l’autre, les Libanais confirment qu’ils ont l’entrepreneuriat dans les gènes. En l’absence de toute législation qui protègerait les supports des prestataires de services et des consommateurs, le commerce électronique a décollé grâce aux jeunes talents du secteur privé. Les projets de loi censés régir ce secteur, considéré l’un des véhicules de poids de la croissance économique, restent jusqu’à nouvel ordre dans les tiroirs du Parlement. Le comble est que ces projets de loi ne datent pas d’hier. Au début des années 2000, le gouvernement a pris conscience de l’importance de réglementer ce secteur, qui serait nécessairement un tremplin pour les commerçants libanais dans leur recherche de nouveaux marchés pour l’écoulement de leurs marchandises. Ainsi est né le projet Ecomleb (janvier 2004-juillet 2005), financé par un don de l’Union européenne (UE) d’un montant de 1,7 million d’euros. Ecomleb avait deux principaux objectifs: jeter les fondements d’un projet de cadre législatif cohérent et mener une campagne de sensibilisation au commerce en ligne. Plus de deux cents articles ont été proposés et regroupés sous quatre grands chapitres qui auraient dus être ajoutés aux articles de loi en vigueur et un journal − dont quatre éditions ont uniquement paru − a été distribué gratuitement. Le tirage de ce journal a représenté quelque 25 000 numéros. Son contenu s’articulait autour d’informations d’utilité générale concernant les transactions du commerce électronique.
Karim Saïkali, pionnier dans le e-commerce au Liban et fondateur du site web Buylebanese.com, vient de fêter ses treize ans de présence sur le marché. Il est plutôt satisfait des résultats, ce qui prouve qu’il se maintient sur le créneau du commerce en ligne. Le décollage du site n’a pas eu lieu du jour au lendemain, les Libanais venaient de découvrir l’Internet depuis quelques années seulement. Ayant vécu à l’étranger, Saïkali avait l’habitude d’acheter en ligne et a eu le flair de taper sur ce créneau encore inexploité au Liban. Il n’a pas rogné sur le budget alloué aux campagnes publicitaires en misant gros sur un bon référencement sur les moteurs de recherche. En revanche, le fondateur de Buylebanese a avoué que son commerce a pris grâce au moyen le plus rudimentaire d’information qui est celui «de bouche à oreille». 95% de son activité est concentrée à l’étranger, dans le sens où les commandes sont effectuées par des expatriés. «Quoique le nombre de cartes électroniques au Liban ait passé de 35 000 à 1 800 000, le pouvoir d’achat des Libanais a grandement reculé», souligne Saïkali. Son site desserve plus de 124 pays dans le monde. La croissance du chiffre d’affaires de Buylebanese a été satisfaisante de 2000 à 2008 avec une moyenne de hausse de 25% en rythme annuel. Le nombre et la valeur des transactions outre-mer ont reculé sensiblement avec l’émergence de la crise de 2008 aux Etats-Unis, puis la récession enregistrée progressivement dans la zone euro. Pour ce qui est du volume des affaires pour l’année en cours, tout dépendra de la saison des fêtes, qui enregistre d’une manière générale une activité fébrile. Et les opérations de fraude? Buylebanese en a souffert au début de son lancement sur le marché, mais les fondateurs du site se sont attelés à développer «une technique organique d’autoprotection».
Michel et Louise Doumet, des jumeaux d’un peu plus de 20 ans, ont créé, en 2011, leur start-up de commerce en ligne
lébélik.com (ça te va en arabe). Comme son nom l’indique, la marchandise vendue est liée à la mode dans toutes ses composantes: vêtements, sacs et accessoires, dont une gamme de bijoux. Le cœur de métier de cette start-up est la promotion exclusive des designers libanais. Il est clair que ce site s’adresse principalement à la gent féminine. «Notre moyenne de croissance annuelle en termes de chiffres d’affaires est de 20%. La start-up a démarré son activité avec onze fournisseurs. Aujourd’hui, on en est à cinquante», explique Louise, fière de l’entreprise qu’elle a montée. Elle explique que son marché le plus lucratif est celui des pays arabes. Pour les ressortissants arabes, les designers libanais sont ce que représentent les designers italiens pour les Européens. Les marchés américain et européen sont également desservis. En revanche, fait-elle remarquer, le site ne couvre pas les commandes de certains pays comme le Portugal. L’absence de Lébélik sur ces marchés est conditionnée par le fait que la banque Audi, portail de paiement des transactions en ligne du site, ne traite pas sur ces marchés. «Il faut être prudent pour éviter les cas de fraude. En vertu de l’accord conclu avec la banque, ce n’est pas Lébélik qui essuie une perte mais l’établissement de crédit en cas de paiement frauduleux», insiste-t-elle. Le cheval de bataille de lébélik.com, ou sa valeur ajoutée, réside dans sa flexibilité à s’adapter aux besoins de sa clientèle. «Si un de nos clients nous demande un sac de couleur noir non disponible sur notre catalogue, nous tentons de placer une commande spéciale auprès de notre fournisseur, dont la réactivité dépendra des moyens à sa disposition». En réponse à une question de Magazine sur la dernière application du e-commerce sur le mobile, Louise Doumet affirme que l’option est à l’examen et pourrait booster l’activité du site, «dans la mesure où la clientèle serait tentée de choisir un cadeau sur notre site alors qu’elle se trouve dans un café, ou pendant son break au bureau ou même lorsqu’elle est en voiture et ne conduit pas».
Un marché arabe des technologies
En dépit de l’instabilité qui prévaut dans la région du Proche-Orient, il y aurait une toile de fond marquée par l’émergence d’un développement des outils de technologies de la communication et de l’information qui offrirait une pépite d’espoirs. D’autant que dans cette partie du monde, la créativité, qui peut être un luxe et en même temps une planche de survie, est considérée comme un défi. C’est la thèse qu’a développée l’écrivain et entrepreneur dans le domaine d’Internet, Christopher Schroeder, dans son livre intitulé Start-up Rising. L’auteur souligne que «les start-up les plus innovatrices sont conçues dans le monde arabe, et ce malgré le
dysfonctionnement économique,
l’embryonnaire industrie du capital-
investissement et le réseau Internet
fréquemment défaillant». Il cite à titre
indicatif le site Zoomaal.com, créé par des Libanais et financé par des Libanais, des Emiratis, des Egyptiens et des Saoudiens. Un site où les artistes peuvent poster leur projet en vue de s’assurer un Crowdfunding. Il est également question du site Shekra.com, basé en Egypte, qui présente une plate-forme aux start-up pour défricher des investisseurs selon la finance islamique ou la charia.
Liliane Mokbel