La Békaa a de nouveau plongé dans le sillage de la violence venue de l’autre côté de la frontière syrienne. Ce cycle infernal semble se poursuivre dans la capitale où la région de Dahié s’est transformée une fois de plus, en caisse de résonnance.
Hermel, Ersal, Ras Baalbeck, Dahié dévoilent les nouveaux visages de cette guerre larvée sévissant au Liban, où la brutalité du conflit syrien se manifeste avec la régularité du métronome. Le 15 janvier, un nouvel attentat était perpétré en matinée dans la localité du Hermel, au nord-est du Liban. Une voiture piégée, conduite par un kamikaze, explosait devant le sérail de la bourgade, non loin d’une caserne de l’Armée libanaise, où la population dans son ensemble, soutient le Hezbollah. Le véhicule, de type Kia et de couleur noire, avait été volé à Antélias avant de faire son chemin jusqu’au Hermel. «La voiture piégée, la ceinture explosive du conducteur ayant sans doute connu une mauvaise manipulation, a explosé avant la principale détonation, réduisant considérablement l’étendue des dommages», signale un officier de l’armée s’exprimant sous le couvert de l’anonymat. Un expert militaire a estimé que la charge d’explosifs était d’environ 35 kg. Le bilan de cinq morts est revu à la baisse quelques jours plus tard, seule une personne ayant été tuée, mis à part le kamikaze dont les restes carbonisés ont été découverts. Un test ADN, effectué sur un parent du kamikaze, a également mis fin aux suspicions entourant l’implication dans l’attentat de Hussein Ghandour, incriminé au début de l’enquête pour avoir conduit la voiture à Hermel. Dans un communiqué diffusé sur Twitter, le Front al-Nosra, groupuscule islamiste lié à al-Qaïda, a revendiqué l’explosion. L’organisation a affirmé que l’attaque visait le Hezbollah, accusé de «combattre les sunnites en Syrie».
Nouveau coup de théâtre. Deux jours après l’attentat à la voiture piégée ayant frappé le Hermel, un bombardement à la roquette vise cette fois la ville limitrophe et rivale de Ersal, «abritant 40 000 Libanais et 70 000 réfugiés syriens», selon le vice-président du conseil de la municipalité de la ville, Ahmad Fleety. Cette population est dans sa grande majorité alliée aux rebelles syriens et opposée au Hezbollah chiite. Les tirs ont fait huit morts dont cinq enfants pour la seule ville de Ersal.
Pour le vice-président du conseil, ces bombardements constituaient un acte de représailles de la part du régime syrien et du Hezbollah ayant perdu six positions dans une localité proche du Qaa. «Les roquettes proviennent très certainement du territoire libanais, près du Qaa, où le Hezbollah est implanté», estime Fleety. «Il est temps de nous défendre et de protéger nos enfants», lit-on dans un communiqué des notables de la ville publié dans les médias. «Nous n’accepterons pas que le Hezbollah et le régime de Damas nous entraînent dans le conflit syrien. Le Hezbollah doit comprendre que Ersal restera le cœur du pays, et qu’elle fait partie intégrante de ses équations politiques, sécuritaires, économiques et sociales». Le Hezbollah a, toutefois, démenti ces accusations qualifiées de «dangereuses», alors que l’armée indiquait que les tirs provenaient du côté syrien, avant de préciser que «la commission militaire d’experts, ayant examiné les impacts d’obus sur les villages de Ersal, Ras Baalbeck et Fekha, a conclu que les tirs avaient pour origine des régions situées à l’est de Ersal».
Fleety a également mis en exergue la nonchalance des autorités. «On nous accuse d’abriter des terroristes et de laisser passer les voitures piégées sans nous donner les moyens de contrôler la région, un contrôle qui n’est d’ailleurs pas de notre ressort, mais de celui de l’Etat qui a placé sa police des frontières à plusieurs kilomètres de la frontière entre les deux pays, dans le secteur de Ras Baalbeck», précise-t-il.
Mis à part Ersal, le fait que des zones habitées par d’autres communautés comme Ras Baalbeck et Mashari’ al-Qaa, toutes deux chrétiennes catholiques, al-Boueida et Hermel, toutes deux chiites, constitue un dangereux précédent. «Notre village est paisible et entretient de bonnes relations avec son entourage. Le but de ces bombardements est de semer la terreur et de créer la fitna (discorde fraternelle) entre les communautés», souligne Hicham el-Arja, maire de Ras Baalbeck.
Le drame se reproduit, cette semaine, dans la banlieue sud de Beyrouth où un nouvel attentat suicide secoue le secteur de Haret Hreik. Ce dernier est également revendiqué par le Front al-Nosra, sur son compte Twitter, pour venger les enfants tués la semaine passée en Syrie et à Ersal. «L’activité des réseaux terroristes s’étend de la Békaa à Beyrouth et vise à exacerber les divisions entre Libanais. C’est une répétition de l’explosion de la semaine passée», déclare Sobhi Saer, maire du Hermel.
Dans un climat de radicalisation des rues sunnites et chiites vivant au rythme des explosions et des attaques suicide, ces accusations et contre-accusations ne font qu’attiser le feu des dissensions sectaires soigneusement entretenues par les mouvances radicales et les puissances régionales, dont l’implication du Hezbollah en Syrie ne peut être exclue.
Mona Alami
Réactions politiques
L’attentat du Hermel a été stigmatisé par les différents milieux politiques dont certains ont fait le lien avec l’ouverture du procès de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, qui coïncide malheureusement avec le timing de l’explosion. Cet attentat «est un nouvel épisode de la série criminelle qui frappe le Liban», a déclaré le président de la République, Michel Sleiman, dans un communiqué, ajoutant que «la justice sera rendue inévitablement, comme cela se produit aujourd’hui à La Haye». Le Premier ministre démissionnaire, Najib Mikati, et le Premier ministre désigné, Tammam Salam, ont également condamné l’explosion, alors que le chef du Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt, a estimé que les condamnations des attentats «ne sont plus suffisantes». «Ceux qui justifient les attentats n’ont aucune vision parce que les actes terroristes ne font pas la différence entre les innocents et les autres», a-t-il déclaré. Pour ce qui est du bombardement de Ersal, le président Sleiman a mis de nouveau en garde contre «les conséquences d’une plus grande implication dans la crise syrienne». Il a également demandé «aux responsables de la sécurité et à l’armée, de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les villes et les villages libanais proches de la frontière avec la Syrie». «La priorité est, désormais, la protection des régions libanaises et leurs habitants de toute attaque, peu importe l’assaillant», a ajouté le président. L’ancien directeur général des Forces de sécurité intérieure, le général Achraf Rifi, a souligné, de son côté, l’urgence de déférer devant la Cour de justice le dossier des
bombardements «suspects» de Ersal et celui de l’attentat à la voiture piégée à Hermel, survenus à un jour d’écart. Le général Rifi a relevé «la similitude des objectifs de ces attaques, qui rappellent les attentats contre la banlieue sud et contre les deux mosquées al-Taqwa et as-Salam à Tripoli».