Magazine Le Mensuel

Nº 2927 du vendredi 13 décembre 2013

ACTUALITIÉS

Nelson Mandela. L’adieu du monde à l’icône d’un siècle

Mardi, le monde s’est donné rendez-vous à Soweto, symbole de la lutte contre l’apartheid, pour rendre un dernier hommage à Nelson Mandela, le dernier héros d’un siècle.
 

«J’ai combattu l’oppression noire. J’ai chéri l’idéal d’une société démocratique, éprise de liberté, où chacun puisse vivre en harmonie, dans le respect de l’égalité des chances. Je veux vivre pour cet idéal et le réaliser. Je suis prêt, s’il le faut, à mourir pour cet idéal». Ainsi parlait Nelson Mandela, le 20 avril 1964, alors qu’il risquait la peine de mort. Le «turbulent» de Mvezo «Madiba», son nom du clan Xhosa, est bien plus qu’un simple ancien président de l’Afrique du Sud, de 1994 à 1998, il est un mythe, une légende, un symbole. Prix Nobel de la paix en 1993, Nelson Mandela a traversé le cours tumultueux du XXe siècle pour devenir un Sage à la parole pacifiste respectée par tous. Des Townships de Soweto aux faubourgs de Manille, des ghettos de Los Angeles aux favelas de Rio de Janeiro, chaque citoyen du monde est touché par sa mort tant il a incarné la figure du Héros contre le mal, l’injustice et la domination des puissants.
Comme tous les grands hommes qui ont traversé l’Histoire, Nelson Mandela a eu plusieurs vies. La première débute sur les rives de la rivière Mbashe, un bantoustan province réservée aux Noirs par les colons afrikaners − proche de Cap Town. Né en 1918, Rolihlahla Mandela est le fils du chef du village. Orphelin de père dès l’âge de 9 ans, Rolihlahla devient Nelson Mandela quand sa première institutrice, Miss Mdingane, lui donne un nom anglais comme c’était la coutume. Il suit avec assiduité les cours de l’école méthodiste et intègre l’Université de Fort Hare, en 1939, seul établissement sud-africain à accepter les Noirs.
De ses années d’études, il apprend le combat militant. Nelson Mandela fuit un mariage arrangé par son tuteur, travaille comme simple mineur, puis dans un cabinet d’avocat, tout en préparant son diplôme d’avocat. L’année 1944 sera déterminante. Il épouse la cousine de son ami Walter Sisulu, Evelyn Ntolko Mase − ils auront ensemble quatre enfants − et surtout fait son entrée au Congrès national africain (ANC). «Madiba» participe ainsi aux premières actions de masse de la Ligue de jeunesse de l’ANC qui s’oppose frontalement au pouvoir blanc. En 1948, après la victoire du Parti national, l’apartheid est promulgué.
Débute alors la deuxième vie de Nelson Mandela, l’un des premiers avocats noirs de Johannesburg. En 1952, il devient le président de la Ligue des jeunes de l’ANC et fait campagne pour la désobéissance civile contre les lois discriminatoires. Le 21 mars 1960, le massacre de Sharpeville, dans le sud du Transvaal, transforme profondément Nelson Mandela qui avait jusque-là toujours prôné le pacifisme sur le modèle de l’Indien Gandhi. Pour Mandela, tendre la joue ne suffit plus. Il fonde en 1961 La lance de la nation, branche armée de l’ANC et prône le sabotage sans entraîner de pertes de vies humaines, tout en organisant une grève générale. Sous un nom d’emprunt, le futur président de l’Afrique du Sud quitte le pays. A son retour, il est arrêté. Condamné une première fois à cinq ans de prison, Nelson Mandela retrouve la prison pour une peine à perpétuité le 12 juin 1964. Il est détenu à Robben Island.­ Il sera ensuite transféré pendant six ans à la prison de haute sécurité de Pollsmoor, au Cap.

 

L’histoire d’un combat
Nelson Mandela passera vingt-sept ans en prison, il ne pourra assister aux funérailles de sa mère et de son fils et sera souvent maltraité par ses geôliers. Malgré les travaux forcés et les conditions dégradantes, en dépit de la volonté plus ou moins affirmée de briser les prisonniers noirs, l’homme saura transformer cette épreuve en étape importante de sa vie politique. Durant son incarcération, «Madiba» apprend l’afrikaans et surtout entame des discussions avec Pieter Botha, président de l’Afrique du Sud de 1984 à 1989 et défenseur de l’apartheid. «Parfois, un dirigeant doit sortir du rang, s’engager dans une nouvelle voie, sûr de conduire alors son peuple dans la bonne direction», analyse-t-il, dans son autobiographie. Le miracle que va accomplir Nelson Mandela à sa sortie de prison, la possibilité d’une réconciliation nationale s’est construite dans la chaux et le guano.
Le 11 février 1990, Nelson Mandela est libéré. Quelques mois plus tard, l’ANC renonce à la lutte armée et devient l’interlocuteur privilégié du nouveau président sud-africain Frederik De Klerk. Le vent de l’histoire souffle et balaie les braises des antagonismes passés. Le sang ne coulera plus. Le 30 juin 1991, l’apartheid est aboli. Le 27 avril 1994, l’ANC remporte les premières élections libres de l’Histoire de l’Afrique du Sud. Nelson Mandela devient le 8e président du pays, le premier Noir. Soucieux de ne pas s’accrocher au pouvoir, il renoncera à se représenter en 1999, un an après son troisième mariage ­avec Graça Machel.
La vie extraordinaire de Nelson Mandela pourrait s’arrêter là, si le patriarche n’avait passé ses dernières années de sa vie à lutter contre les inégalités en Afrique et à œuvrer pour la paix dans le monde, notamment comme médiateur dans le conflit des Grands Lacs. «Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé», a-t-il encore écrit, dans son autobiographie. Une phrase à méditer, comme l’héritage d’un homme qui a toujours refusé l’évidence de la violence.
Nelson Mandela était comme «un magicien» qui a su transformer un pays au bord du gouffre de la guerre en une nation unie, a déclaré cette semaine l’archevêque sud-africain et prix Nobel, Desmond Tutu. «Tout le monde disait que le pays s’embraserait. Il était vraiment comme un magicien avec une baguette magique, il nous a transformés en peuple arc-en-ciel, glorieux et multicolore», a exprimé Tutu, «Il a transformé l’Afrique du Sud, cette chenille repoussante qui était le paria du monde, en un beau, beau papillon».

Julien Abi Ramia

Salué par les grands de ce monde
91 chefs d’Etat, 10 anciens présidents, 
75 dignitaires religieux et 86 délégations 
d’organisations internationales se sont 
rendus en Afrique du Sud. Les Etats-Unis sont largement représentés: le président américain Barack Obama et son épouse Michelle, trois de ses prédécesseurs, Jimmy Carter, George W. Bush et Bill Clinton, accompagnés de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, sont du voyage. Parmi les dirigeants présents figure également le Premier ministre britannique David Cameron. Le président français François Hollande et son prédécesseur Nicolas Sarkozy, la 
chancelière allemande Angela Merkel, la présidente du Brésil Dilma Rousseff, le vice-président chinois Li Yuanchao, le président palestinien Mahmoud Abbas, le président cubain, Raul Castro, et le secrétaire général de l’Onu Ban Ki-Moon étaient également là.
Parmi les grands absents figurent notamment le pape François, le dalaï-lama, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu et le père de la révolution cubaine Fidel Castro.

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