L’assassinat d’un responsable militaire du Hezbollah, Hassan el-Lakkis, dans une région supposée être un sanctuaire inviolable du parti, marque un tournant dans la confrontation régionale, dont le Liban est l’une des arènes. Les autres champs de bataille étant la Syrie, l’Irak, le Yémen et Bahreïn. Après les tirs de roquettes, les attentats à la voiture piégée, dirigés contre les civils, les attentats suicide, contre des cibles spécifiques, les rounds de démence à Tripoli, voilà que les assassinats ciblés font leur entrée en scène. La boucle est presque bouclée. Il ne reste plus que l’embrasement général à l’échelle nationale pour que le pays franchisse la courte distance qui le sépare encore de la guerre civile.
Cette confrontation va sans doute se poursuivre dans les mois à venir et probablement s’intensifier. Les belligérants auront suffisamment de temps et d’opportunités pour rivaliser en horreurs et en atrocités. Ils pourront donner libre cours à leurs pulsions meurtrières et dévastatrices. La bêtise humaine pourra s’épanouir et se propager sans crainte qu’un sursaut de sagesse, de lucidité et de raison, ne vienne enrayer sa morbide progression.
Les plus optimistes voient dans l’accord nucléaire entre l’Iran et les grandes puissances une lueur d’espoir, un signe que la situation se dirige plutôt vers un «big deal», qui ouvrirait la voie à une ère de prospérité économique, d’apaisement politique et de paix sociale. Il n’en est rien. L’accord de Genève est un arrangement intérimaire pour une période de six mois. Cette durée n’est pas le fruit du hasard. D’importantes échéances sont en effet prévues dans près de six mois: les élections présidentielles au Liban et en Syrie. Le sort de ces deux consultations est directement lié à l’issue de cette confrontation régionale entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Les soutiens internationaux de ces deux pays, également de la partie, n’ont pas forcément des agendas identiques à ceux de leurs alliés.
Pendant six mois, les protagonistes se taperont dessus avec toutes les armes autorisées ou prohibées, et jetteront toutes leurs forces dans la bataille pour essayer de gagner du terrain, à défaut de faire plier l’adversaire. Derrière la poussière qui s’élèvera sur le champ de bataille, on apercevra des scènes épouvantables, prouvant que la cruauté de l’homme n’a point de limite.
Le climat délétère et chaotique qui accompagne cette boucherie encouragera des tierces parties, qui ne sont pas directement impliquées dans le conflit, à intervenir pour régler de vieux comptes. C’est peut-être ce qui s’est produit avec l’assassinat de Hassan el-Lakkis, lequel a pu être éliminé par Israël pour son rôle dans les rangs de la Résistance à l’époque de l’occupation israélienne et de la guerre de juillet 2006.
A cette situation extrêmement dangereuse viendront s’ajouter des facteurs complexes et des développements imprévisibles, qui brouilleront les cartes. La seule constante, c’est que le bras de fer, dans ses dimensions militaire, sécuritaire, politique et économique, se poursuivra implacablement, jusqu’à la défaite de l’un des belligérants… ou le compromis.
Il n’y a donc aucune raison d’espérer la fin des attentats, des assassinats et des rounds de folies à Tripoli. Pas plus qu’un déblocage politique au niveau gouvernemental. Sans oublier le spectre du vide présidentiel qui risque de devenir une réalité au printemps prochain.
Toutefois, les acteurs régionaux, même les plus hystériques d’entre eux, savent qu’ils ne peuvent pas dépasser un plafond au-delà duquel la violence deviendrait irréversible. Pour la simple raison que les grandes puissances ne voient pas l’utilité de précipiter le Liban dans les affres de la guerre civile, et estiment même qu’un tel scénario constituerait un danger pour leurs intérêts et compromettrait les stratégies sur lesquelles elles se sont entendues.
Paul Khalifeh